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Zahra Holm : Atelier de Zahra Holm, Paris, 2023 ©

Actualités juridiques

08.04.2024

Action ! Quand des peintres copient des chefs d’œuvres pour le cinéma

L’année 2024 est marquée par la sortie de nombreux films sur la vie d’artistes. On pense notamment à Daaaaaali ! de Quentin Dupieux ou Bonnard, Pierre et Marthe de Martin Provost. Ces films présentent une réalité quasi-parfaite, notamment au regard des œuvres que l’on peut voir apparaître.

En tout cas en apparence : il ne s’agit en réalité pas des originaux, mais de reproductions réalisées par des peintres dont le métier est de copier les œuvres originales.

Revenons sur le statut de ces copies réalisées pour le cinéma, à distinguer des œuvres créées par les faussaires, constituant des contrefaçons ou des faux.

I.               La copie d’œuvre pour le cinéma

La présentation d’une œuvre graphique originale dans un film nécessite, en principe, l’accord de son auteur (ou de son ayant droit). Cet accord est également indispensable pour la réalisation par un tiers, à des fins cinématographiques, d’une œuvre factice, qui ne serait que reproduction de l’œuvre originale.

A)    La protection de l’œuvre originale

En droit français, une œuvre d’art originale est protégée par le droit d’auteur (1), lequel octroie à l’artiste auteur des droits patrimoniaux et moraux.

Les droits patrimoniaux lui permettent d’exploiter son œuvre – y compris d’autoriser ou d’interdire son exploitation – et d’en tirer un profit. Ainsi, il jouit des droits de représentation et de reproduction, mais également de droits dérivés tels que le droit d’adaptation (2). Ces droits sont cessibles (3).

Le droit moral comprend 4 prérogatives attachées à l’auteur de l’œuvre : le droit à la paternité, le droit au respect de son œuvre, le droit de divulgation et le droit de repentir ou de retrait. Ces droits sont perpétuels, inaliénables et imprescriptibles (4).

Contrairement au droit moral, les droits patrimoniaux sont limités dans le temps et s’éteignent, en principe, 70 ans à compter de l’année civile suivant le décès de l’auteur (5). Ensuite, ses œuvres tombent dans le domaine public et peuvent ainsi être librement utilisées, ou presque : il faut toujours respecter le droit moral de l’auteur !

B)    L’autorisation préalable à la copie

Afin qu’une œuvre puisse être copiée à des fins cinématographiques, l’autorisation de son auteur doit être obtenue expressément et par écrit, en amont. Il en est de même pour que la copie puisse apparaître au grand écran.

Néanmoins, cette condition d’autorisation d’exploitation ne s’applique plus lorsque l’œuvre est tombée dans le domaine public. Une œuvre “tombe” dans le domaine public, lorsque les droits patrimoniaux de l’auteur sont expirés. Ainsi, pour des artistes décédés il y a plus de 70 ans, tels que Bonnard, aucune autorisation n’est requise, a contrario de Dali, dont l’exploitation des œuvres doit être permise par ses ayants droit.

La copie de l’œuvre pour le cinéma, si elle est permise, n’est pas libre pour autant ; elle doit se faire dans le respect du droit moral, et en particulier du respect dû à l’œuvre (6), et ce à plusieurs égards :

  • lorsque la copie de l’œuvre est strictement identique, il ne devrait pas être porté atteinte au droit moral;

  • en revanche, lorsque l’œuvre est adaptée, notamment lorsque les couleurs ou les proportions ne sont pas respectées, il pourrait être porté atteinte au droit moral. C’est à plus forte raison le cas lorsque le réalisateur du film entend adapter les portraits d’un artiste aux traits des acteurs qui incarnent les modèles, tel que ce fut le cas pour le portrait du docteur Gachet (réalisé par Van Gogh) adapté au physique de Mathieu Amalric, et ou le portrait de Bonnard à celui de Vincent Macaigne. Il est, dans de telles circonstances, fortement recommandé de demander l’autorisation de procéder ainsi aux ayants droit de l’artiste.

 

C)   Les droits d’auteur du copiste

Nous l’avons vu, le droit d’auteur français reconnaît à l’auteur d’une œuvre des droits sur celles-ci, sous réserve qu’elle soit matérialisée et originale. Une œuvre est qualifiée d’originale, lorsqu’elle est empreinte de la personnalité de son auteur.

Ainsi, celui qui reproduit une œuvre à l’identique, ne saurait réaliser une œuvre originale. Un copiste professionnel qui reproduit des toiles originales pour le cinéma ne peut, dès lors, être qualifié d’auteur au sens du Code de la propriété intellectuelle et de fait être titulaire de droits d’auteur sur les copies réalisées. Il en sera en principe de même lorsque le copiste reproduira l’œuvre originale, tout en l’adaptant aux traits d’un acteur qui interprète l’artiste, puisque cette adaptation devrait permettre d’identifier l’acteur, sans être empreinte de la personnalité du copiste.

Naturellement, les copies d’œuvres originales créées dans le cadre d’un film ne doivent pas être confondues avec les œuvres réalisées par les faussaires.

 

II.             Les œuvres réalisées par les faussaires

Les œuvres réalisées par le faussaire peuvent constituer des contrefaçons et/ou des fausses œuvres, dont le régime juridique et les sanctions diffèrent.

 

A)   Les contrefaçons d’œuvres d’art

Lorsque le faussaire reproduit une œuvre originale protégée au titre du droit d’auteur sans l’autorisation de l’auteur ou de son ayant droit, une telle reproduction est susceptible de constituer des actes de contrefaçons. Les juges constateront alors la reprise de la combinaison des caractéristiques originales de l’œuvre reproduite dans l’œuvre seconde pour qualifier cette dernière de contrefaçon.

La contrefaçon peut être sanctionnée pénalement et civilement.

En matière pénale, le délit de contrefaçon est défini comme "toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelques moyens que ce soit, d'une œuvre de l'esprit en violation des droits de l'auteur" (art. L335-3 du Code de la propriété intellectuelle). Il est puni de trois ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende.

La contrefaçon est un acte susceptible d’engager, également, la responsabilité civile de son auteur et permettre à l’artiste (ou à son ayant droit) victime de l’acte d’obtenir la réparation du préjudice qu’il a subi.

B)    Les fausses œuvres

Lorsqu’en revanche le faussaire créée une œuvre qui n’a jamais été conçue par l’artiste, mais qui est présentée comme telle par l’usurpation de sa signature, de son nom et/ou d’un signe qu’il a adopté, et réalisé « à la manière » ou « dans le style » dudit artiste, l’œuvre constitue une fausse œuvre ou « faux intégral » : il s’agit d’une fraude en matière artistique.

La fraude en matière artistique est sanctionnée par une loi pénale spéciale dite loi Bardoux du 9 février 1895. L’application de ce texte est toutefois limitée : il couvre seulement les catégories d'œuvres dits des « beaux-arts » (peinture, sculpture, dessin, gravure, musique) et au sein de celles-ci, celles qui ne sont pas tombées dans le domaine public et sont signées. Les sanctions sont également restreintes : 2 ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende.

La fausse œuvre peut également constituer une contrefaçon, lorsqu’elle reproduit l’œuvre ou des éléments originaux d’une œuvre originale, sans autorisation de son auteur. En revanche, elle échappe à l’emprise du droit d’auteur, lorsqu’elle constitue un « faux intégral », précisément parce qu’elle ne copie pas une œuvre ou des éléments originaux directement conçus par l’artiste.

Nota bene : le 16 mars 2023, le Sénat a adopté une proposition de loi en portant réforme de la loi Bardoux. Cette proposition tend à mieux protéger le marché de l’art, qui subit le fléau de la circulation de faux (7). Cela passe, notamment, par l’extension du champ d’application du texte (il vise notamment tous les supports de l’art, y compris des modes d’expression artistique appelés à apparaitre dans le futur), et le durcissement des peines encourues (il les aligne sur celles sanctionnant l'escroquerie : cinq ans de prison et 375 000 euros d'amende). Cette proposition de loi a été accompagnée de la conduite d’une mission dédiée aux faux artistiques, dont le récent rapport porteur de nombreuses recommandations à l’attention du gouvernement vient d’être publié (8).

Dès lors, la réalisation d’œuvres pour le cinéma, qu’il s’agisse de reproductions identiques, d’adaptation ou de créations « dans le style de » soulève la question de l’« après » tournage. Afin de prévenir tout risque qu’elles intègrent le marché de l’art, il conviendra de prévoir qu’elles soient détruites à l’issue du tournage, ou que leur nature soit clairement identifiée, par exemple, avec la mention « copie » au dos de l’œuvre. 

Nos recommandations :

-> Si vous avez pour projet de réaliser / produire un film dans lequel des œuvres d’art originales seront reproduites :

  • Si l’œuvre n’est pas dans le domaine public : vous devez obtenir l’autorisation de l’auteur de l’œuvre ou de ses ayants droit et conclure un contrat qui prévoit l’ensemble des prérogatives qui vous sont accordées, à défaut les œuvres produites pour le film seront considérées comme contrefaisante ;

  • Que l’œuvre soit tombée dans le domaine public ou pas : vous devez veillez à respecter les droits moraux de l’artiste, en particulier lorsque vous souhaitez adapter l’œuvre pour les besoins du film.

-> Si vous êtes un artiste / ayant droit contacté avant la réalisation d’un film : veillez à conclure un contrat prévoyant toutes les conditions et contreparties associés à l’exploitation des œuvres et de demander à avoir un droit de regard sur les œuvres en cas d’adaptation.

-> Si vous êtes copiste d’œuvres pour un film : en principe, vous ne disposez pas de droit d’auteur sur vos créations, prévoyez contractuellement l’ensemble des prérogatives qui vous seront accordées et vérifiez que tous les droits portant sur les œuvres ont bien été cédés et que les droits moraux de l’artiste de l’œuvre originale seront respectés, au risque d’être coupable de contrefaçon ou même d’être considéré comme un faussaire !

 

SOURCES

(1) Article L.111-1 Code de la propriété intellectuelle : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000042814694

(2) Article L.123-1 Code de la propriété intellectuelle : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006278937

(3) Article L.122-3 Code de la propriété intellectuelle : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006278907

(4) Article L.121-1 Code de la propriété intellectuelle : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006278891

(5) Jurisprudence Christo, TGI Paris, 13 mars 1986

(6) Article 4 Loi Bardoux : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000512607

(7) Proposition de loi portant réforme de la loi du 9 février 1895 sur les fraudes en matières artistiques : https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl22-177.html#timeline-1

(8) Rapport de mission sur les faux artistiques : https://www.culture.gouv.fr/Nous-connaitre/Organisation-du-ministere/Conseil-superieur-de-la-propriete-litteraire-et-artistique-CSPLA/Travaux-et-publications-du-CSPLA/Missions-du-CSPLA/Rapport-de-mission-sur-les-faux-artistiques

28.03.2024

L’affiche officielle des Jeux Olympiques : un millefeuille de droits de propriété intellectuelle

Le 4 mars, le Comité d’Organisation des Jeux Olympiques (« COJO ») dévoilait son affiche officielle pour l’édition de Paris 2024. Pour la première fois, les affiches des olympiades et des jeux paralympiques sont présentées dans un ensemble. Elles sont le fruit du travail d’Ugo Gattoni, dessinateur français.

Son œuvre a fait scandale à plusieurs titres, notamment la modification des édifices patrimoniaux parisiens, en particulier la disparition de la croix du Dôme des Invalides ou encore l’absence de certaines villes hôtes accueillant les épreuves (telles que Lille).

Cette actualité interroge sur les obligations qui s'imposaient au dessinateur pour la réalisation de son œuvre. Elle est également l’occasion de s’intéresser à la titularité et aux conditions d’exploitations de l’œuvre, mais aussi aux conditions d’exploitations des signes distinctifs reproduits sur l’affiche.

1 – Les obligations graphiques de l’affiche officielle

Le COJO est, depuis 1912, chargé d’assurer la promotion de chaque édition des Jeux. Soumise aux indications du Comité International Olympique (« CIO »), l’organisation a pour vocation de transmettre les valeurs olympiques et la vision du mouvement, à savoir « Bâtir un monde meilleur avec le sport ». La transmission de ces valeurs passe, notamment, par la réalisation d’une affiche officielle.

La Charte olympique, qui codifie les principes fondamentaux des Jeux, précise en sa règle 50.2, que les Jeux Olympiques ne peuvent servir à véhiculer une « promotion religieuse, politique ou encore raciale » (1). À cela s’ajoute le principe de laïcité du service public, mission dont le COJO est investi (2).

Ainsi, l’artiste, sélectionné par le directeur artistique de cette édition 2024, Joachim Rocin, a usé de sa liberté créatrice et pris le parti de réaliser une affiche qui se distingue de ses prédécesseurs, avec une profusion inhabituelle de détails, un souci d’exhaustivité, loin de la sobriété traditionnelle.

Cette affiche soulève des questions de propriété intellectuelle à plusieurs égards qu’il convient d’envisager.

2 – Les droits de propriété intellectuelle afférant à l’affiche officielle

Selon la règle 7 de la Charte olympique, le CIO détient les droits sur les propriétés olympiques, dont l’affiche officielle fait partie (règle 7.4) (3).

