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Zahra Holm : Atelier de Zahra Holm, Paris, 2023 ©

Actualités juridiques

20.09.2024

Chanel, mécène culturel : un don de 30 millions d’euros pour le Grand Palais !

Le 9 septembre dernier, la célèbre maison de haute couture Chanel a annoncé renouveler son partenariat de mécénat auprès du Grand Palais à hauteur de 30 millions d'euros sur les cinq prochaines années. Elle s’était déjà engagée en 2018 à soutenir les travaux de rénovation du monument en apportant une aide financière de 25 millions d’euros. Témoignant de l’attachement de la marque au Grand Palais où ont eu lieu les défilés de nombreuses de ses collections depuis 2005, ce mécénat a permis de faire des travaux de rénovation d’ampleurs dans le bâtiment : « l’ensemble a été repeint, les verrières ont été rénovées, les canalisations et l'électricité entièrement refaites, 7 000 mètres carrés de mosaïques au sol ont été restaurés…»[1]. Mais, ce mécénat ne se fait pas sans avantage pour la marque. En effet, outre le fait que soutenir la culture valorise son image, Chanel obtient en contrepartie de son don un accès privilégié pour ses quatre défilés annuels à la nef ou l'été, quand celle-ci sera occupée par des spectacles ou des expositions, aux galeries adjacentes. Le renouvellement de cet engagement emblématique est l’occasion de revenir sur la politique et les avantages du mécénat d’entreprise en France.

Le mécénat constitue un levier essentiel de solidarité pour le soutien des entreprises à des causes d’intérêt général, comme la culture. Son cadre juridique est particulièrement favorable et incitatif depuis la loi « Aillagon » du 1er août 2003 qui a renforcé les incitations fiscales en matière de soutien à la culture. La mise en œuvre de ce cadre juridique suppose toutefois le respect strict de certaines conditions, notamment l’absence de contrepartie équivalente pour les mécènes, afin d’éviter les dérives commerciales.

 

I. Le mécénat : de quoi s’agit-il ?

 S’il n’existe pas de définition précise du mécénat dans la loi, le Répertoire terminologique 2000 établi par la Commission générale de terminologie et de néologie, publié au JO du 22 septembre 2000 le définit comme étant le « soutien matériel apporté, sans contrepartie directe de la part du bénéficiaire, à une oeuvre ou à une personne pour lexercice dactivités présentant un intérêt général». Une des conditions essentielles du mécénat est que le mécène ne doit tirer aucun bénéfice commercial direct de son soutien. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la maison Chanel est réputée être « peu intrusive » dans ses actions de mécénat[2], en ce sens qu’elle communique peu dessus pour se faire de la publicité car cela lui apporterait un bénéfice commercial direct. Par exemple, la marque évite les bâches publicitaires sur les chantiers qu’elle accompagne comme celui du Grand Palais. Le président des activités mode de la maison de luxe, Bruno Pavlovsky a ainsi affirmé au Figaro « Une maison comme la nôtre doit faire rêver et donner envie, nous sommes convaincus qu'il ne sert à rien de matraquer notre nom sur des bâches publicitaires. Nous préférons accompagner des projets comme celui de JR à l'Opéra en juin dernier grâce à notre mécénat auprès de cette institution. Nous cherchons évidemment par ces mécénats à valoriser l'image de la maison, mais toujours dans le respect de la création. ».

Le mécénat est à distinguer du parrainage (ou « sponsoring ») qui y est défini comme le « soutien matériel apporté à une manifestation, à une personne, à un produit ou à une organisation en vue den retirer un bénéfice direct. Les opérations de parrainage sont destinées à promouvoir l'image du parrain et comportent l'indication de son nom ou de sa marque. »[3]. Dans une opération de parrainage, le parrain obtient en contrepartie de ses dépenses de parrainage une véritable exposition publicitaire (par des affiches, annonces de presse, effets médiatiques, etc.) et les dépenses engagées sont en rapport avec l’avantage publicitaire et commercial attendu par l’entreprise[4].

Plusieurs formes de mécénat peuvent être envisagées par les entreprises : le mécénat financier qui consiste à verser une somme d’argent à un tiers (comme c’est le cas dans l’exemple Chanel suscité), le mécénat en nature qui consiste à donner des biens, des produits ou des services et le mécénat de compétences qui passe par la mise à disposition de personnel ou de savoir-faire professionnel[5]. Appliqué au monde culturel, le mécénat peut prendre plusieurs formes : financement d’expositions, de restauration de monuments (le cas de Chanel qui restaure le Grand Palais par exemple), acquisition d’œuvres pour les musées (le cas par exemple de la Galerie Avant-Scène, de la Galerie Gosserez et de la  New Calsberg Foundation qui sont mécènes de l’enrichissement des collections du département Moderne et Contemporain du Musée des Arts Décoratifs de Paris), etc. Aussi, l’acquisition par les entreprises d’œuvres originales d’artistes vivant peut être une action de mécénat[6].