Il convient de distinguer la protection accordée à l’affiche au titre du droit d’auteur et de la protection reconnue aux signes distinctifs incorporés à l’affiche, sur le fondement du droit des marques.

A) La titularité des droits d’auteur sur l’affiche

Le droit d’auteur permet la protection de la création originale constituée par l’affiche, ab initio, détenue (sauf dans des cas spécifiques, telles que les œuvres collectives) par l’auteur de l’œuvre (4). Pour ce qui est de l’affiche officielle des JO de Paris, Ugo Gattoni devrait ainsi, détenir les droits d’auteur portant sur l’affiche.

Toutefois, si l’affiche officielle résulte d’un contrat de commande passé par le COJO, en ce qu’il devrait s’agir d’une « création ou objet commandés en relation avec les Jeux Olympiques, par le CIO, les CNO et/ou le COJO » (règle 7.4 de la Charte olympique), il doit exister une présomption de cession des droits d’auteur. L’article L.132-31 du Code de la propriété intellectuelle dispose en effet que : “Dans le cas d'une œuvre de commande utilisée pour la publicité, le contrat entre le producteur et l'auteur entraîne, sauf clause contraire, cession au producteur des droits d'exploitation de l'œuvre" ; le rôle de l’affiche officielle de la compétition étant publicitaire.

Ainsi, le CIO, détiendrait les droits y afférant puisqu’il est propriétaire de l’ensemble des propriétés olympiques désignées à l’article 7.4 de la Charte olympique, dont font partie les créations commandées pour les Jeux. Des licences sur ces droits peuvent par la suite être cédées par le CIO aux Comité national hôte (“CNO”) et au COJO, selon leurs besoins (article 19.2 Contrat ville hôte) (5).

Dans les faits, le CIO autorisera ainsi la ville, le CNO et le COJO hôtes à utiliser et exploiter l’'affiche réalisées sur commande pour les Jeux dans le cadre de la publicité et de la promotion des Jeux. L’affiche incorpore également d’autres propriétés olympiques, lesquelles sont protégées par le droit des marques.

B) Le droit des marques

On peut constater sur l’affiche, l’incorporation de plusieurs signes distinctifs : les anneaux, les flammes, le terme « Jeux Olympiques », etc.

Il s’agit de « propriétés olympiques », à savoir le symbole, le drapeau, la devise, l’hymne, les identifications et les désignations, la flamme et les roches olympiques, dont les droits sont détenus par le CIO, et qui représentent l’identité visuelle du mouvement (règle 7.4 Charte Olympique). Ces dernières bénéficient de la protection du droit des marques qui confère à leur propriétaire certains droits exclusifs.

En l’espèce, on note que le CIO a notamment déposé les marques suivantes, « Olympic » No. 1128501A ; « Olympiad » No.1128499 ; « Anneaux olympiques » No. 2970366 ; « Agitos » No. 003481074 ; ainsi que des emblèmes tels que celui de l’édition 2024, enregistré sous le numéro 1527944.

Le COJO a également déposé des marques, dont les emblèmes olympiques aux numéros FR No. 204693482 et FR No. 204707713, des slogans, les mascottes aux numéros FR No. 22 4912224 et FR No. 22 4912156, et les millésimes aux numéros FR No. 113875475 et FR No. 224862037 (6).

Renforçant la protection des propriétés olympiques, les juges ont pu reconnaître à certaines le statut de marques notoires au sens de l’article L.713-5 du Code de la propriété intellectuelle (7). C’est le cas par exemple du terme « Jeux olympiques ». Ce statut permet ainsi d’engager la responsabilité civile de celui qui en fait une utilisation sans l’accord de son propriétaire, y compris pour des produits et services différents de ceux pour lesquels la marque est enregistrée, sous certaines conditions, contrairement au principe de spécialité applicable en droit des marques .

Enfin, le Code du sport reconnaît une protection spéciale aux propriétés olympiques. Le CNO est en effet propriétaire des emblèmes nationaux, et dépositaire des marques déposées par le COJO. Ledit code prévoit la condition d’exploitation des propriétés olympiques : toute utilisation nécessite l’autorisation expresse du CNO (8) (9).

Ces différents niveaux de protection permettent au CIO, ainsi qu’aux CNO et COJO de contrôler strictement les exploitations non autorisées de leurs signes exclusifs.

La -déjà- fameuse affiche de l’édition 2024 des Jeux constitue, en droit, un millefeuille de propriétés intellectuelles.

 

SOURCES :

(1)   Règle 50.2 Charte olympique : https://stillmed.olympics.com/media/Document%20Library/OlympicOrg/General/FR-Olympic-Charter.pdf

(2)   https://cada.data.gouv.fr/20191480/

(3)   Règle 7.4 Charte Olympique : https://stillmed.olympics.com/media/Document%20Library/OlympicOrg/General/FR-Olympic-Charter.pdf

(4)   Article L.111-1 Code de la propriété intellectuelle : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000042814694

(5)   Article 19.2 Contrat ville hôte : https://stillmed.olympic.org/media/Document%20Library/OlympicOrg/Documents/Host-City-Elections/XXXIII-Olympiad-2024/Contrat-ville-hote-Principes-pour-les-Jeux-de-la-XXXIII-Olympiade-2024.pdf

(6)   https://blip.education/la-protection-speciale-des-proprietes-olympiques-et-paralympiques-en-france

(7)   Article L.713-5 Code de la propriété intellectuelle : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000039381593

(8)   Article L.141-5 Code du sport : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000045293985

(9)   Article L.141-7 Code du sport : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000045293978

07.03.2024

Les collaborations entre artistes et maisons de mode : œuvres de collaboration ou œuvres collectives ?

Du 29 février au 5 mars 2024, s’est déroulée la Fashion Week de Paris. À l’occasion de la présentation de leurs nouvelles créations, certaines maisons de mode ont révélé des collaborations créatives avec des artistes.

Ainsi, Jean-Paul Gaultier a confié l’ensemble de la réalisation de la collection Haute Couture à la créatrice Simone Rocha, lui laissant carte blanche. Chez Issey Miyake, l’artiste Ronan Bouroullec a réalisé des motifs abstraits reproduits sur les vêtements de la marque. Une partie des vêtements, accrochés tels des peintures sur les murs blancs du Palais de Tokyo, a servi de décor pour le défilé.

Ces deux exemples illustrent les deux formes principales que peuvent prendre les collaborations artistiques : soit la maison de mode invite un artiste pour qu’il réalise tout ou partie de la collection, soit l’artiste créée une œuvre spécifique qui sera apposée sur les vêtements d’une collection.

En droit français, elles se traduisent par deux qualifications : l’œuvre collective et l’œuvre de collaboration – dont la distinction s’impose compte tenu du régime juridique qui en résulte, notamment quant à la titularité des droits d’auteur.

Cet article est l’occasion de les passer en revue et de rappeler l’importance d’encadrer, précisément, l’exploitation des droits dans le cadre de ces collaborations artistiques plurales.

1 – Distinction entre œuvre collective et œuvre de collaboration

En droit français, le Code de la propriété intellectuelle (le « CPI ») distingue différentes formes d’œuvres dites plurales, selon le degré de participation des auteurs à sa création. Ainsi, l’article L.113-2 (1) dudit code dispose que « Est dite de collaboration l’œuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques.

Est dite collective l’œuvre créée à l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participants à son élaboration se fond dans un ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé ».

Si un artiste est invité à créer indépendamment une œuvre qui sera apposée sur un vêtement commercialisé par une maison de mode, il s’agira a priori d’une œuvre de collaboration composée des collaborations distinctes et individualisables de chacun des intervenants à l’œuvre.

C’est le cas, a priori, dans l’exemple précité de Ronan Bouroullec pour Issey Miyake : l’artiste est auteur des œuvres apposée sur les vêtements et, protégées par l’article L.111-1 du CPI (2), tandis que la maison de mode est titulaire des droits d’auteur portant sur les vêtements dans le cas où ceux-ci sont considérés comme des œuvres originales (empreints de la personnalité). La maison de mode pourra également être titulaire de droits de dessin et modèles protégés par l’article L.511-1 du même code (3).

A l’inverse, si une maison de mode fait appel à un artiste pour réaliser un ou plusieurs articles d’une collection et que (i) la contribution de l’artiste se fond dans un ensemble (généralement compte tenu de l’intervention de toute une équipe créative), que (ii) la maison donne à l’artiste des instructions précises (le plus souvent sous la forme d’un brief), (iii) contrôle le travail effectué (par exemple, en lui demandant de modifier tel ou tel élément de l’œuvre), (iv) divulgue l’œuvre sous le nom de la maison, et que (v) les vêtements réalisés portent l’ADN de la maison, les œuvres - à supposer qu’elles soient originales – pourront être qualifiées d’œuvres collectives au sens de l’article L.113-2 CPI.

Toutefois, une maison qui souhaiterait utiliser un motif empreint de la personnalité d’un auteur, doit, préalablement, obtenir l’accord de ce dernier. L’artiste doit céder ses droits patrimoniaux et conserve, quoi qu’il en soit, ses droits moraux sur le motif (donc la paternité, le droit de repentir, le droit de divulgation et le droit au respect de son œuvre).

Ces situations soulèvent la question de la titularité des droits d’auteur sur le vêtement, et le motif apposé.

2 – La titularité des droits d’auteur d’une œuvre de collaboration

Le CPI pose un principe de présomption de titularité des droits d’auteur : l’auteur est « celui ou ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée ».

Plus spécialement, s’agissant des œuvres de collaboration, l’article L.113-3 du même code (4) prévoit que « L’œuvre de collaboration est la propriété commune des coauteurs ». Ces derniers doivent exercer leurs droits d’un commun accord, étant toutefois précisé que, les contributions personnelles peuvent être exploitées individuellement, à la condition que les participations, soient de genres différents.

La cour d’appel de Paris a ainsi autorisé un directeur artistique à agir en contrefaçon contre un artiste tiers ayant reproduit sa mise en scène, sans que l’accord du photographe qui avait photographié son œuvre soit nécessaire, « dès lors que sa contribution était individualisable » (5) , et que l’action en contrefaçon ne concernait que la mise en scène, et non le résultat photographié.

Dans les cas de la collaboration entre Issey Miyake et Ronan Bouroullec, les participations du designer et du créateur relèvent, a priori, de genres différents. En effet, la maison réalise le vêtement en tant que tel, tandis que l’artiste réalise l’œuvre apposée sur ce dernier.

Chaque partie devrait alors pouvoir exploiter individuellement sa contribution personnelle, mais elles devront s’accorder pour exercer unanimement les droits sur l’ensemble de l’œuvre.

En réalité, cette situation nécessite un encadrement méticuleux pour favoriser l’exploitation des droits d’auteurs dans le cadre d’un accord de collaboration, avec cession de droits, au profit de la maison de mode.

3 – La nécessité d’encadrer l’exploitation des droits d’auteur d’une œuvre de collaboration

L’article L.113-3 du CPI prévoit une propriété commune, laquelle nécessite un exercice unanime des droits. Ainsi, soit les parties exercent ensemble leurs droits d’auteur, soit l’une cède à l’autre ses droits patrimoniaux par un contrat de cession (les droits moraux d’auteur étant incessibles), ce qui est le cas dans la grande majorité des situations.

Dans le cadre d’une collaboration entre un artiste et une marque pour une collection de mode, l’artiste cédera ainsi dans la majorité des cas, ses droits patrimoniaux à la marque, qui distribuera et promouvra le résultat de la collaboration.

Il convient alors pour les parties de conclure un contrat de collaboration avec cession de droits. Ce contrat doit prévoir les conditions d’une telle cession, avec notamment, la nature des droits cédés (pour faciliter le défilé, l’artiste cèdera ses droits de représentation, et pour la publicité ainsi que la mise en vente, ses droits de reproduction portant sur l’œuvre apposée), la durée de la cession (une collection/une saison, ou plusieurs saisons), l’étendue géographique. Le contrat devra également être clair sur la participation précise des parties et notamment de l’artiste, non seulement lors de la conception de l’œuvre (a-t-il un droit de regard sur l’article final ?) mais également lors de la promotion (participe-t-il au défilé ? À la campagne promotionnelle ? L'artiste a-t-il une obligation de communiquer sur ses réseaux sociaux ? Etc.)

Le contrat prévoira également nécessairement les conditions de rémunération de l’artiste. L’article L.131-4 du CPI (6) énonce, à cet égard, qu’en cas de cession de droits, la rémunération est en principe  « proportionnelle aux recettes provenant de la vente ou de l’exploitation », sauf lorsque « la base de calcul de la participation proportionnelle ne peut être pratiquement déterminée » ou que « la nature ou les conditions de l’exploitation rendent impossible l’application de la règle de la rémunération proportionnelle ».

 

4 – Pour les maisons de mode, l’opportunité d’une qualification d’œuvre collective

L’œuvre collective définie par le CPI est une œuvre créée à l’initiative d’une personne, qui la publie et la divulgue sous son nom. Cette œuvre collective est réalisée avec la participation d’autres contributeurs. Sa spécificité est que la contribution des différents contributeurs ne peut être identifiée dans l’ensemble que constitue l’œuvre finale.

C’est généralement le cas lorsqu’une maison de mode fait appel à un artiste designer, lui donne des instructions claires, et contrôle son travail, qui se fond dans un ensemble de contributions des différents membres de son équipe créative. La maison divulguera alors l’œuvre sous son nom, et la commercialisera.