 

II. Le mécénat : quels avantages pour les entreprises ?

 

Le régime de mécénat peut être fiscalement intéressant pour l’entreprise mécène. En effet, en France, si le bénéficiaire est éligible au régime du mécénat, et que le mécène ne retire pas de l’opération de contrepartie équivalente, l’entreprise mécène peut avoir droit à certaines réductions d’impôts. À cet effet, le Code Général des impôts (le « CGI »)[7], pose le principe d’une réduction d’impôt de 60 % du montant du don pour la fraction inférieure à 2 000 000 € et de 40 % pour la part du don supérieure à 2 000 000 € que ce soit pour les dons effectués en numéraire, en compétence ou en nature. Le montant des dons pour le calcul de la réduction est retenu dans la limite de 20 000 € ou de 0,5 % du chiffre d’affaires HT lorsque ce dernier montant est plus élevé, avec la possibilité, en cas de dépassement de ce plafond, de reporter l’excédent au titre des cinq exercices suivants. Si valoriser un don numéraire ne pose pas de problème, notons que pour le mécénat de compétence, l’effort de l’entreprise sera valorisé dans la convention de mécénat au prix de revient de la prestation apportée. Pour le mécénat en nature, le montant susceptible d’être déduit est égal à la valeur des biens donnés[8].

Par ailleurs, l’article 238 bis AB du CGI pose une autre règle très incitative pour les sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés ainsi que pour celles qui relèvent du régime fiscal des sociétés de personnes. En effet, si ces entreprises acquièrent des œuvres d’artistes vivants originales (au sens de l'article 98 A de l'annexe III au CGI) et les inscrivent à un compte d’actif immobilisé, elles « peuvent déduire du résultat imposable de l’exercice d’acquisition et des quatre années suivantes, par fractions égales, une somme égale au prix d’acquisition »[9]. Cette déduction « effectuée au titre de chaque exercice ne pouvant excéder la limite de 0,5% du chiffre d’affaires, minorée des versements effectués au titre du mécénat d’entreprise »[10]. En outre, pour bénéficier de cette déduction, « l'entreprise doit exposer dans un lieu accessible au public ou aux salariés, à l'exception de leurs bureaux, le bien qu'elle a acquis pour la période correspondant à l'exercice d'acquisition et aux quatre années suivantes »[11].

On peut encore citer un autre avantage pour les entreprises prévu par l’article 238 bis 0 A du CGI : dans certaines conditions, si une entreprise finance l’acquisition d’un bien culturel reconnu « trésor national » ou « œuvre d’intérêt patrimonial majeur » au profit d’une collection publique, elle peut avoir le droit à une réduction d’impôt sur les société égale à 90% du montant du versement effectué, dans la limite de 50% de l’impôt dû[12]. 

Outre les avantages fiscaux considérables pour les entreprises, le mécénat peut avoir d’autres avantages, notamment en termes d’image de l’entreprise et de création d’une philosophie d’entreprise. Par exemple, en soutenant le Grand Palais la marque Chanel se positionne comme une entreprise protectrice du patrimoine culturel.

Enfin, le bénéficiaire peut octroyer à l’entreprise certaines contreparties au don reçu. Dans le cas présent, le Grand Palais offre l’exclusivité de la nef à Chanel pour réaliser quatre défilés par an. Les contreparties au mécénat peuvent être également la remise d’un nombre limité d’entrées gratuites au musée, d’inviter l’entreprise à des événement particuliers, etc. Notons toutefois que la valeur de ces contreparties doit demeurer dans une « disproportion marquée » avec le montant du don : il est admis un rapport de 1 à 4 entre les montant des contreparties et celui du don, c’est à dire que la valeur des contreparties accordées à l’entreprise mécène ne doit pas dépasser 25% du montant du don[13].

 

III. Quels organismes sont éligibles au soutien par le mécénat ?

 Pour être éligible au mécénat, le bénéficiaire doit être une entité d’intérêt général[14]. En particulier, l’activité du bénéficiaire doit être non lucrative et non concurrentielle. Il convient de noter que l’assujettissement de l’activité d’un organisme à la TVA et autres impôts commerciaux l’exclut a priori de l’éligibilité[15]. En outre, la gestion du bénéficiaire doit être désintéressée et son l’activité ne doit pas profiter qu’à un cercle restreint de personnes. Enfin, conformément aux articles 200 et 238 bis du CGI, la cause soutenue doit être d’intérêt général. Cette dernière condition est remplie si la cause revêt un caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial, culturel ou concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique, à la défense de l’environnement naturel ou à la diffusion de la culture, etc. Cela inclut notamment les associations déclarées ou reconnues d’utilité publique, les fonds de dotation, les musées de France (au sens de la loi 2002-5 du 4 janvier 2002 relative aux musées de France), etc. C’est en particulier le cas du Grand Palais soutenu par Chanel.

En principe, ce sont les organismes recevant des dons qui apprécient s’ils remplissent ou non les conditions pour bénéficier de dons. Quand, ils reçoivent des dons, ces organismes délivrent des "reçus" de dons aux mécènes qui leur permettent de faire valoir leur réduction d’impôt devant l’administration fiscale.

 

IV. Quel est le contrôle de l’administration fiscale sur les dons des mécènes ?

 L’administration fiscale veille au respect des critères posés par le régime fiscal du mécénat et s’assure que les dons n’engendrent aucune contrepartie commerciale directe équivalente pour le mécène. Les abus, tels que la dissimulation de parrainage sous couvert de mécénat, peuvent entraîner des sanctions financières et fiscales[16]. L’administration fiscale peut aussi contrôler l’éligibilité des dons et vérifier que les entités bénéficiaires remplissent bien les conditions légales d’intérêt général. Cette vérification se fera dans le cadre d’un contrôle fiscal : les services détermineront si le reçu de don a été émis de bon droit[17]. Dans le cas où un organisme a délivré à tort un reçu, il encourt une amende égale au montant de la réduction d'impôt indûment obtenue[18]. En revanche, le contribuable de bonne foi ne voit pas sa réduction d’impôt remise en cause.

Toutefois, l’entreprise doit également être en mesure de présenter, à la demande de l'administration fiscale, un reçu fiscal attestant de la réalité des dons[19]. En cas d’abus, les donateurs peuvent être privés des avantages fiscaux et soumis à des sanctions. Par exemple, le mécène étant responsable de la valorisation de son don, si le montant de celui-ci a été frauduleusement calculé, la réduction d’impôt peut être remise en cause et la rectification peut être assortie des pénalités prévues à l’article 1729 du CGI si le manquement délibéré est établi[20].

En outre, depuis la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021[21], l’article 222 bis du CGI impose aux organismes bénéficiaires de dons de déclarer les dons au titre desquels ils ont émis des reçus fiscaux, indiquant aux contribuables qu’ils sont en droit de bénéficier des réductions d’impôt prévues par le régime de faveur du mécénat. Cette obligation déclarative porte sur le nombre de reçus émis au titre de la dernière année civile ou du dernier exercice ainsi que sur le montant total en euros des dons correspondants.

 

Nos recommandations :

 

  • Vous êtes un particulier ou une entreprise souhaitant devenir mécène d’une œuvre d’intérêt général : (1) trouvez une cause à soutenir en lien avec vos valeurs; (2) concluez une convention de mécénat précisant les conditions d’exécution de l’opération de mécénat rédigée par un avocat ; (3) assurez-vous que les contreparties éventuelles vous conviennent et veillez avec l’organisme bénéficiaire qu’elles respectent les seuils légaux; (4) conservez précieusement les reçus de dons délivrés par l’organisme bénéficiaire, en cas de contrôle fiscal.

 

  • Vous une organisme d’intérêt général qui souhaite diversifier ses sources de financement par le mécénat : (1) vérifiez que vous remplissez les critères d’intérêt général présentés ci-dessus ; (2) en cas de doute, vous pourrez demander à l’administration fiscale du département de votre siège social un « rescrit fiscal » permettant de vous en assurer ; faites cette demande par écrit, en fournissant tous éléments utiles pour apprécier l’activité de votre organisme ; (3) bien que l’utilisation du Cerfa ne soit pas obligatoire (le reçu de don pouvant etre établi sur papier libre), assurez-vous que les reçus fiscaux que vous émettez respectent bien toutes les rubriques exigées par modèle Cerfa n°2041-MEC-SD ; (4) déclarez l’ensemble des dons pour lesquels vous avez émis des reçus fiscaux.

 

[1] https://www.lefigaro.fr/industrie-mode/le-grand-palais-a-ete-concu-comme-un-palais-des-fetes-20240909

[2] https://www.lefigaro.fr/industrie-mode/le-grand-palais-a-ete-concu-comme-un-palais-des-fetes-20240909

[3] https://www.associations.gouv.fr/definition.html

[4] https://www.economie.gouv.fr/apie/publications/focus-qu-est-ce-que-parrainage

[5] https://mecenatpublicprive.fr/les-types-de-mecenat

[6] https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/mecenat/Entreprises/Des-avantages-supplementaires-pour-la-culture

[7] article 238 bis - 1 du CGI

[8] https://mecenatpublicprive.fr/les-types-de-mecenat

[9] article 238 bis AB du CGI.

[10] https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/mecenat/Entreprises/Des-avantages-supplementaires-pour-la-culture

[11] article 238 bis AB du CGI.

[12] https://bofip.impots.gouv.fr/bofip/614-PGP.html/identifiant=BOI-SJ-AGR-50-30-20130923

[13] https://bofip.impots.gouv.fr/bofip/5868-PGP.html/identifiant=BOI-IR-RICI-250-20-20120912#Contreparties_prenant_la_fo_23

[14] https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/mecenat/Qu-est-ce-que-le-mecenat

 BOI-BIC-RICI-20-30-10-10

[15] https://francearchives.gouv.fr/fr/article/232392427#:~:text=À%20noter%20que%20l'assujettissement,avec%20des%20actions%20de%20mécénat.

[16] « En l’absence d’une « disproportion marquée », le bénéficiaire et le mécène s’exposent à une requalification de l’opération de mécénat en opération de parrainage, par nature lucrative. Il en résulte alors la perte de l’avantage fiscal, une amende fiscale ainsi qu’une imposition aux impôts commerciaux pour le bénéficiai » https://admical.org/sites/default/files/uploads/les_contreparties_du_mecenat_vdef.pdf

[17] https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/mecenat/Qu-est-ce-que-le-mecenat

[18] article 1740 A CGI

[19] https://entreprendre.service-public.fr/vosdroits/F22263#:~:text=montant%20du%20don.-,Cependant%2C%20le%20montant%20des%20dons%20retenus%20pour%20le%20calcul%20de,dernier%20montant%20est%20plus%20élevé.