Dans ce cas précis, il ne devrait pas y avoir de cession de droits obligatoire à prévoir puisque l’artiste ayant concouru à la réalisation de la collection n’est pas, à proprement parlé, coauteur des œuvres. Les droits sont ab initio détenus par la maison de mode qui divulgue la création : il s’agit d’une œuvre dite « collective ».

Les parties devront toutefois conclure un contrat – généralement contrat de prestation de service – qui devra mentionner expressément la qualification d’œuvres collectives.

Toutefois, si cette qualification ne pouvait être retenue (par exemple car la contribution du designer serait facilement identifiable, car la maison n’aurait pas donné d’instructions claires, ni contrôlé le travail du designer), la maison de mode peut se protéger en incluant dans le contrat une clause « balais » de cession de droits d’auteur.

Aux termes de l’article L.131-1 du CPI (7), « la cession globale des œuvres futures est nulle ». Dès lors, le la cession de droit devra préciser que la cession est réalisée, au fur et à mesure de la réalisation des créations.

Nos recommandations :

  • Vous êtes une maison de mode :

    •   En cas d’œuvre de collaboration : prévoyez dans le contrat une cession de droits suffisamment large pour vous permettre d’exploiter la collection, ainsi que les obligations de l’artiste avec lequel vous collaborez (en matière le cas échéant de collaboration à la conception finale, de participation au défilé, de communication, etc).

    • En cas d’œuvre collective :

      • Conservez la preuve écrite de votre implication (instructions données au designer, contrôle, ADN de la Maison présent dans l’œuvre...) lors de la conception ;

      • Pensez à inclure une clause dite « balai » qui prévoit, en cas de refus de qualification d’œuvre collective, qu’il y a tout de même cession de droits (à nouveau, celle-ci doit être précisément définie) au fur et à mesure de la réalisation des créations.

 

  • Vous êtes artiste :

    • En cas d’œuvre de collaboration : vérifiez les conditions dans lesquelles vous cédez vos droits patrimoniaux (durée, étendue géographie, rémunération, etc.) et le cas échéant, les possibilités pour vous d’utiliser votre œuvre individuellement ;

    • En cas d’œuvre collective : vérifiez les conditions de la prestation demandée et que la qualification d’œuvre collective est effectivement possible.

 

SOURCES :

1 - Article L.113-2 du Code de la propriété intellectuelle - https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006278882

2 - Article L.111-1 du Code de la propriété intellectuelle - https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000042814694

3 - Article L.511-1 du Code de la propriété intellectuelle - https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006279306

4 - Article L.113-3 du Code de la propriété intellectuelle - https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006278883

5 - Cour d’appel, Paris, Pôle 5, chambre 1, 23 février 2021, n°19/09059 - https://www.doctrine.fr/d/CA/Paris/2021/C9CFC202EC2E0AD3EA656

6 - Article L.131-4 du Code de la propriété intellectuelle - https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006278963

7 – Article L.131-1 du Code de la propriété intellectuelle - https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006278955

29.02.2024

La menace de la destruction d’œuvres par l’artiste russe Andreï Malodkin : l’art comme outil de revendication 

L’artiste russe installé en France, Andreï Malodkin, menace de détruire un ensemble d’œuvres d’art majeures en l’absence de preuve de vie de Julian Assange. Le dernier recours du lanceur d’alerte est en train d’être examiné par les juridictions britanniques avant qu’il ne soit extradé vers les États-Unis en vue de son procès pour espionnage.

Andreï Malodkin affirme être en possession de seize œuvres d’artistes renommés tels que Pablo Picasso, Andy Warhol, Rembrandt, et d’autres contemporains.

Cette affaire permet de revenir sur le sujet de la destruction d’œuvres d’art à l’aune du droit français, mais également sur la valeur de la destruction de l’art comme moyen d’expression.

I.               La destruction d’œuvres d’art au regard du droit  

Le droit, lui-même, prévoit la destruction d’œuvres d’art, tout autant qu’il la condamne.

 A.    La destruction comme sanction prévue par le droit

La destruction d’une œuvre est une sanction possible, en raison de son caractère contrefaisant, tant en matière civile qu’en matière pénale.

Civilement, l’article L.331-1-4 du Code de la propriété intellectuelle prévoit qu’« en cas de condamnation civile pour contrefaçon, (…), la juridiction peut ordonner, à la demande de la partie lésée, que les objets réalisés ou fabriqués portant atteinte à ces droits (…) soient détruits ou confisqués au profit de la partie lésée. » (1)

Pénalement, l’article L.335-6 dudit Code dispose, de la même manière, qu’en cas de condamnation pour une infraction de contrefaçon, la juridiction peut ordonner la destruction des objets illicites. (2)

En tout état de cause, les juges ont un pouvoir d’appréciation souverain quant à la proportionnalité d’une telle sanction. De ce fait, ils peuvent l’écarter si un autre procédé permet d’arriver aux mêmes fins. Tel a été le cas dans une décision de la Cour de cassation du 24 novembre 2021 portant sur un faux Chagall. Dans cet arrêt, la Cour a estimé que la destruction présentait un caractère « disproportionné » et que la mention « reproduction » suffisait pour faire cesser la contrefaçon pour l’avenir (4).

Lorsqu’une œuvre est considérée comme fausse au sens de la loi Bardoux du 9 février 1895, elle peut être confisquée et ainsi dévolue à l’État. Dans cette situation, l’article L.3211-19 du Code général de la propriété des personnes publiques s’applique et prévoit que les œuvres confisquées peuvent être détruites (3). Le projet de réforme de la loi Bardoux, en cours d’examen, propose, par ailleurs, d’ouvrir la faculté au juge ou à l’auteur de l’œuvre (ou de son ayant droit) de décider de la destruction de l’œuvre frauduleuse.  

B.    La destruction sanctionnée par le droit

L’œuvre d’art, en tant que bien distinct, bénéficie de diverses protections juridiques.

 De façon générale, la destruction d’un bien appartenant à autrui est puni de 2 ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende selon l’article 322-1 du Code pénal (5). Cette sanction est renforcée lorsque le bien en question est un immeuble ou un objet mobilier classé ou inscrit au titre des monument historiques (6).

L’œuvre d’art bénéficie d’une protection renforcée, grâce aux mécanismes du droit d’auteur.  En effet, le droit moral détenu par tout  auteur d’une œuvre de l’esprit originale, comprend le droit au respect de l’intégrité de ladite œuvre. Ce droit implique, par définition, de ne pas détruire l’œuvre. La jurisprudence a admis des exceptions dans des circonstances tout à fait exceptionnelles telles qu’une « destruction imposée par des considération de sécurité, notamment liées à la fréquentation par des enfants en âge scolaire » (CA Aix-en-Provence, pôle 3, ch.1, 8 décembre 2022, RG n°19/11225).  

La légitimité du droit de décider que certaines œuvres pourraient être détruites plutôt que d’autres repose sur l’idée que la loi constitue l’expression souveraine du peuple. Mais, pour certains la destruction d’œuvre d’art est tout aussi légitime lorsqu’elle vise à exprimer une idée, parfois, politique.

II.             L’art comme outil d’expression

L’art, notamment la destruction d’œuvres d’art, a toujours servi de moyen d’expression pour véhiculer des idées politiques ou sociétales.

Les récents conflits armés illustrent ce phénomène. En 2001, les talibans afghans ont détruit les fameux Bouddhas de Bamiyan pour dénoncer l’iconoclasme de ces figures et souligner l’isolement de l’Afghanistan sur la scène internationale. De façon générale, de nombreux sites culturels ont été détruits dans les zones de conflit, notamment en Ukraine, où 343 sites ont été endommagés, voire détruits, depuis le 24 février 2022. En Syrie, au moins 300 sites ont été détruits depuis 2011, dont certains inscrits au Patrimoine mondial de l’humanité (vieilles villes d’Alep, de Bosra, de Damas, etc.).

 Andreï Molodkine, lui, inscrit cette éventuelle destruction dans le cadre d’une performance artistique engagée baptisée « Dead Man’s Switch ». La destruction performative n’est pas nouvelle – comme en témoigne l’autodestruction de La Fille au ballon de Bansky devant la salle de vente de Sotheby’s à Londres ou la performance « Cremation » de John Baldessari, qui a consisté à brûler toutes ses œuvres. L’exercice, par un auteur, de son droit moral pourrait en effet légitimer la destruction de sa propre œuvre. En revanche, lorsque cette même œuvre appartient à un tiers propriétaire, cette destruction nécessiterait  son consentement.  

 L’œuvre d’art utilisée comme un moyen de pression ne concerne pas uniquement des particuliers engagés. Cette question a également été soulevée au début du conflit en Ukraine, lorsque des sanctions contre la Russie remettaient en cause le retour de la Collection Morozov. Cependant, l’importance, en France, du principe de l’inaliénabilité des collections d’art ont conduit au rapatriement de la Collection, à l’exception de deux œuvres appartenant à des oligarques russes visés par le gel de leurs avoirs, ainsi qu’une œuvre appartenant à un musée ukrainien.

Nos recommandations :

  • Vous souhaitez détruire une œuvre d’art contrefaisante : sollicitez une action en justice pour obtenir cette décision, en vous faisant accompagner par un conseil qui vous permettra de justifier qu’il s’agit de la seule solution pour faire cesser la contrefaçon.

  • Vous souhaitez détruire une œuvre d’art dans un but politique : une telle destruction est passible de sanctions pénales et civiles en raison de l’atteinte porté au bien en tant que telle, mais également à l’œuvre d’art au sens du Code de la propriété intellectuelle.

  • Vous êtes auteur d’une œuvre et souhaitez la détruire :

    • Tant que vous êtes propriétaire : vous avez la possibilité de la modifier ou de la détruire.

    • Quand l’œuvre appartient à un tiers : vous avez, en principe, toujours cette faculté, sous réserve en principe de l’autorisation de son propriétaire et en l’indemnisant.

    • En cas de contrefaçon / faux : vous pouvez obtenir la destruction de l’œuvre si et seulement si le juge prononce cette sanction ou que l’État prend cette décision après confiscation de l’œuvre fausse.  

 

(1)  Article L.331-1-4 du Code de la propriété intellectuelle - https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006279275/2024-02-23/

(2)  Article L.335-6 du Code de la propriété intellectuelle - https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006279193

(3)  Article L.3211-19 du Code général de la propriété des personnes publiques - https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006361440/2024-02-23/

(4)  Cass. 1ère civ., 24 novembre 2021, n°19-19.942 - https://www.courdecassation.fr/decision/619de43eb458df69d4022a3a

(5)  Article 322-1 du Code pénal - https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000047053456#:~:text=%2D%20La%20destruction%2C%20la%20dégradation%20ou,résulté%20qu%27un%20dommage%20léger.

(6)  Article 322-3-1 du Code pénal - https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000032860817

 

12.02.2024

Cru juridique : la cession de droits d’auteur à nouveau admise par les juges du fond

Le 11 janvier 2024, la cour d’appel de Bordeaux a rendu une décision portant sur une cession de droits d’auteur entre deux sociétés (1).

L’affaire concerne une société de négoce de spiritueux, qui a collaboré, pendant vingt ans, avec une société de design, responsable de la création de l’univers graphique de certaines bouteilles. Au terme de leur collaboration, la société de design propose une cession en bonne et due forme de ses droits d’auteur, ce que refuse la société de négoce. Malgré cela, la société de négoce continue d’exploiter les créations. Mécontente, la société de design intente une action en justice, alléguant une contrefaçon de ses droits d’auteur par la société de négoce. Cette dernière se défend en arguant que les droits litigieux lui ont été cédés implicitement, contestant ainsi la recevabilité de la demande.  

C’est dans ce contexte que la cour d’appel de Bordeaux a été appelée à se prononcer sur la possibilité de reconnaître une cession implicite de droits patrimoniaux d’auteur.

I. Le raisonnement admettant une cession implicite de droits d’auteur

La cour d’appel revient sur le formalisme de principe d’une cession de droits d’auteur, tel qu’imposé par les articles L.131-2 et L.131-3 du Code de la propriété intellectuelle (ci-après « CPI ») (2).

Conformément à ces textes, toute cession de droits d’auteur doit être formalisée par un contrat écrit qui précise chacun des droits cédés par une mention distincte, et délimite leur domaine d’exploitation quant à son étendue, sa destination, son territoire et sa durée. La position de la jurisprudence était jusqu’alors d’exclure toute possibilité de cession implicite de droits d’auteur (3).

En l’espèce, la cour d’appel écarte cette solution constante dans le cadre d’une relation entre deux sociétés commerciales.

 En ce qui concerne l’article L.131-2 du CPI, la cour d’appel affirme que l’exigence d’un écrit en matière de cession de droits d’auteur cède face au principe de liberté de la preuve entre commerçants. Quant à l’article L.131-3 du CPI, elle soutient que les dispositions relatives à la preuve des contrats d’exploitation des droits patrimoniaux de l’auteur s’appliquent exclusivement aux rapports qu’entretiennent l’auteur et son cocontractant, et sont donc inapplicables à un litige opposant deux commerçants dont l’un se prétend cessionnaire. Dans une décision du 13 octobre 1993, la Cour de cassation avait déjà circonscrit le champ d’application de l’article L.131-3 du Code de la propriété intellectuelle en écartant les relations entre les cessionnaires des droits et des sous-exploitants (4).