[20] https://bofip.impots.gouv.fr/bofip/10214-PGP.html/identifiant=BOI-BIC-RICI-20-30-10-30-20190807

[21] https://www.impots.gouv.fr/professionnel/declaration-des-dons-et-recus

10.09.24

Décès d’Alain Delon, ce féru d’art qui a dispersé ses collections aux enchères : mode d'emploi pour la vente d’oeuvres aux enchères

Décédé le 18 août, Alain Delon n’était pas seulement un grand artiste lui-même, mais aussi un collectionneur d’art passionné. La commissaire d’exposition Elizabeth Markevitch affirmait même qu’il « était atteint de collectivite, ou de collectionnite grave ! » (1). Des sculptures animalières de Bugatti, en passant par les dessins d’artistes, jusqu’aux peintures du XIXè siècle, Delon a accumulé au cours de sa vie une collection d’art d’une très grande valeur. Aussi était-il familier des ventes aux enchères et par ailleurs proche de ses  acteurs, en particulier le commissaire-priseur Pierre Cornette de Saint-Cyr (2). « Détestant les ventes posthumes » (3), Delon a confié, au cours de sa vie, par cinq fois, la vente de ses multiples collections à la maison de son ami, Cornette de Saint-Cyr : ses tableaux modernes en 2007, ses vins en 2011, ses montres en 2012, ses fusils en 2014 et enfin ses œuvres d’art lors d’une vente qui s’est tenue le 22 juillet 2023, totalisant 8 millions d’euros (4). La mort de cette grande figure du cinéma, est l’occasion de revenir sur le phénomène fréquent de la dispersion d’une collection d’art par le biais de ventes aux enchères. 

A titre liminaire, rappelons qu’il ressort de la Loi du 20 juillet 2011 de libéralisation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques (la « Loi du 20 juillet 2011 ») que « constituent des ventes aux enchères publiques les ventes faisant intervenir un tiers, agissant comme mandataire du propriétaire ou de son représentant, pour proposer et adjuger un bien au mieux-disant des enchérisseurs, à l’issue d’un procédé de mise en concurrence ouvert au public et transparent. Le mieux-disant des enchérisseurs acquiert le bien adjugé à son profit ; il est tenu d’en payer le prix. » (5). Le tiers organisant les ventes est désigné par la loi sous le nom d’opérateur de ventes volontaires (« OVV »). Cet OVV qui est le mandataire du vendeur, organise la vente au nom et pour le compte de celui-ci après négociation et signature d’un mandat de vente par écrit. 

Le processus de vente aux enchères, souvent perçu comme complexe, repose en réalité sur des mécanismes bien établis pour assurer la transparence et la valeur des ventes adjudications. Sans prétendre à l’exhaustivité, nous rappellerons trois aspects essentiels qui méritent l’attention particulière du collectionneur qui entend disperser sa collection ou seulement vendre une ou quelques œuvres : l’estimation des œuvres (I), le recours à un mandat de vente (II) et le transfert de propriété (III).

1 - L’estimation de la collection : l’analyse de l’état et de la provenance des oeuvres, des diligences essentielles 


Lorsqu’un collectionneur désireux de vendre aux enchères sa collection, entre en contact avec une maison de vente (directement ou par un intermédiaire tel qu’un art advisor, ou même un avocat), celle-ci aura besoin de leurs photographies sous plusieurs angles, de leur dimension, de leur provenance et de tout autre élément y relatif afin d’en établir un inventaire précis. C’est également le cas pour la vente d’une seule œuvre. Ces éléments peuvent être fournis par le collectionneur ou - le plus souvent quand une collection entière est dispersée ou qu’il s’agit d'œuvres de grande valeur - recueillis par l’OVV lui-même qui se déplace chez le collectionneur pour inventorier les œuvres. 

Une fois ces informations obtenues, l’OVV analyse les œuvres et procède à des recherches approfondies, que ce soit matériellement ou intellectuellement.

Matériellement, il étudie l’état de l'œuvre : ses éventuelles dégradations et/ou restaurations, la pertinence des matériaux utilisés au regard de la datation de l'œuvre (notamment pour repérer les fausses œuvres), ainsi que toute annotation qui figurait sur celle-ci (au verso, sur le socle, etc. selon le type de médium) fournissant, le cas échéant, des informations sur la provenance et le pedigree de l’oeuvre (numéro de registre d’un marchand ; étiquette d’un musée pour une exposition ; insignes liées à la spoliation nazie ; etc.). Après analyse, la maison de vente établit un « condition report » (ou rapport de condition) des œuvres. Il faut noter que ce rapport est d’une importance cruciale en cas de différend avec l’adjudicataire, car il lui permet de fonder une demande en annulation de la vente si l’état réel de l’œuvre ne correspond pas à celui décrit dans le rapport. Ajoutons que la maison de vente peut proposer au vendeur de conserver les œuvres inventoriées en dépôt. Ce dépôt a lieu le plus souvent au sein de la maison de vente, ou dans des entrepôts spécialisés. En ce cas, il est fortement conseillé de formaliser ce dépôt par un contrat ou « bon » de dépôt prévoyant notamment les modalités de conservation et d’assurance des œuvres, auquel est annexé un constat d’état des oeuvres permettant de prouver, le cas échéant, que les dégradations postérieures au dépôt ne sont pas le fait du vendeur. 

Intellectuellement, l’OVV étudie ensuite la provenance des œuvres (i.e., l’historique de leurs possession et transmission, retraçant les différents propriétaires), parfois assistés par des experts, dont les comités d’artistes concernés. Son établissement est primordial : la provenance doit être claire et bien documentée afin de garantir que le bien ne provient ni d’un vol, ni d’un trafic illicite de bien culturel et de s’assurer que le vendeur est habilité à mettre en vente le bien concerné. En outre, la recherche de provenance d’une œuvre peut influencer sa valorisation. En effet, un manque d'informations ou des zones d'ombre peuvent engendrer des incertitudes et, par conséquent, influencer négativement la valeur des œuvres. A noter, lorsqu’une œuvre a appartenu à un collectionneur illustre - comme Alain Delon -, il est possible que de nombreux enchérisseurs soient  incités par ce pedigree, ce “complément d’âme” que d’autres œuvres n’auraient pas. Sa valorisation et les enchères consécutives pourraient être de ce fait d’autant plus importantes. Enfin, observons qu’en établissant cette provenance, l’OVV peut aussi trouver des indices de l’authenticité des œuvres. 

Après analyse, si l’OVV accepte de vendre ces œuvres pour le compte du vendeur, il procédera à une estimation -  ou à la « prisée » - des œuvres de la collection. Il prendra en compte un certain nombre de facteurs tels la cote de l’artiste et l’état de l’œuvre et déterminera la valeur attendue de chaque oeuvre dans une « fourchette » de prix comprise entre une estimation haute et une estimation basse ; cette estimation n’est pas le prix de vente, ni la garantie de vente du bien à ce prix, elle est simplement une indication donnée au vendeur et aux enchérisseurs. Pour se faire une petite idée de cette valorisation en amont, le vendeur pourra consulter les contrats d’assurance en valeur agréée qu’il aurait conclus avec un assureur spécialisé, comme cela est souvent le cas pour des collections importantes. En effet, dans ce contexte, avant la conclusion du contrat, le collectionneur fait appel à un expert pour inventorier et déterminer la valeur précise de la collection à assurer. Attention toutefois la valorisation ne pourra être considérée de manière pertinente seulement si l’inventaire a été réalisé il y a moins de cinq ans, voire pour certaines œuvres soumises à plus fortes variations, moins de trois ans. Précisons également que la valorisation aux fins de vente aux enchères et aux fins d’assurance ne sont pas nécessairement les mêmes. De fait, l’estimation aux fins de vente aux enchères se fait comme décrite dans une fourchette de prix et ne présume pas du prix de vente final, dont le montant dépendra de la demande des enchérisseurs intéressés.

Une fois ces analyses faites et la valorisation posée, quand l’OVV rédigera des descriptions des œuvres dans le catalogue de la vente, il devra attribuer les œuvres à des artistes, des mouvements ou des périodes en veillant bien à respecter le décret n°81-255 du 3 mars 1981 sur la répression des fraudes en matière de transactions d’œuvres d’art et d’objets de collection dit « décret Marcus » qui fixe les formules à utiliser pour décrire les œuvres dans les catalogues de vente aux enchères.

 

2 - Le mandat de vente écrit, un acte nécessaire formalisant les relations entre le vendeur et l’OVV

Le recours à un mandat de vente écrit formalise la relation entre le propriétaire de la collection et la maison de vente aux enchères. En effet, comme le précise l’article L.321-5 du Code de commerce, « I.-Lorsqu'ils organisent ou réalisent des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, les opérateurs de ventes volontaires agissent comme mandataires du propriétaire du bien ou de son représentant. Le mandat est établi par écrit. ». Ce mandat, également appelé « réquisition de vente », est un élément clé de la vente aux enchères d’une collection puisqu’il sert de base à une relation sécurisée et de confiance entre le vendeur et l’OVV. Classiquement, le contenu de ce contrat peut faire l’objet d’une négociation entre les deux parties. 

  • Le contenu usuel du mandat de vente

Le Conseil des ventes a rappelé que le mandat doit comporter certaines informations telles que « l’identité du vendeur, la description de l’objet et la date de la vente (si elle est déjà fixée), l’existence, le cas échéant, d’une estimation de l’objet et d’un prix de réserve fixé avec le vendeur » (6). Le prix de réserve correspond au « prix minimal arrêté avec le vendeur, au dessous duquel le bien ne peut être vendu » (7), celui-ci ne peut être supérieur à l’estimation basse du bien. En outre, ce document doit contenir le nom des experts qui auraient pu intervenir dans l’estimation de la collection (8), le pourcentage des frais de vente que le vendeur peut tout à fait négocier avec l’OVV, ainsi que le montant des frais annexes (marketing et publicité de la vente, régie, transport et stockage des œuvres, douane et assurance notamment), et les modalités de paiement au vendeur (notamment le délai après l’adjudication et la devise). 

Précisons à propos de la nécessité de recueillir l’identité du vendeur, que « lorsque la valeur de la transaction ou d'une série de transactions liées est d'un montant égal ou supérieur à 10 000 euros » (9), les OVV sont assujettis aux obligations de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (« LCB-FT »). Dans ce cadre, cette nécessité devient une obligation légale qui veut qu’« avant d'entrer en relation d'affaires avec leur client ou de l'assister dans la préparation ou la réalisation d'une transaction », les OVV  « identifient leur client et, le cas échéant, le bénéficiaire effectif » et « vérifient ces éléments d'identification sur présentation de tout document écrit à caractère probant » comme une carte d’identité par exemple (10).