La cour d’appel reconnaît donc la cession implicite en se basant sur plusieurs éléments :

  • Les créations sont nées à la suite d’une commande destinée à une production industrielle et une commercialisation dans le monde entier, impliquant inévitablement leur reproduction ;

  • En sa qualité de professionnel, la société créatrice ne pouvait ignorer que les éléments créatifs seraient diffusés et reproduits, ce qui a d’ailleurs été le cas tout au long de leur longue collaboration, sans contestation ;

  • Les devis de la société créatrice comportaient une clause suggérant que le paiement du prix opérait une cession de droit.

Ainsi, les juges font preuve d’une grande souplesse en matière de moyens de preuve quant à la cession consentie, dans un litige opposant deux commerçants. Néanmoins, il est essentiel de souligner que la cession implicite ne peut être dès lors considérée comme automatique : la reconnaissance de la cession dans cette affaire est conditionnée par l’appréciation d’un faisceau d’indices important et étudié en détail par la cour d’appel.  

II. Les conséquences d’une cession implicite de droits d’auteur

La reconnaissance par la cour d’appel de Bordeaux de la cession implicite de droits d’auteur a des conséquences importantes.

Premièrement, elle empêche la société créatrice d’agir en contrefaçon : elle ne peut pas agir en justice contre l’exploitation de droits qui ne lui appartiennent plus, dès lors qu’ils ont été, « implicitement » cédés à la société les exploitant.

Il convient de tirer tous les enseignements d’une telle décision. Pour rappel, du fait même de la création, l’auteur d’une œuvre originale dispose sur cette dernière de droits d’auteur comprenant des prérogatives morales et patrimoniales. Ce sont uniquement ces droits patrimoniaux qui peuvent être cédés. En l’absence de cession de droit (ou dans le cas où l’exploitation dépasse le cadre de la cession prévue), le titulaire des droits d’auteur peut interdire ladite exploitation sans autorisation, en agissant, notamment, en contrefaçon. Néanmoins, compte tenu de cette décision il apparaît que l’absence de contrat ne justifie plus l’absence de cession, du moins entre deux commerçants et lorsqu’un faisceau d’indices laisse entendre une intention commune des parties de conclure une cession.

Il est donc essentiel de formaliser de façon claire et précise toute exploitation d’une création protégée par le droit d’auteur. La jurisprudence semble aller dans le sens d’un assouplissement des conditions formelles de la cession de droits d’auteurs, ouvrant ainsi la possibilité d’étendre la reconnaissance de cessions implicites.

Cependant, il convient également de nuancer ce propos. La décision de la cour d’appel de Bordeaux n’a pas été confirmée par la Cour de cassation et doit donc être appréhendée avec prudence. Le délai pour former un pourvoi de cassation n’étant pas encore écoulée, cette décision n’est pas définitive (2 mois à compter de la décision d’appel). De plus,  cette décision est justifiée par les différents éléments de la  relation entre deux commerçants. En dehors, de cette situation il est difficilement admissible qu’une telle conclusion soit tirée par les juges.

Nos recommandations :

Vous êtes une société commerciale souhaitant exploiter une création : avant de commencer l’exploitation, assurez-vous de conclure un contrat de cession de droits en bonne et due forme (il peut s’agir d’un contrat de commande, ou de prestation de service, incluant une cession de droits précise). Ce contrat doit obéir au formalisme imposé par les dispositions du Code de la propriété intellectuelle. L’exploitation de la création doit se limiter aux modalités contractuelles.  

Vous êtes à l’origine de la création d’une œuvre originale et commerçant : avant de délivrer votre création, assurez-vous de conclure un contrat de cession de droits en bonne et due forme en circonscrivant, autant que possible, les modalités de la cession. Examinez attentivement chacune des clauses de cession ainsi que les contreparties qui vont sont accordées.

(1)  Cour d’appel de Bordeaux, 11 janvier 2024, n°23/02805

(2)  Articles L.131-2 et L.131-3 du Code de la propriété intellectuelle

(3)  Cass. 1ère civ., 28 novembre 2000, n°97-20.653 ; Cass. 1ère civ., 13 novembre 2014, n°13-22.401

(4)  Cass., 1ère civ., 13 octobre 1993, 91-11.241

02.01.2024Installation de La Verticale de Jacques Zwobada dans un parc des Hauts-de-Seine : la protection des œuvres d’art en plein air

Le 12 décembre 2023, dans le parc André Malraux à Nanterre, a été officiellement inaugurée une réplique de la sculpture monumentale intitulée La Verticale de Jacques Zwobada, mesurant 10 mètres de haut et pesant 6,5 tonnes. L’œuvre originale, conçue en 1955, est conservée au Centre Georges-Pompidou à Paris. La réplique en bronze a été réalisée par la Fonderie de Coubertin sous le contrôle de la fille de l’artiste. En février 2020, cette dernière avait cédé au département des Hauts-de-Seine, commanditaire de la réplique, les droits patrimoniaux portant sur l’œuvre. (1)

La Verticale rejoint ainsi la collection d’œuvres monumentales en plein air implantées par le département des Hauts-de-Seine sur son territoire, afin de rendre ces œuvres d’art accessibles au plus grand nombre. Cette volonté d’accessibilité, conduisant les pouvoirs publics à installer des œuvres en plein air, se trouve confrontée à l’impératif de les protéger, alors qu’elles sont exposées à des risques bien plus importants que lorsqu’elles sont conservées en intérieur.

1.Les obligations du département des Hauts-de-Seine

La Verticale a été commandée par le département des Hauts-de-Seine, qui en est donc devenu propriétaire. En cette qualité, il lui incombe des obligations de conservation préventive et le cas échéant, de restauration de l’œuvre au risque de porter atteinte au droit moral de l’artiste.

L’obligation d’entretenir l’œuvre dans son état initial s’impose aux personnes publiques. L’entretien de l’œuvre ne peut toutefois porter atteinte au droit moral de l’artiste ; elles ne peuvent donc apporter des modifications à l’œuvre que si celles-ci sont « rendues strictement indispensables par des impératifs esthétiques, techniques ou de sécurités publiques, légitimés par les nécessités du service public et notamment la destination de l’œuvre ou de l’édifice ou son adaptation à des besoins nouveaux ». (3)

Ainsi, la personne publique propriétaire du support matériel et, parfois titulaire des droits patrimoniaux de l’artiste lorsque ceux-ci lui ont été cédés, est tenu au strict respect du droit moral de l’artiste portant sur l’œuvre. À défaut le titulaire dudit droit pourra engager sa responsabilité, sur le fondement de la contrefaçon.

Si la fille de Jacques Zwobada, son ayant droit, a d’ores et déjà cédé les droits patrimoniaux de son père dont elle était titulaire et portant sur l’œuvre, elle reste toutefois titulaire du droit moral, incessible par nature (sauf à cause de mort).

Le département doit donc prendre en considération ce droit moral pour organiser l’entretien de l’œuvre qui, en étant installée dans l’espace public, subit nécessairement davantage de dégradations.

Selon M. Josse, commissaire du gouvernement, dans ses conclusions portant sur l’affaire Sudre (arrêt rendu par le Conseil d’État, le 3 avril 1936, dans lequel la responsabilité d’une commune avait été engagée pour avoir laissé une fontaine se dégrader sans avoir sérieusement envisagé de la restaurer) : « Lorsque c’est une collectivité publique qui achète une œuvre d’art, elle doit, bien plus qu’un particulier, veiller à ce qu’aucune atteinte ne soit portée aux droits de l’auteur. La collectivité n’est en quelque sorte, que la gardienne de l’œuvre d’art dans l’intérêt général. Elle ne peut en modifier l’expression sans violer, à la fois, les droits de l’auteur et ceux du public ». (2)

Ainsi, si le département doit faire en sorte de respecter l’intégrité de l’œuvre de Jacques Zwobada, lors de son entretien, et éventuellement de ses restaurations, l’ayant droit de l’artiste ne pourra pas prétendre à un droit à une intangibilité absolue de l’œuvre. (4)

2.La souscription complexe d’une assurance pour une œuvre en plein air

En principe, la conclusion d’un contrat d’assurance pour la protection d’une œuvre d’art par un département ne revêt pas de caractère obligatoire. En effet, chaque département conserve la liberté de décider d’assurer ou non ses biens, conformément au principe de libre administration des collectivités territoriales. (5)

Toutefois, en ce qui concerne les œuvres d’art exposées en plein air, il apparaît judicieux que les collectivités optent pour la souscription d’une assurance, afin de prévenir les risques de détérioration et par là-même une atteinte à l’intégrité de l’œuvre, et donc au respect du droit moral de l’artiste.

L’assurance des objets d’art concerne une part très réduite du marché de l’assurance. Elle a vocation à couvrir tous les dommages qui peuvent arriver à un objet d’art. La nature des œuvres peut influer sur le sinistre, tout comme leur environnement. (6)

Concernant une sculpture en bronze placée en extérieur, le premier risque réside dans son exposition à l’environnement, en particulier en raison du phénomène de corrosion qui s’accélère en extérieur. Le second risque est celui dû à son accessibilité au public, pouvant entraîner des dégradations dues au contact accidentel ou à des actes volontaires, les actes de vandalisme étant nombreux.

Pour assurer une œuvre d’art, il est nécessaire de prendre en compte toutes les composantes de l’œuvre elle-même mais également sa présentation, sa situation et son interactivité avec son environnement naturel et humain. En cas d’exposition en plein air, il convient alors de prendre en compte de nombreux risques supplémentaires, qui peuvent être exclus de certaines polices d’assurance : les dommages causés par les intempéries ; les dommages esthétiques comme les rayures, écaillures et graffitis ; les actes de vandalismes ; les dommages causés par ou résultant des animaux…

En tout état de cause, dès lors que ces risques sont plus importants dans le cas d’espèce, les primes que le département devra verser seront plus importantes.

Nos recommandations :

Vous êtes artiste, votre œuvre exposée en plein air est dégradée :

  • Vérifiez que les précautions nécessaires sont prises par l’exposant (conservation générale, restauration dans le respect des droits moraux, sécurité autour de l’œuvre, etc.) ;

  • Exigez contractuellement (dans le contrat de commande) la prise en charge par ce dernier des conséquences dommageables qui pourraient être causées à l’œuvre, ainsi que la souscription à une police d’assurance adaptée ;

Vous êtes une collectivité territoriale, vous souhaitez exposer une œuvre en plein air :

  • Conservez les preuves des précautions prises pour conserver l’œuvre, et/ou la restaurer / assurer la sécurité ;

  • Anticipez les risques d’une telle exposition en souscrivant une police d’assurance adaptée.

  • Dans le cas où un dommage est effectivement causé à l’œuvre, consultez les modalités de votre police d’assurance, afin de l’activer en faisant les déclarations pertinentes et utiles à la prise en charge du dommage et, en cas de différend, faites-vous accompagner par un conseil juridique pour appréhender les mesures à engager.

(1) Dossier de presse, département des Hauts-de-Seine, décembre 2023
(2) Le droit au respect de l’œuvre réalisée dans le cadre d’une commande publique, Jean-David Dreyfus, Professeur à l’université de Reims Champagne-Ardennes, AJDA 2006.2189
(3) CA Lyon, 20 juillet 2006, n° 02LY02163 (dans cette affaire, une commune proche de Lyon a été condamnée à dédommager un artiste dont l’œuvre, exposée en plein air, a subi des dommages portant atteinte à ses droits moraux).
(4) CE, 14 juin 1999, 181023
(5) Article L.1111-1 du Code général des collectivités territoriales
(6) L’art d’assurer les expositions temporaires, Sybille Vié, « L’argus de l’assurance », n° 7829, 20 octobre 2023

21.12.2023

La Reine des Neiges à la Comédie française : focus sur le droit d’adaptation

En 1844, Hans Christian Andersen, auteur danois, publie La Reine des Neiges. En 2013, les studios Disney font paraître le film La Reine des Neiges. En 2023, pour la deuxième année consécutive, la Comédie française adapte sur scène La Reine des Neiges.

L’adaptation de ce conte au cinéma et au théâtre conduit à s’interroger sur la protection accordée par le droit plus précisément par le droit d’auteur, à ces œuvres.

À titre liminaire, il convient de rappeler que tout auteur d’une œuvre de l’esprit dispose, sur cette dernière, de droits patrimoniaux et de droits moraux en application de l’article L.111-1 du Code la propriété intellectuelle (1) :

  • Le droit moral comprend 4 prérogatives attachées à l’auteur de l’œuvre : le droit à la paternité, le droit au respect de l’intégrité de son œuvre, le droit de divulgation et le droit de repentir ou de retrait. Ces droits sont perpétuels, inaliénables et imprescriptibles (2) ;

  • Les droits patrimoniaux permettent à l’auteur d’exploiter son œuvre et d’en tirer un profit. Ainsi, l’auteur jouit des droits de représentation et de reproduction, mais également de droits dérivés tels que le droit d’adaptation (3). Ces droits sont cessibles (4).

Contrairement aux droits moraux, ils sont limités dans le temps et s’éteignent, en principe, 70 ans à compter de l’année civile suivant le décès de l’auteur (5). À la fin de cette période, les œuvres tombent dans le domaine public et peuvent ainsi être librement utilisées, ou presque : il faut toujours respecter les droits moraux de l’auteur !