  • Le mandat comme moyen de concurrence entre maisons de ventes

Le mandat de vente peut prévoir un certain nombre de garanties plus ou moins étendues accordées au vendeur. Celles-ci sont de véritables outils de concurrence entre les maisons de ventes dans leur recherche de potentiels vendeurs. Par exemple, la pratique du prix garanti d’adjudication minimal est fréquente dans les maisons de grande envergure, comme Sotheby’s et Christie’s, en cas de dispersion d’une collection (elle est beaucoup plus rare en cas de vente d’une œuvre unique). Il est dès lors convenu que si le prix garanti n’est pas atteint, l’OVV peut acheter l’oeuvre pour son compte au prix garanti (en totalité, ou pour partie et en ce cas il est co-propriétaire de l’oeuvre) et la remettre en vente ou verser au vendeur la différence entre le prix adjugé et le prix garanti. Si le prix garanti est dépassé, l’excédent est partagé entre le vendeur et l’OVV garant selon des pourcentages déterminés à l’avance. Par cette pratique, ces maisons entendent compenser des moins values issues de la vente d’une œuvre par les plus values obtenues sur d’autres œuvres de la collection (11). Notons que la pratique des prix garantis peut aussi être le fait de tiers garants, investisseurs personnes physiques ou morales, tels que des fonds spécialisés dans l'art, des marchands, des banques ou encore des particuliers collectionneurs (12). En France, la Loi du 10 juillet 2000 portant réglementation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques autorise cette pratique. En outre, la Loi du 20 juillet 2011, a permis aux OVV d’acquérir le bien mis à la vente pour lequel le prix d’adjudication minimal n’est pas atteint et de le revendre, de gré à gré ou aux enchères publiques. Aussi, depuis la Loi de 2001, le vendeur peut obtenir du commissaire-priseur une avance sur le prix d’adjudication (13). Cette stipulation du mandat lors de la dispersion d’une collection aux enchères est souvent très utile notamment pour permettre aux héritiers du collectionneur de s’acquitter de leurs frais de succession. 

Enfin, il peut être intéressant pour le collectionneur ou ses héritiers d’aménager conventionnellement dans le mandat, le paiement du droit de suite pour les œuvres de la collection mise en vente. En effet, depuis un arrêt Christie’s France SNC c/ Syndicat national des antiquaires de la Cour de Justice de l’Union Européenne de 2001, le principe de prise en charge du droit de suite par le vendeur de l’œuvre est tempéré par la possibilité de le mettre conventionnellement à la charge de l’adjudicataire ou de la maison de vente.


  • Le retrait d’œuvres à la vente et révocation partielle du mandat par le collectionneur

En principe, suivant une règle classique du droit des mandats, le mandat de vente peut être révoqué à tout moment par le mandant. Cette règle peut être aménagée conventionnellement dans le mandat de vente en prévoyant des conditions spécifiques (délai de préavis, indemnités, etc.). Ainsi, si rien n’est prévu par le mandat, le collectionneur est libre de retirer une ou plusieurs de ses œuvres de la vente sans avoir à avancer de justification, sous réserve de sa bonne foi contractuelle et du préjudice résultant du retrait. Admettons que le collectionneur abuse de son droit de révocation en retirant une œuvre de la vente peu de temps avant la vente, il crée sans doute  pour l’OVV un préjudice matériel (lié aux frais d’expertise, de marketing, de publicité, de régie, etc. engagés par l’OVV) et un préjudice moral (en cas d’atteinte à la réputation de l’OVV) très importants. Il pourrait ainsi être tenu de les réparer. C’est pourquoi en pratique les mandats de vente prévoient généralement dans les conditions générales de vente des frais en cas de retrait d’une ou plusieurs œuvres. En conséquence, chaque maison de vente peut prévoir des modalités différentes de calcul de ces frais. En règle générale, ils couvrent les frais engagés par l’OVV pour la vente de l’œuvre jusqu’à son retrait. Ils peuvent aussi être déterminés au moyen d’une clause pénale prévoyant forfaitairement la somme à payer en cas de retrait (ex.un pourcentage des frais d’acheteur sur l’estimation basse du bien retiré). Le mandat peut aussi prévoir que le vendeur puisse retirer certains lots dans une proportion raisonnable au regard de la valeur totale de la collection dispersée jusqu’à une certaine date, sans avoir à indemniser l’OVV. 

Observons par ailleurs que d’un point de vue plus pragmatique, il peut être opportun pour certaines maisons de ventes organisant la dispersion de collections de prestigieux clients de ne pas rentrer dans de tels conflits et de ne pas leur faire payer de tels frais pour préserver leurs bonnes relations et s’assurer de futures ventes. 

Le collectionneur doit aussi avoir conscience du fait qu’il n’est pas le seul à pouvoir demander le retrait d’une de ses œuvres à la vente. En effet, les réquisitions de vente prévoient le plus souvent que l’OVV peut (et doit!) lui aussi retirer un bien de la vente, notamment dans le cas où il aurait un doute raisonnable sur son authenticité ou sa provenance. En tout état de cause, en 2006, la Cour de cassation a estimé que l’OVV pouvait avoir des motifs légitimes pour retirer une œuvre de la vente ; en l’espèce, l’œuvre litigieuse avait été retirée pour défaut d’authenticité alors qu’elle avait été affichée dans le catalogue comme étant une œuvre du sculpteur César (14). La demande de retrait peut aussi émaner d’un tiers s’il invoque un motif légitime tel que la propriété viciée du vendeur (tiers réellement propriétaire) ou la qualification de contrefaçon (tiers titulaire de droit d’auteur).