Concernant le conte d’Andersen, si les droits moraux désormais détenus par les ayants-droits de l’auteur perdurent, les droits patrimoniaux ont expiré. Les contes, et notamment La Reine des Neiges, peuvent désormais être utilisés comme sources d’inspiration ou être repris comme l’ont fait Disney et la Comédie Française.

1. L’adaptation de La Reine des Neiges au théâtre

a. L’œuvre d’Andersen est tombée dans le domaine public

Lorsqu’une œuvre tombe dans le domaine public chacun peut l’adapter librement sans avoir à demander d’autorisation préalable de l’auteur.

Néanmoins, les droits moraux perdurent. Ainsi, toute adaptation doit respecter la paternité de l’auteur et l’intégrité de l’œuvre originale. La mention du nom de l’auteur doit être systématique. Cette obligation peut prendre différentes formes : ainsi sur l’affiche de la Comédie Française, on peut lire « d’après Hans Christian Andersen » (6).

Dès lors, qui peut agir lorsque l’adaptation d’une œuvre originale ne respecte pas le droit moral ?

L’auteur étant mort, il convient de déterminer qui peut faire respecter son droit moral. Après la mort de l’auteur, conformément aux articles L.121-1 et L.121-2 du Code de la propriété intellectuelle le droit moral se transmet par succession : le droit d’agir en justice en cas d’atteinte au droit moral de l’auteur est donc transmis à ses héritiers (7).

Au-delà de ses héritiers, en principe, tout intéressé peut agir s’il a intérêt ou capacité à agir. Conformément à l’article L.331-1 du Code de la propriété intellectuelle, les organismes de défense professionnelle régulièrement constitués ont qualité pour ester en justice pour la défense des intérêts dont ils ont statutairement la charge (8).

Pourtant, dans une décision du 6 décembre 1966, la Cour de cassation rejette la qualité à agir de la Société des gens de lettres, qui souhaitait défendre le droit moral d’un artiste dont l’œuvre était tombée dans le domaine public (9).

b. Les droits de l’auteur de l’adaptation : l’exemple de la metteuse en scène de la Comédie française, Johanna Boyé

Sous réserve d’avoir obtenu l’autorisation de l’auteur de l’œuvre adaptée, une adaptation peut elle-même être protégée par le droit d’auteur à condition de satisfaire aux critères classiques de protection en étant formalisée et originale. L’adaptation peut ainsi être qualifiée d’œuvre composite, définie par l’article L.113-2 du Code de la propriété intellectuelle comme une œuvre à laquelle une œuvre préexistante est incorporée sans collaboration de l’auteur de cette dernière. Il est important de noter que la protection accordée aux auteurs d’adaptations ne porte pas atteinte aux droits octroyés à l’auteur de l’œuvre originale, les adaptations successives devant respecter tant l’œuvre originale, que les adaptations qui les précèdent.

En ce qui concerne l’adaptation au théâtre d’un conte, l’article L.112-2 du Code de la propriété intellectuelle, qui propose une liste non exhaustive des œuvres pouvant être protégées, ne fait pas explicitement référence à la mise en scène (10). Cependant, la jurisprudence reconnaît la possibilité de protéger une mise en scène dès lors qu’elle est originale et formalisée (11).

Ainsi, si la metteuse en scène de La Reine des Neiges à la Comédie française, Johanna Boyé, reprend les textes d’Andersen, sa mise en scène peut être protégée à part entière par le droit d’auteur , dès lors qu’elle a pris des décisions créatives et arbitraires, et que cette mise en scène porte l’empreinte de sa personnalité.

Le lien entre le droit d’auteur du metteur en scène et le droit moral de l’auteur de l’œuvre originale a d’ailleurs été mis en avant dans le fameux arrêt de la Cour de cassation du 22 juin 2017 portant sur le Dialogue des Carmélites de Francis Poulenc : « une mise en scène qui constitue une œuvre composite par l’adaptation qu’elle crée sur scène d’une œuvre première implique qu’une certaine liberté soit reconnue au metteur en scène » (12).

2. La protection du titre « La Reine des neiges »

Les titres d’œuvres (quelles qu’elles soient) peuvent être protégés (i) par le droit d’auteur s’ils présentent un caractère original (13) et/ou (ii) par le droit des marques, si les conditions pour en bénéficier sont réunies.

a. La protection du titre par le droit d’auteur

Dans le cas présent, le titre du conte d’Andersen est La Reine des Neiges, en français, le titre original danois est Snedronningen. Le titre de la pièce de théâtre est La Reine des Neiges, l’histoire oubliée de Key et Gerda tandis que le titre du film Disney est La Reine des Neiges et Frozen dans sa traduction anglaise.

L’originalité d’un titre, condition de sa protection par le droit d’auteur, peut résulter d’une combinaison de mots inédits (à l’instar de Le Père noël est une ordure) ou de l’utilisation de termes non descriptifs et non génériques. Jusqu’à présent l’originalité du titre du conte La Reine des Neiges n’a pas été contestée. L’on peut d’ailleurs s’interroger sur la manière dont les juges du fond pourraient apprécier l’empreinte créatrice de l’auteur danois, ainsi que celle du traducteur français d’un titre littéralement traduit. Néanmoins, si le titre est considéré comme original, le droit d’auteur reviendra aux ayants droit
d’Andersen pour sa version originale danoise tandis que pour la version française il appartiendra à son traducteur, mais sur son apport créatif seulement.

b. La protection du titre par le droit des marques

Il est possible de déposer un titre en tant que marque, laquelle ne doit pas porter pas atteinte à un droit d’auteur antérieur (14). En effet, pour être enregistrée une marque doit être distinctive, licite, non déceptive et disponible. L’enregistrement s’effectue à la suite d’un examen mené par l’organisme auprès duquel la marque est déposée en vue de sa publication pour que chacun puisse émettre des observations sur celle-ci. Les marques sont protégées pour une durée initiale de 10 ans, à compter de leur enregistrement, avec la possibilité d’être renouvelée indéfiniment, contrairement à la protection d’une œuvre de l’esprit. Le titulaire du droit peut ainsi user de façon exclusive de ce titre pour les produits et/ou services spécifiés lors de l’enregistrement.

Disney, ayant déposé les marques Frozen et La Reine des Neiges dans le monde entier peut ainsi faire opposition à toute utilisation par des tiers pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux pour lesquels ces marques sont enregistrées (comme la classe 9 de la classification de Nice comprenant les équipements audiovisuels et de technologies de l’information ; la classe 25 comprenant les vêtements ; la classe 28 comprenant les jouets ; la classe 41 comprenant les services d’éducation ou de formation, etc.) (15).

Par conséquent, Disney détient désormais un droit exclusif d’utilisation de sa marque La Reine des Neiges, inspirée de l’imagination de Hans Christian Andersen. Toutefois, l’utilisation de ce titre à des fins autres que celles définies lors de l’enregistrement est, en théorie, autorisée : il ne devrait donc pas en principe y avoir de risque pour la Comédie Française à utiliser ce titre.

Nos recommandations :

Vous voulez adapter une œuvre littéraire au cinéma ou au théâtre : vérifier que l’œuvre littéraire est tombée dans le domaine public. Si elle n’est pas dans le domaine public, veillez à conclure un contrat avec l’auteur ou le titulaire du droit d’adaptation. Qu’elle soit dans le domaine public ou non, veillez toujours à respecter les droits moraux de l’auteur en citant son nom notamment.

Vous êtes sollicité pour une adaptation de votre œuvre: veillez à conclure un contrat, en songeant à encadrer l’autorisation que vous octroyez au titre de votre droit d’adaptation (durée, territoire, contrepartie financière, droit de regard sur l’adaptation, etc.).

Vous voulez protéger le titre de votre œuvre : si le titre est original, il bénéficiera de la protection par le droit d’auteur sans qu’aucun dépôt ne soit nécessaire. Toutefois, dans une logique de conservation de preuve de l’antériorité des droits et de paternité sur le titre, il peut être pertinent de réaliser un dépôt (enveloppe Soleau, ancrage dans la blockchain, etc). Si le titre est utilisé à titre de marque, il peut être pertinent de le déposer auprès de l’INPI, de l’EUIPO ou de l’OMPI pour faire naître des droits de marque opposables à tous.




(1) Article L.111-1 du Code de la propriété intellectuelle
(2) Articles L.121-1 et L.121-2 du Code de la propriété intellectuelle
(3) Article L.122-1 du Code de la propriété intellectuelle
(4) Article L.122-7 du Code de la propriété intellectuelle
(5) Articles L.123-1 à L.123-3 du Code la propriété intellectuelle
(6) Extrait du site Internet de la Comédie Française
(7) Articles L.121-1 et L.121-2 du Code de la propriété intellectuelle
(8) L. 333-1 du Code de la propriété intellectuelle
(9) Civ. 1, 6 décembre 1966
(10) Article L.112-2 du Code de la propriété intellectuelle
(11) CA Paris, 23 novembre 2022 n° 21/03860 : « La cour rappelle que seule est éligible а la protection par le droit d’auteur, non pas l’idée qui est de libre parcours, mais la mise en forme de l’idée en une création perceptible, dotée d’une physionomie propre portant l’empreinte de la personnalité de son auteur. »
(12) Civ. 1, 22 juin 2017, n°15-26.467, 16-11.759 -
(13) Article L.112-4 du Code de la propriété intellectuelle
(14) Article L.711-3 du Code de la propriété intellectuelle
(15) Site de l’OMPI, protection de la marque « La Reine des neiges » et « Frozen » par Disney

11.12.2023Le lancement de la campagne « Tous Mécènes ! » du *Panier de fraises* de Jean Siméon Chardin : le mécénat en France.

La Panier de fraises de Jean Siméon Chardin est l’une des dernières natures mortes de l’artiste. Classé « Trésor national », ce tableau pourrait quitter la France s’il n’entre pas dans les collections nationales. Ainsi, le musée du Louvre a lancé la campagne « Tous Mécènes ! » pour financer l’acquisition de cette œuvre d’une valeur de 24 380 000 euros. La contribution de LVMH Moët Hennessy – Louis Vuitton et la Société des Amis du Louvre a déjà permis de rassembler 23 080 000 euros. En 2018, le musée du Louvre a lancé, pour la première fois, une campagne visant à obtenir des soutiens financiers pour de nouvelles acquisitions ou la restauration d’œuvres. En diversifiant ses sources de financement par des campagnes participatives, le musée souhaite garantir la préservation et la mise en valeur du patrimoine culturel exceptionnel qu’il abrite, en sollicitant la contribution d’entreprises et de particuliers.

L’arrêté du 6 janvier 1989 définit le mécénat comme « le soutien matériel apporté, sans contrepartie directe de la part du bénéficiaire, à une œuvre ou à une personne pour l’exercice d’activités présentant un intérêt général »(1). Mécanisme qui permet de soutenir un projet et de contribuer au développement ou à la préservation du patrimoine, le mécénat est juridiquement encouragé depuis la loi « Aillagon » du 1er août 2003. Être mécène offre également la possibilité de bénéficier de certains avantages si les dons sont destinés à des organismes participant à la satisfaction de l’intérêt général.

I. Le mécénat permet de bénéficier d’avantages pour les donateurs

1. Les avantages fiscaux

  • Pour les entreprises :

    Les avantages fiscaux sont définis par l’article 238 bis du Code général des impôts(2). Le mécénat d’entreprise permet de bénéficier d’une réduction d’impôt pour les entreprises soumises à l’Impôt sur le Revenu ou à l’Impôt sur les Sociétés de 60% de la valeur des dons s’ils sont inférieurs ou égaux à 2 millions d’euros et de 40% pour les dons supérieurs à cette somme. Néanmoins, la réduction d’impôt ne peut pas être supérieure à 20 000€ ou à 0,5% du chiffre d’affaires lorsque ce montant est plus élevé. Le surplus peut être échelonné sur cinq ans suivant le don. Les dons des entreprises peuvent être fait en numéraire ou en nature. Concernant les dons en nature, il peut notamment s’agir de mécénat de compétence, auquel cas il est alors nécessaire de procéder à leur valorisation. Par exemple, cette année, LVMH a consenti un don en nature au musée d’Orsay d’une valeur de 43 millions d’euros en offrant au musée L’homme à la barque de Gustave Caillebotte.

    Ainsi, une entreprise mécène doit déterminer la formule qui lui convient le plus. Par exemple, le groupe LVMH Moët Hennessy – Louis Vuitton dont le chiffre d’affaires en 2022 est de 79,2 milliards d’euros et pour le premier semestre 2023 est de 42,2 milliards d’euros, bénéficiera logiquement du plafond de 0,5% de son chiffre d’affaires(3)!

    Depuis la loi du 24 août 2021, afin d’éviter toute suspicion de fraude fiscale, les entreprises mécènes sont tenues de respecter certaines obligations déclaratives auprès de l’administration fiscale. Elles doivent notamment spécifier la destination de leur mécénat, le montant attribué, ainsi que les contreparties accordées par l’organisme bénéficiaire. Ce mécanisme déclaratif, désormais étendu aux entreprises, existait déjà pour les particuliers(4).
    Il convient également de savoir quelle structure philanthropique sera la plus appropriée à la situation de l’organisme : une fondation reconnue d’utilité publique, une fondation d’entreprise, une fondation abritée ou un fonds de dotation. Par exemple, BNP Paribas s’engage dans des actions de mécénat par le biais de sa fondation abritée, la personnalité morale étant celle de Fondation de France.

  • Pour les particuliers :

    Les avantages fiscaux du mécénat sont définis par l’article 200 du Code général des impôts(5). La réduction de l’Impôt sur le Revenu est de 66% du don consenti dans la limite annuelle des 20% du revenu imposable du donateur. Concernant, les particuliers soumis à l’impôt sur la Fortune Immobilière la réduction possible est de 75% du montant du don avec un plafond de 50 000€ conformément à l’article 978 du Code général des impôts(6). En cas de surplus, cette réduction pourra être imputée sur les cinq années suivant le don. Pour bénéficier de cette réduction, le particulier doit pouvoir présenter à l’administration fiscale un reçu fiscal selon un modèle établi par la loi. Certains grands donateurs privés dédient leurs donations à un domaine culturel. C’est le cas de Madame Foriel-Destezet, principale donatrice de l’Opéra de Paris et de nombreuses institutions musicales.

2. D’autres avantages : les contreparties en nature

Au-delà de la réduction d’impôt mentionnée ci-avant, le donateur peut bénéficier d’autres avantages qui doivent demeurer dans une disproportion marquée avec le montant du don, au risque, tant pour les particuliers que pour les entreprises, de ne plus pouvoir bénéficier de la réduction fiscale(7).

Plus précisément, pour les entreprises, en l’absence d’une disproportion marquée, l’opération pourra être requalifiée de parrainage ou « sponsoring ». La dépense de sponsoring constituera une charge commerciale, qui sera déductible du résultat de l’entreprise, si elle répond aux conditions de déductibilité générale des charges commerciales ((i) engagée dans l’intérêt de l’entreprise, (ii) entraînant une réduction de son résultat net, comptabilisée dans l’exercice, (iii) justifiée par une facture).

Dans le cadre de la campagne pour le financement du Panier de fraises, le musée du Louvre propose, par exemple, d’offrir des invitations pour découvrir le musée pour les dons de 50€ ou plus ; une visite privée autour de l’œuvre et la carte des Amis du Louvre pendant un an pour les dons de 250€ ou plus ; une soirée privée autour de l’œuvre pour les dons de 500€ ou plus ; une invitation au « Gala des fraises » pour les dons de 1000€ ou plus. Dans tous les cas, les donateurs pourront faire figurer leur nom ou celui d’un proche sur le « mur des donateurs ».

La rédaction d’une convention de mécénat (mais également de partenariat), si elle n’est pas obligatoire, permet d’encadrer la relation entre les parties, donateur, personne physique ou morale, et donataire, et de préciser leurs obligations respectives.

II. Le mécénat permet de financer certaines structures listées aux articles 200 et 238 bis du Code général des impôts

Les articles 200 et 238 bis du Code général des impôts dressent des listes non exhaustives d’organismes pouvant recevoir des dons dans le cadre du mécénat et délivrer des reçus fiscaux, à l’exclusion de tout autre.

Pour savoir si un organisme peut faire l’objet de dons dans le cadre du mécénat, il convient de vérifier (i) le caractère désintéressé des activités, (ii) leur caractère non lucratif et (iii) que le public visé soit « large » c’est-à-dire que l’activité ne doit pas profiter à un cercle restreint de personnes. L’activité doit en outre être d’intérêt général, c’est-à-dire qu’elle peut revêtir un caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, culturel ou concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique et à la diffusion de la culture… De ce fait, les musées de France au sens de la Loi du 4 janvier 2002, comme le musée du Louvre, sont des organismes éligibles(8).

Pour s’assurer de leur éligibilité au mécénat et à la délivrance de reçus fiscaux, tout organisme peut demander à l’administration fiscale un « rescrit fiscal » en amont de tout projet, et recevoir une réponse sur sa situation particulière. Le fait pour un organisme reçevant des dons, de délivrer irrégulièrement des reçus fiscaux, peut entraîner une amende de la valeur de la réduction ou du crédit d’impôt.

Nos recommandations :

  • Vous êtes un organisme qui s’interroge sur la possibilité de recevoir des dons dans le cadre de mécénat ou de délivrer des reçus fiscaux : vérifiez au préalable si vous remplissez les critères requis. Si les critères semblent remplis, vous pouvez demander un rescrit fiscal à l’administration fiscale.

  • Vous souhaitez créer une structure philanthropique : il faut choisir la meilleure structure en fonction de vos besoins et de vos capacités d’investissement et de gestion.

  • Vous souhaitez prendre part à un projet de mécénat et soutenir une cause qui vous est chère : en tant qu’entreprise ou particulier, assurez-vous de votre conformité aux exigences fiscales et légales. Les obligations administratives ne doivent pas devenir des freins à vos engagements philanthropiques ! Pour assurer le maintien des avantages fiscaux liés à vos dons, il est conseillé d’être accompagnés lors de la rédaction d’une convention et de vérifier la disproportion entre le dons et les contreparties.

  • Lorsque vous souhaitez participer à un projet d’utilité publique, assurez-vous de participer à un projet qui corresponde à votre philosophique philanthropique et que l’institution de votre choix offre des contreparties adaptées à vos besoins.

Notes :

(1) Arrêté du 6 janvier 1989 relatif à la terminologie économique et financière
(2) Article 238 bis du Code général des impôts
(3) Chiffres clés du groupe LVMH en 2022
(4) De nouvelles obligations déclaratives pour les organismes bénéficiaires de dons
(5) Article 200 du Code général des impôts
(6) Article 978 du Code général des impôts
(7)Le régime fiscal général du mécénat des entreprises
(8) Loi n° 2002-5 du 4 janvier 2002 relative aux musées de France

05.12.2023Foires d’art : lieux de rencontres entre acteurs du marché de l’art / *Épisode 3/3 : les galeries exposantes et les artistes*

Épisode 3/3 : les galeries exposantes et les artistes

Une galerie, qui expose dans le cadre d’une foire, présente les œuvres des artistes qu’elle représente : comment organiser la relation entre l’artiste et la galerie ?

Une telle relation étant traditionnellement basée sur la confiance, il est préférable qu’elle fasse l’objet d’un contrat écrit, qui sera par essence intuitu personae (Atlan, 14 juin 1966).

La galerie a notamment deux choix :

  1. L’achat pour revente : la galerie acquiert des œuvres pour les revendre.

  2. La prise en dépôt avec mandat de vente : la galerie reçoit en dépôt les œuvres (1915 C.civ.) et est mandatée (1984 C.Civ.) par l’artiste pour promouvoir, diffuser et vendre ses œuvres.

Si ce système présente l’avantage de laisser l’artiste propriétaire des œuvres mises en dépôt jusqu’à leur vente par la galerie à un client, cela permet aussi d’alléger la charge financière de la galerie dès lors qu’elle n’est pas tenue de payer le prix des œuvres avant de les avoir vendues.

Il ne s’agit en aucun cas d’une cession de droits d’auteur mais d’une cession temporaire des droits patrimoniaux (droits de représentation et de reproduction).
Par ailleurs, le droit moral demeure, comme l’a soulevé la Cour d’appel de Paris dans un arrêt rendu le 15 novembre 1966. En l’espèce, la galerie avait tenté de contraindre l’artiste à utiliser un pseudonyme et se réservait le droit de détruire les œuvres qu’elle ne sélectionnait pas, violant ainsi le droit au nom ainsi que le droit au respect de l’œuvre.

Recommandations : établir un constat d’état, qui pourra s’avérer utile en cas de litige.

Quelles questions se poser lors de la conclusion du contrat ?

Le prix de vente de l’œuvre :

Il est généralement fixé en concertation entre la galerie et l’artiste sur la base d’un faisceau d’indices :

  • le marché (cote de l’artiste, demande des collectionneurs) ;

  • l’artiste (son parcours, historique de ses expositions et ventes précédentes) ;

  • l’œuvre en elle-même (format, médium, temps nécessaire pour sa réalisation, qualité visuelle, conservation de l’œuvre).

L’achat d’une œuvre d’art est soumis à la TVA, dont le taux normal est de 20 % mais peut être abaissé à 5,5 % dans certaines situations telles que l’acquisition de l’œuvre directement auprès de l’artiste ou de ses ayants droit.

La clé de répartition de vente :

  • En cas de dépôt avec mandat de vente : les galeries perçoivent une commission de vente (entre 30 et 70%)

  • En cas d’achat pour revente : la rémunération de la galerie est la marge bénéficiaire sur la revente.

La question de l’exclusivité :

une garantie pour la galerie contre la concurrence
En effet, une telle concurrence peut venir d’une autre galerie mais également de l’artiste lui-même qui ferait des ventes parallèles à celles de la galerie (ventes à l’atelier). La galerie aura alors deux possibilités :

  • l’exclusivité : il conviendrait que l’artiste soit particulièrement vigilant quant à l’étendue territoriale de cette exclusivité

  • le droit de première vue : l’artiste s’engage à présenter toutes ses oeuvres nouvelles en priorité à la galerie (une forme de pacte de préférence)

L’assurance :

Elle est en principe souscrite par la galerie, à l’instar des frais de restauration et de gardiennage.

Bien confiés à des tiers professionnels (restaurateurs, experts, encadreurs), foires et salons, expositions sont autant de facteurs de risques auxquels une œuvre d’art est susceptible d’être exposée.

➔ La garantie “clou à clou”, très répandue dans le marché de l’art, couvre le transport et le séjour de l’œuvre. Elle joue ainsi durant toutes les étapes de l’exposition : décrochage, emballage, transport, accrochage, exposition, retour. Il n’y a donc aucune rupture de garantie. Peuvent être précisés des éléments comme la territorialité des transports, le mode de transport (par l’assuré, ou par un tiers comme une entreprise type UPS/Fedex ou un professionnel spécialisé) ou encore la limite des capitaux transportables.

En cas de sinistre, l’assureur rembourse sur la base de la valeur figurant sur le contrat. L’œuvre d’art peut alors être assurée en valeur déclarée ou en valeur agréée (estimation par un expert) : l’assuré devra veiller à réviser régulièrement les estimations, le marché de l’art étant fluctuant.
Attention : l’omission ou la déclaration inexacte intentionnelle (mauvaise foi) de la part de l’assuré peut entraîner la nullité de l’assurance (L. 113-8 C.assur.).

28.11.2023Foires d’art : lieux de rencontres entre les différents acteurs du marché de l’art / *Épisode 2/3 : les galeries exposantes et les collectionneurs *

Épisode 2/3 : Les galeries exposantes et les collectionneurs

Une galerie qui expose dans le cadre d’une foire, présente les œuvres des artistes qu’elle représente à de potentiels acquéreurs collectionneurs, parmi lesquels notamment des personnes physiques agissant à des fins privées, et non professionnelles, autrement qualifiées de consommateurs.

La vente d’une œuvre par une galerie à un consommateur, qu’elle ait lieu au sein de la galerie ou sur son stand lors d’une foire, est régie par les dispositions du Code de la consommation, outre celles du Code civil. Dans ce cadre légal, la mise en place de conditions générales déterminant les modalités de la vente (CGV) par les galeries est obligatoire.

1. Points de vigilance lors de l’acquisition d’une œuvre par un collectionneur consommateur lors d’une foire

(Ces points de vigilance sont également applicables en cas d’acquisition au sein de la galerie directement)

➔ Modalités de paiement :

  • Mode de paiement : Le paiement est généralement effectué par carte ou virement bancaire. En espèces, il est limité à un montant de 1.000 euros ; il peut être relevé à 15.000 euros sous réserve que le domicile fiscal du consommateur soit à l’étranger et qu’il s’agisse d’une dépense personnelle. En toute hypothèse, une facture devra être adressée à l’acquéreur.

  • Echéances et délais : Le paiement est en principe comptant, mais nombre de galeries accepte les paiements en plusieurs fois, selon ce qui est notamment prévu dans les CGV. L’échelonnement du paiement soulève la question du transfert de propriété ; la galerie qui accepterait une telle modalité de paiement, devrait sans doute prévoir une clause de réserve de propriété jusqu’au complet paiement du prix de l’œuvre.

  • Indemnités de retard : Les CGV de la galerie peuvent prévoir des indemnités de retard et des dommages et intérêts pour le préjudice , à défaut de paiement total ou partiel de l’œuvre dans les délais.

➔ Modalités de transfert de propriété : Il est recommandé de prévoir dans les CGV que le transfert de propriété de la galerie au consommateur, ne pourra s’opérer qu’à compter du paiement intégral du prix.

➔ Modalités de transfert de risques : Les risques sont en principe transférés au consommateur au jour du transfert de propriété de l’œuvre de la galerie au consommateur. Les CGV peuvent prévoir un transfert des risques distinct, tel que l’enlèvement de l’œuvre par ses soins ou par celui d’un transporteur à la suite de la foire. Les risques sont alors de la responsabilité du consommateur ; il lui appartient donc de faire assurer l’œuvre acquise.

➔ Modalités de transport et de livraison : La galerie peut décider, à sa convenance, de gérer ou non la livraison et d’en prendre la charge ou non financièrement. Elle peut prévoir dans ses CGV que l’œuvre ne soit livrée ou remise qu’à l’issue de la foire, afin de poursuivre l’exposition de l’œuvre vendue ; la vente sera alors notifiée par la présence d’une pastille à côté de l’œuvre.