3 - Le transfert de propriété par l’adjudication et ses conséquences


  • Le moment du transfert de propriété

C’est l’adjudication, moment où est prononcé le mot « adjugé », qui réalise le transfert de propriété du vendeur à l’adjudicataire (15). En effet, c’est à cet instant que l’on considère qu’il y a accord sur l’objet de la vente et sur le prix proposé par le meilleur enchérisseur. Cela étant dit, de nombreuses maisons de ventes ont pour usage de stipuler dans la réquisition de vente une clause de réserve de propriété. Celle-ci a pour objet de réserver la propriété de l’œuvre au vendeur jusqu’au complet paiement de celle-ci par l’adjudicataire. Cette pratique fréquente a donné lieu à un contentieux récemment tranché par le Conseil d’Etat. Alors que le droit commun de la vente permettait effectivement de stipuler un tel mécanisme (16), le Conseil d’État dans une décision du 28 mars 2024 a exclu fermement « la possibilité pour les parties à ce type de ventes de convenir, […], que l'acquisition de propriété n'intervient qu'à compter du paiement du prix. » (17).


  • Le paiement du prix d’adjudication 

En principe, l'acheteur est tenu de payer le prix de l’œuvre dès l’adjudication (5). S’il ne peut pas ou ne veut pas payer pas le prix d’adjudication, l’OVV met en œuvre la procédure de « folle enchère ». Le collectionneur peut dans ce cas demander à l’OVV « après mise en demeure restée infructueuse » que le bien soit remis en vente sur réitération des enchères. Si l’OVV refuse la réitération des enchères ou si le collectionneur ne formule pas cette demande dans un « délai de trois mois à compter de l'adjudication, la vente est résolue de plein droit, sans préjudice de dommages et intérêts dus par l'adjudicataire défaillant. » et l’OVV restitue l’œuvre au collectionneur (18). Il est par ailleurs fréquent que la maison de vente, dans ses conditions générales, se réserve le droit de demander en cas de résolution de la vente ou de réitération des enchères le remboursement de la différence entre le prix d’adjudication initial et le nouveau prix d’adjudication en cas de revente si ce dernier est inférieur, et le remboursement des coûts générés par la seconde enchère.


  • L’annulation de la vente 

Même après le transfert de propriété des œuvres de la collection à l’adjudicataire, l’acheteur insatisfait peut demander l’annulation de la vente pour erreur sur le fondement de l’article 1132 du Code civil. Celui-ci pose 2 conditions au succès de l’action : (a) l’erreur doit porter sur une qualité essentielle de la prestation (b) l’erreur doit être excusable. Par exemple, il est classiquement reconnu en jurisprudence que le défaut d’authenticité de l’œuvre vendue est une erreur sur les qualités essentielles, sous réserve que l’achat de l’œuvre inauthentique ne soit pas dû à la naïveté de l’acheteur. Dans une telle hypothèse, l’OVV n’étant qu’un intermédiaire de vente, l’acheteur doit en principe engager la responsabilité contractuelle du vendeur (19). Le collectionneur doit donc être conscient qu’il est susceptible d’engager sa responsabilité contractuelle à l‘égard du vendeur notamment si l’œuvre n’est pas authentique. Exceptionnellement, l’acheteur peut engager la responsabilité de l’OVV si celui-ci n’a pas voulu ou n’a pas été en mesure de lui fournir l’identité du vendeur lui permettant d’engager son action (20) ou si celui-ci a commis une faute, auquel cas il s’agit de sa responsabilité délictuelle.

Par ailleurs, le vendeur peut lui aussi demander l’annulation de la vente sur le fondement de l’erreur sous réserve de démontrer un certain nombre d’éléments et notamment la preuve que lorsqu’il a vendu l’œuvre il savait était persuadé qu’il cédait une oeuvre qui ne pouvait être de l’auteur lui-même (21), que son erreur portait sur une qualité entrée dans le champ contractuel, que son erreur est excusable et encore que l’œuvre en question est (ou est très probablement) authentique (22).


Recommendations

  • Vous êtes un collectionneur (ou ses ayants droit) et vous souhaitez disperser votre collection d’œuvres d’art aux enchères : (1) rassemblez tous les éléments permettant à l’OVV d’inventorier, d’estimer et d’établir la provenance des œuvres de la collection ; (2) négociez avec attention le contenu du mandat de vente avec l’OVV : vous pouvez notamment obtenir un prix de réserve, un prix minimal d’adjudication ou encore une avance sur le prix d’adjudication ; (3) à l’issue de la vente, si un adjudicataire ne paie pas une des œuvres mise en vente, vous pouvez demander une vente sur réitération des enchères, à défaut la vente sera annulée.


  • Vous êtes un OVV dispersant une collection d’œuvres d’art : (1) procédez avec diligence à l’estimation de la collection et à l’établissement de la provenance de chaque œuvre avec un expert / avocat; (2) veillez à formaliser votre relation avec le collectionneur vendeur dans un mandat de vente écrit et détaillé.