➔ Droits d’auteur : L’achat d’une œuvre n’entraîne pas la cession des droits d’auteur au consommateur. Il devient propriétaire de l’œuvre au sens matériel, et peut ainsi uniquement l’utiliser dans un cadre privé, sauf accord exprès contraire de l’auteur. Cela exclut notamment les droits de représentation et de reproduction de l’œuvre acquise.

➔ Traitement des données personnelles par la galerie : En tant que responsable de traitement (la galerie collecte les données personnelles des consommateurs lors de la foire, et après), la galerie doit s’assurer de mettre en place des politiques et procédures suffisamment efficaces pour se conformer aux obligations du RGPD. Le consommateur peut introduire une réclamation auprès de la CNIL s’il estime qu’il y a eu une violation de ses données personnelles (notamment de ses droit d’accès, d’information, de rectification, d’effacement, de portabilité, …).

➔ Lutte contre le blanchiment d’argent : Les galeries sont soumises aux dispositions de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (obligations de vigilance et de déclaration de soupçon), ce qui suppose notamment la vérification du bénéficiaire effectif de l’œuvre acquise, y compris lorsque les ventes ont lieu dans le cadre de foire.

2. Spécificités concernant le droit de rétractation du collectionneur consommateur dans le cadre d’une foire

Le droit de rétractation est la possibilité pour le consommateur dans un délai, de 14 jours, de changer d’avis. Il s’applique aux ventes à distance et hors établissement.

➔ Attention, toutefois, il ne s’applique pas aux foires et salons, sauf si l’achat est financé par crédit.

Dans le cadre d’une foire, la galerie doit alors respecter une double obligation d’information quant à l’absence de délai de rétractation du consommateur dans les foires, sous peine d’une amende administrative pouvant aller jusqu’à 3.000 euros pour les personnes physiques et 15.000 euros pour les personnes morales (L.242-23 du Code de la consommation) :

La phrase “Le consommateur ne bénéficie pas d’un droit de rétractation” doit être :

  • affichée, “de manière visible”, sur un panneau ne pouvant pas être inférieur au format A3 (information précontractuelle) ; et

  • mentionnée, “dans un encadré apparent”, dans l’offre de contrat (information contractuelle).

Affaire à suivre : Deux propositions de loi ont été déposées à l’Assemblée Nationale en juillet 2023 pour élargir le droit de rétractation aux foires et salons (pour les transactions supérieures à 100 €) !

15.11.2023Foires d’art : lieux de rencontres entre les différents acteurs du marché de l’art / *Episode 1/3 : Les foires et les galeries*

Comme chaque année, le mois d’octobre a été marqué par la tenue de nombreuses foires artistiques, telles que Paris + par Art Basel, Asia Now ou encore AKAA pour n’en citer que quelques-unes. Temps fort du marché de l’art, cette période se poursuit en novembre avec d’autres manifestations culturelles comme Paris Photo et FAB Paris.

Ce sera l’occasion pour nous d’aborder, dans une série de trois articles, les relations liant les différents acteurs du marché de l’art. Ainsi, nous évoquerons tout d’abord les galeries et les foires, puis la relation entre l’artiste et la galerie, et enfin celle des galeries avec les collectionneurs.

Episode 1/3 : Les galeries d’art

1. Les conditions à satisfaire par les galeries pour participer aux foires d’art

Bien qu’il faille en principe être une galerie, les foires peuvent ponctuellement ouvrir les candidatures à d’autres structures liées au marché de l’art dont la présence constituerait un enrichissement, sous réserve, notamment, d’une activité constante dans le domaine et d’une reconnaissance sur la scène artistique internationale. Il conviendrait d’évoquer à titre d’exemples les institutions et fondations, les libraires d’art, les organismes de presse ou encore les courtiers en art.

Au regard des informations figurant dans le formulaire de candidature (historique de la galerie, liste des artistes représentés, régularité et qualité des expositions, projet d’exposition proposé), un comité de sélection, composé de directeurs de galeries et de collectionneurs, sélectionne les exposants. L’origine et la qualité des œuvres pourront être vérifiées, par un comité déontologique par exemple.

Si des espaces d’exposition sont encore disponibles après un état des participations, le comité procède à une sélection des exposants mis en attente lors de la première sélection.

Les frais de participation (corrélés au m2), en sus des frais de dossier, prennent la forme de versements dont le défaut sera susceptible d’entraîner la facturation d’une majoration.
Selon un rapport du CPGA (1), la fourchette basse des coûts engagés par une galerie pour participer à une foire en France se situerait, en moyenne, à 15.000 euros. Pour une participation à une foire à l’étranger, les galeries peuvent bénéficier d’aides de financement délivrées par le CNAP (2), à condition de présenter un minimum de 50 % d’artistes français ou résidant en France sur leur stand.

Quoi qu’il en soit, en formulant une demande de participation, l’exposant déclare avoir pris connaissance des Conditions Générales et, surtout, s’engage à en accepter toutes les clauses sans réserve. Les galeries doivent alors être extrêmement vigilantes, dès lors que ces conditions générales, le plus souvent rédigées par les foires, constituent en réalité un contrat d’adhésion qui ne peut donc pas être négocié.

2. Les risques à anticiper par les galeries d’art dans le cadre de leur participation aux foires

Lorsqu’une galerie participe à une foire, les œuvres sont exposées à de nombreux risques : incendie, dégât des eaux et vol bien sûr ; mais aussi problèmes liés au stockage ou au transport (la cause de la plupart des sinistres sur les objets d’art).

Si la foire assure la sécurité, chaque galerie demeure responsable de son stand : la foire est donc exonérée de responsabilité, ce qui suppose une renonciation de l’exposant à tout recours. Dans le cas des foires se tenant au Grand Palais éphémère, les exposants sont d’ailleurs informés en amont des problèmes d’étanchéité susceptibles de se présenter.

Il revient donc à la galerie de prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger les œuvres qu’elle expose. Si la foire ne propose pas d’offre d’assurance, il est conseillé à la galerie d’assurer les œuvres exposées en souscrivant, par exemple, à une garantie “foires et salons”, qui prendra la forme d’une couverture clou à clou (qui ne connaît aucune rupture durant les différentes étapes du transport et du séjour de l’œuvre).

La galerie peut :

  • Inscrire les foires directement au titre du contrat d’assurance (en couvrir un certain nombre par zone géographique ou les indiquer précisément, avec quoi qu’il en soit une transmission ultérieure aux assureurs des informations manquantes (liste des œuvres, nom du transporteur, et le cas échéant noms et dates des foires)) ;

  • Couvrir ponctuellement chaque foire avec un avenant au contrat, ce qui peut être pertinent en l’absence de visibilité mais revient plus cher (surprime).

L’œuvre d’art peut être assurée en valeur déclarée ou en valeur agréée, celle-ci étant souvent privilégiée car la valeur du bien est alors estimée par un expert, ce qui présente l’avantage de faciliter l’indemnisation en cas de sinistre. En toute hypothèse, il conviendrait de réviser régulièrement les estimations, le marché de l’art étant fluctuant.

Que faire en cas d’interruption, report ou annulation résultant d’un cas de force majeure ? Toute modification sera notifiée à la galerie mais ne donnera pas lieu, en revanche, à des dommages-intérêts, d’où l’utilité d’une garantie annulation. Un remboursement peut être accordé uniquement en cas d’annulation.


Notes :
(1) CPGA : Comité Professionnel des Galeries d’Art
(2) CNAP : Centre National des Arts Plastiques

31.10.2023Restitution d'œuvres d’Egon Schiele aux héritiers de l’ancien propriétaire. Le rendu d’une telle décision aurait-il été possible en France ?

Le 20 septembre 2023, le procureur de Manhattan, Alvin Bragg, a annoncé la restitution de sept œuvres de l’artiste Egon Schiele aux héritiers de Fritz Grünbaum, un collectionneur tué à Dachau en 1941. Ce récit n’est pas sans rappeler celui de Maria Altmann qui avait obtenu, en 2006, la restitution d’un portrait peint par Klimt.

Parmi ces œuvres, six seront vendues aux enchères, les 9 et 11 novembre 2023, au sein de la maison de vente Christie’s, à New-York, la septième ayant fait l’objet d’une vente privée. Ces œuvres, des aquarelles et un dessin estimés à 9 millions de dollars, sont issues de trois musées américains (dont le MoMA) et de deux collections privées.

Juridiquement, la restitution se fonde sur la signature d’une procuration au profit du régime nazi, argument qui avait d’ailleurs déjà permis aux héritiers, de se voir restituer deux œuvres en 2018, le juge ayant alors estimé qu’une “signature sous la menace d’une arme à feu” n’avait aucune valeur. Ces restitutions sont, en effet, le fruit d’une bataille judiciaire de plusieurs décennies, dont le succès fut d’abord compromis pour des raisons de délai (2005), pour finalement connaître une première réponse favorable (2018) grâce à la prolongation, par la loi HEAR (1) de 2016, du délai accordé pour réclamer la restitution d’une œuvre, à savoir 6 ans suivant la découverte de la localisation de l’œuvre. Cette loi s’inscrivait ainsi dans le sillage de la Déclaration de Washington (1998) puis de celle de Terezin (2009) signée par 46 pays, dont la France.

Du reste : Comment est traitée, en France, la question de la restitution des biens culturels spoliés (étant entendu comme des biens ayant fait l’objet d’actes de détournement, tels que le pillage ou le vol) ?

En droit positif français, “En fait de meubles, la possession vaut titre” (art. 2276 du Code civil). Au regard de cette disposition, reposant sur la bonne foi, le fait de posséder -de manière effective- un objet constituerait donc un titre de propriété, sous réserve que cette possession ne soit pas viciée : celle-ci doit donc être continue (sans interruption prolongée), paisible (absence de violences), publique (apparente) et non équivoque (sans ambiguïté).
Cette conception, propre aux pays de droit civil, est bien différente de celle adoptée par les pays de droit anglo-saxon qui se fondent, au contraire, sur le principe selon lequel il n’est pas possible de transmettre ce que l’on ne possède pas (nemo dat quod non habet).

  • La France prévoit toutefois, avec l’ordonnance du 21 avril 1945 (2), un régime exorbitant du droit commun, ce dernier instaurant notamment une présomption de mauvaise foi (3) à l’encontre des possesseurs de l’objet, qu’ils soient en réalité de bonne ou mauvaise foi.

  • De telles dispositions ont pu être remises en cause, en ce qu’elles soulèvent nécessairement la désormais classique question de la balance des intérêts : comment concilier un travail de réparation à l’égard des héritiers du propriétaire volé avec les intérêts d’un possesseur qui serait de bonne foi ?

  • Si la Cour de cassation avait déjà refusé, dans un arrêt du 11 septembre 2019 (4), de saisir le Conseil constitutionnel de deux QPC (5), cette dernière s’est prononcée de nouveau dans une décision rendue le 1er juillet 2020 (6). En effet, statuant alors sur le fond, pour la même affaire, elle a estimé que, concernant un bien spolié : “les acquéreurs ultérieurs de ce bien, même de bonne foi, ne peuvent prétendre en être devenus légalement propriétaires.”, renforçant ainsi le “droit de propriété des personnes victimes de spoliation”. Par ailleurs, se pose également la question du délai de forclusion. Si celui-ci est en principe de six mois après la cessation des hostilités, l’article 21 (7) de l’ordonnance prévoit une exception en cas “d’impossibilité matérielle d’agir dans ce délai”, même sans force majeure.

Quoi qu’il en soit, la restitution d’une œuvre spoliée peut, selon le statut de l’œuvre, prendre plusieurs formes, dont quelques illustrations ci-dessous :

  1. La gouache La Cueillette des pois, de Pissaro : L’exemple d’une œuvre détenue à titre privé par des particuliers
    A défaut de résolution transactionnelle amiable, la restitution peut résulter d’une procédure judiciaire traditionnelle de droit commun.
    C’est le cas de La Cueillette des pois, alors détenue par un couple, les Epoux Toll, qui l’avait achetée en 1995 auprès de Christie’s, à New York. Le différend entre le couple et les ayants droit de Simon Bauer, propriétaire spolié en 1943, a été porté devant le juge judiciaire. A l’issue d’une longue procédure civile, la restitution de l’œuvre à la famille de Simon Bauer a été ordonnée, en 2020.

  2. Le dessin Trois danseuses en buste, de Degas : L’exemple d’une œuvre classée « MNR » (« Musées Nationaux Récupération »)
    Le sigle « MNR » désigne l’ensemble des œuvres récupérées en Allemagne à la fin de la Seconde Guerre mondiale, dont certains indices laissent penser qu’elles appartiennent à des collections françaises, mais dont on ignore qui sont les propriétaires. Ils n’appartiennent pas au patrimoine de l’État qui, sans aucune ambiguïté, n’en est que le détenteur provisoire (8).
    La restitution de ces œuvres prend la forme d’une décision administrative du Premier ministre sur recommandation de la CIVS ou du ministère de la Culture.
    En effet, le ministère de la Culture a pris l’initiative de mettre en place un processus complémentaire, préalable à une demande de restitution, afin de retrouver les propriétaires (ou leurs héritiers) des œuvres MNR. À ce titre, un partenariat avec l’organisation professionnelle Généalogistes de France a permis la restitution aux ayants droit de Maurice Dreyfus, spolié en 1940, du dessin Trois danseuses en buste, en 2016.

  3. L’huile sur toile Rosiers sous les arbres de Klimt : L’exemple d’une œuvre appartenant aux collections publiques
    Jusqu’à récemment, la restitution d’œuvres appartenant aux collections publiques ne pouvait se faire que par l’adoption d’une loi d’espèce, en raison de l’inaliénabilité des biens relevant du domaine public, énoncée à l’article L3111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques : en effet, les biens du domaine public « ne peuvent être cédés d’aucune manière, de façon volontaire ou contrainte, à titre onéreux ou à titre gratuit » (9).

C’est dans ce contexte que fut restitué le 21 février 2022 (10), par le musée d’Orsay, le tableau Rosiers sous les arbres peint par Gustav Klimt.

La promulgation récente, le 22 juillet 2023 (11), d’une loi-cadre aspire cependant à faciliter la restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945, en créant dans le Code du patrimoine une dérogation au principe d’inaliénabilité des collections publiques.

Nos recommandations :

→ Vous êtes héritiers :

A titre liminaire, il est conseillé de déposer un dossier auprès de la M2RS (12) ou auprès de la CIVS (13), qui effectueront des recherches (sur le volet culturel pour la première et sur les volets matériel et financier pour la seconde). Une fois le dossier instruit par la M2RS, la compétence de la CIVS pour proposer une restitution dépendra notamment de l’endroit où a eu lieu la spoliation.

→ Vous êtes acquéreur :

En toute hypothèse, il est primordial, autant que faire se peut, d’être vigilant quant à la provenance des œuvres que l’on acquiert. En effet, l’un des enjeux demeure aujourd’hui celui de la lutte contre le trafic de biens culturels, essentielle pour sécuriser le marché de l’art. À cet égard, les bases de données ou l’existence, en France, de l’Office central de lutte contre le trafic de biens culturels (OCBC) sont autant d’outils s’inscrivant dans la logique de la Convention de 1970 puis de la convention d’UNIDROIT de 1995, dont l’objet était précisément la lutte contre le trafic de biens culturels. Pour ce faire, il conviendrait, par exemple, de consulter les bases de données, telles que celle d’Interpol, ou encore de faire appel à un chercheur de provenance.

Notes :

(1) Holocaust Expropriated Art Recovery Act
(2) Ordonnance n°45-770 du 21 avril 1945 portant deuxième application de l’ordonnance du 12 novembre 1943 sur la nullité des actes de spoliation accomplis par l’ennemi ou sous son contrôle
(3) L’article 4 de l’ordonnance n°45-770 du 21 avril 1945 dispose que : “l’acquéreur ou les acquéreurs successifs sont considérés comme possesseurs de mauvaise foi au regard du propriétaire dépossédé.”.
(4) Cass. civ. 1, 11 septembre 2019, n° 18-25.695
(5) La question prioritaire de constitutionnalité (QPC) est le droit reconnu à tout justiciable, partie à une instance, de contester la constitutionnalité d’une disposition législative, applicable au litige, qui porterait atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit.
(6) Cass. civ. 1, 1er juillet 2020, n° 18-25.695
(7) L’article 21 de l’ordonnance n°45-770 du 21 avril 1945 dispose que : “Cependant, dans le cas où le propriétaire dépossédé fera la preuve qu’il s’est trouvé, même sans force majeure, dans l’impossibilité matérielle d’agir dans ce délai, le juge pourra le relever de la forclusion.”.
(8) Toutes les œuvres MNR ne sont pas nécessairement des œuvres spoliées. En effet, ont été ramenées d’Allemagne en France après la Seconde Guerre mondiale toutes les œuvres et objets d’art provenant de France, quelle que soit la façon dont elles étaient arrivées en Allemagne pendant la guerre.
(9) Norbert Foulquier, Droit administratif des biens, 6ème éd., LexisNexis, 2023, p. 187.
(10) Loi n° 2022-218 du 21 février 2022 relative à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites
(11) Loi n° 2023-650 du 22 juillet 2023 relative à la restitution des biens culturels ayant fait l’objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945
(12) Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 (contact.m2rs@culture.gouv.fr)
(13) Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations (renseignement@civs.gouv.fr)

27.10.2023L’enjeu des droits d’auteur dans le cadre de la constitution d’un musée virtuel

Audrey Azoulay, directrice générale de l’UNESCO, a annoncé début octobre la création d’un musée virtuel consacré aux biens culturels volés. La réalisation de ce futur musée, dont l’ouverture est prévue pour 2025, a été confiée à l’architecte français Francis Kéré.

Si l’une des futures missions du musée sera de rendre visuellement accessibles ces biens au plus grand nombre, son objectif principal demeure celui de sensibiliser les visiteurs à la question du trafic illicite de biens culturels.

Le musée entend exposer une collection, composée d’environ 600 objets, d’œuvres disparues issues d’actes de détournement tels que le pillage ou le vol. La collection du musée sera élaborée avec l’aide d’Interpol dont la base de données contient plus de 52 000 œuvres d’art volées.

Ce projet s’inscrit pleinement dans la logique de la Convention de 1970, traité international à l’initiative de l’UNESCO, dont l’objet est la lutte contre le trafic des biens culturels, complété en 1995 par la convention d’UNIDROIT.

Pour nous, c’est l’occasion de s’interroger sur la possibilité, au regard des droits de propriété intellectuelle, de numériser certaines œuvres, dont les droits d’auteur seraient détenus par des tiers, pour les exposer au public.

Pour rappel, toute œuvre de l’esprit originale, soit selon la jurisprudence, qui « porte l’empreinte de la personnalité de son auteur » ou encore qui présente des « choix arbitraires » réalisés par son auteur, est protégeable au sens du droit d’auteur, du fait même de sa création.

Le droit d’auteur confère sur le fondement de l’article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle un “droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous”, dont l’une des prérogatives - les droits patrimoniaux - confère notamment à leur auteur le droit d’interdire ou d’autoriser l’utilisation de son œuvre, en particulier sa représentation et sa reproduction.

Au regard de cette définition, un projet de musée virtuel est susceptible de soulever plusieurs problématiques relatives aux droits patrimoniaux. En effet, la numérisation et la mise en ligne dans le cadre du musée virtuel des objets ainsi numérisés sont susceptibles de constituer une violation du droit de reproduction et du droit de représentation, prérogatives appartenant exclusivement à l’auteur de l’œuvre (ou à ses ayants droit).

Si les œuvres sont tombées dans le domaine public, la numérisation sera possible sans avoir à obtenir d’autorisation, sous réserve de respecter les droits moraux.

Dans le cas mentionné en introduction, il est fort possible que les œuvres qui seront numérisées soient en grande majorité déjà tombées dans le domaine public, s’agissant de biens très anciens. On peut ainsi relever, à titre d’exemples, la présence prévue dans la future collection d’un relief en ivoire irakien datant du VIIème siècle, un masque en pierre verte issu d’un site Maya ou encore une figurine indienne de Varaha du V-VIème siècle.

Pour rappel, les droits d’auteur se prescrivent 70 ans après la mort de l’auteur (étant précisé qu’ils sont alors transmis aux héritiers). À partir de ce délai, les œuvres, communément considérées comme « tombées dans le domaine public », ne sont plus protégeables et peuvent être exploitées par tous sans qu’une quelconque autorisation ne soit nécessaire.

En toute hypothèse, s’il s’avérait que ces objets n’étaient effectivement plus protégeables, le droit moral, perpétuel, pourrait toujours être invoqué par les ayants droit. Cette hypothèse semble bien théorique si l’on considère que les objets datent du Ve ou VIIe siècle, mais doit tout de même être prise en compte pour des œuvres plus récentes, avec des ayants droit encore « actifs ».

A titre d’exemple, l’atteinte à l’intégrité de l’œuvre pourrait être constatée dans le cas où la numérisation serait de mauvaise qualité, en dépit d’un usage muséal. Concernant le droit de paternité, il convient nécessairement d’identifier l’auteur pour chaque œuvre ainsi exploitée.

Si certaines œuvres étaient encore protégeables, une autorisation devrait être obtenue, sauf à considérer que l’utilisation envisagée tombe dans le champ de l’une des exceptions du droit d’auteur.

Premièrement, il pourrait être envisageable d’appliquer l’exception pédagogique prévue à l’article L122-5 du code de la propriété intellectuelle pour justifier l’utilisation des œuvres protégées. Le but de ce musée, dont la visée est principalement pédagogique, est en effet de rendre accessible les œuvres volées et de sensibiliser le public sur ce phénomène. Toutefois, cette exception est conditionnée au fait que l’exploitation soit non commerciale et restreinte, ce qu’il conviendrait de prouver en l’espèce.

Deuxième, une autre exception reste à envisager : celle des œuvres indisponibles, hypothèse désignant des œuvres protégées “dont la première publication ou communication au public remonte à trente ans ou plus” selon l’article L. 138-1 du code de la propriété intellectuelle, mais pour lesquelles il n’y a pas ou plus de diffusion commerciale. Toutefois, un doute subsiste ici concernant certaines conditions (à savoir, notamment, le caractère non commercial (du service de communication au public en ligne), la mention du nom de l’auteur ainsi que le lieu où les œuvres ont été divulguées pour la première fois (qui doit être un Etat membre de l’UE pour que l’exception s’applique)). Enfin, ces œuvres indisponibles semblent devoir figurer dans la collection du musée à titre permanent : on peut s’interroger sur l’applicabilité du critère de permanence dans le cadre de ce musée virtuel dont l’ambition est, précisément, de voir diminuer sa collection à mesure que les œuvres sont restituées.

Nos recommandations

Toute personne souhaitant numériser des œuvres, en vue de les diffuser au public, en ce compris dans le cadre d’un musée virtuel, doit ainsi :

  • Identifier en amont la date de divulgation de chacune des œuvres numérisées et la date de décès de leur auteur, afin de déterminer si des droits d’auteur existent encore.

  • Si les œuvres ne sont plus protégées, aucune autorisation n’est requise, mais il convient toujours de respecter les droits moraux (indiquer systématiquement un crédit, s’assurer de la qualité de la numérisation, etc.).

Actualités du cabinet

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Lucie Tréguier et Cyrielle Gauvin, avocates au Barreau de Paris, créent le cabinet Aœdé.

Aœdé est un cabinet boutique, dédié aux acteurs des industries créatives et culturelles, et du marché de l’art.

Ses fondatrices souhaitent ainsi manifester leur passion commune pour les arts et leur vision singulière du métier d’avocat, en mettant en commun l’expertise qu’elles ont chacune acquise, tout au long d’années de pratique au sein de structures de premier plan.

Elles accompagnent leurs clients de manière globale, tant en conseil qu’en contentieux, en leur proposant des solutions pragmatiques et personnalisées dans leurs domaines d’activité : l’art, l’architecture, le design, la mode, l’édition, etc.

Lucie Tréguier et Cyrielle Gauvin s’investissent pleinement au sein des industries de leurs clients : Cela est, pour nous, primordial. Nous le faisons naturellement, depuis plusieurs années, en nous rendant régulièrement dans les lieux de création et en nous engageant, au quotidien, auprès de différentes associations artistiques et culturelles. C’est d’ailleurs dans le cadre de l’une d’entre elles, le Barreau des Arts, que nous nous sommes rencontrées ! [Le Barreau des Arts est une association cofondée par Lucie Tréguier, qui délivre des conseils juridiques pro bono aux artistes en situation financière précaire].

Le choix de leur adresse n’est d’ailleurs pas anodin : elles s’installent au cœur d’ateliers réhabilités d’une ancienne cour industrielle, témoin du passé artisanal du 11e arrondissement de Paris.

Au-delà de son positionnement français, Aœdé est un cabinet résolument tourné vers l’international. Lucie Tréguier et Cyrielle Gauvin ont travaillé plusieurs années à l’étranger (respectivement, Sydney et Londres) avant de revenir exercer à Paris. Elles ont rapporté avec elles, une connaissance approfondie des pratiques internationales en propriété intellectuelle et en marché de l’art, mais également une manière différente d’exercer le métier d’avocat. Cette vision se retrouve dans l’accompagnement qu’elles proposent, avec des partenaires locaux, à leurs clients, notamment concernant les problématiques internationales qu’ils rencontrent.

La clientèle d’Aœdé se compose, entre autres, de créateurs, ayants droit, galeristes, maisons de vente, experts, conseillers artistiques, agents, collectionneurs, institutions publiques et privées, maisons de mode et de haute couture, maisons d’édition.

31.03.2023Lucie Tréguier, avocate associée du cabinet Aœdé, anime l'atelier *Structuration juridique des ateliers collectifs*, aux journées professionnelles des ateliers collectifs d’artistes d’Ile de France, à Artagon Pantin.

Ce fut l’occasion d’échanger avec les représentants des collectifs et les autres intervenants invités concernant les sujets juridiques qui touchent les collectifs d’artistes, notamment la contractualisation et les modalités d’occupation des lieux.

Merci aux organisateurs pour l’invitation, et notamment Artagon, le DOC!, Le Houloc et la DRAC

Actualités artistiques et culturelles

Recrutement

19.04.2023N'hésitez pas à nous adresser vos candidatures spontanées !

Ecrivez-nous à l’adresse email : contact@aoede.law.