Sources :


  1. Harry BELLET, « Mort d’Alain Delon : « Il y en a qui s’achètent des voitures, moi je préfère les tableaux » », Le Monde, 18 août 2024. https://www.google.fr/url?sa=t&source=web&rct=j&opi=89978449&url=https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2024/08/18/mort-d-alain-delon-il-y-en-a-qui-s-achetent-des-voitures-moi-je-prefere-les-tableaux_6285262_3382.html&ved=2ahUKEwiJ0OfqjriIAxUNUqQEHduxIfUQFnoECBgQAQ&usg=AOvVaw3iByJHlpcZuqsjEzYy64iU


  1. Valérie SASPORTAS, « La passion intime d’Alain Delon pour les enchères », Le Figaro Culture, 18 août 2024. https://www.lefigaro.fr/culture/la-passion-intime-d-alain-delon-pour-les-encheres-20240818


  1. Valérie SASPORTAS, « Alain Delon : «Je déteste les ventes posthumes», Le Figaro Culture, 17 octobre 2016. https://www.lefigaro.fr/culture/encheres/2016/10/17/03016-20161017ARTFIG00253-alain-delon-ce-qui-fait-la-valeur-d-une-oeuvre-est-ce-que-je-ressens.php


  1.  « Mort d’Alain Delon, acteur de légende et collectionneur avisé », Connaissance des arts, 19 août 2024. https://www.connaissancedesarts.com/depeches-art/deces/mort-dalain-delon-acteur-de-legende-et-collectionneur-avise-11193947/


  1. Article L.320-2 du Code de commerce.


  1. Guide pratique des ventes volontaires, Conseil des ventes, Les ventes publiques en France, La Documentation Française, juin 2004, p. 97.


  1. Article L.321-11 du Code de commerce.


  1. François DURET-ROBERT, « Titre 13 : Le déroulement des ventes publiques volontaires - Chap. 131. Opérations effectuées avant la vente - 131.43 », p.190, Droit du marché de l’art, n°8 - septembre 2023, Dalloz Action.


  1. Article L.561-2 du Code monétaire et financier.


  1. Article L.561-5 du Code monétaire et financier.


  1. François DURET-ROBERT, « Section 5 : Prix garantis et avances - 131.111 », p.190, Droit du marché de l’art, n°8 - septembre 2023, Dalloz Action.



  1. Judith BENHAMOU, « Enchères : comment le marché parallèle des garanties fait les prix », Les Échos, 25 octobre 2018. https://www.lesechos.fr/2018/10/encheres-comment-le-marche-parallele-des-garanties-fait-les-prix-998585


  1. Article L.321-13 du Code de commerce.


  1. Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 7 février 2006, 04-12.609, Publié au bulletin. 


  1. Recueil des obligations déontologiques des opérateurs de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques (version du 30 mars 2022), article 10.2.


  1. Article 2367 du Code civil.


  1. Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 28/03/2024, 463879

  1. Article L. 321-14 du Code de commerce.


  1. TGI Paris, 23 février. 2010, RG n° 08/05098. 


  1. Cass. Civ. 1ère, 16 février 1983, n° 92-10.348.


  1. Paris, 1ère Ch., sect. 27 février 1998, Barbier de la Serre, RG n°97/00740. 


  1. François DURET-ROBERT, « Titre 33 : L’annulation de la vente pour erreur sur la substance à la demande du vendeur - 332.05 », p.496, Droit du marché de l’art, n°8 - septembre 2023, Dalloz Action.)



09.09.2024

Les « éco-vandales » des Tournesols de Van Gogh jugées coupables : le vandalisme en art, qu’en est-il en droit français ?

Fin juillet 2024, deux militantes écologistes du groupe Just Stop Oil ont été déclarées coupables de « criminal damages » par la Southwark Crown Court de Londres pour avoir aspergé de soupe à la tomate Les Tournesols, de Van Gogh, à la National Gallery de Londres en octobre 2022. Cet événement très médiatisé avait pour objectif de dénoncer l’inaction climatique du gouvernement britannique et de demander l’arrêt de l’exploitation des hydrocarbures par le Royaume-Uni. Si la peine des deux militantes sera prononcée le 27 septembre prochain, le juge Christopher Hehir aurait déjà affirmé qu’elles devraient se préparer « pratiquement et émotionnellement à une peine de prison » (1). Cette condamnation est l’occasion de revenir sur le phénomène du vandalisme, et la façon dont le droit français s’en saisit.

Le vandalisme peut être est défini comme la « destruction ou détérioration des œuvres d'art, des équipements. » (2). Le vandalisme est devenu pour beaucoup une pratique militante à des fins idéologiques et politiques : des militants s’en prennent à des biens de valeur pour donner une visibilité médiatique à leur cause et susciter une réaction. Les militants écologistes qui depuis deux ans s’en prennent régulièrement aux œuvres des musées européens préfigurent la perte d’un patrimoine environnemental viable pour les générations à venir en suscitant le sentiment de perte d’un patrimoine culturel commun.

Le vandalisme militant est loin d’être récent. Déjà en 1914, la suffragette Mary Richardson entaillait de plusieurs coups de couteau l’iconique et sensuelle Vénus au Miroir de Diego Vélasquez en signe de contestation féministe contre ce qu’elle estimait être une représentation de femme-objet (3). Au fil du temps, le vandalisme militant a porté des causes variées :  actes de vandalisme sur l’Arc de Triomphe au moment de la crise des gilets jaunes, ou encore déboulonnement des statues de figures de la traite négrière au Etats-Unis dans le sillage du mouvement anti-raciste Black Lives Matter. On a pu aussi observer des formes de « vandalisme artistique » selon une formule d’Anne Bessette (4). L’objet de ce type de vandalisme est de porter un message sur l’art dans une démarche de dialogue avec l’œuvre initiale. Ce fut le cas quand le peintre Pierre Pinoncelli urina et asséna de coups de marteau la fontaine de Duchamp en hommage à l’« esprit dada » et pour « achever l’œuvre de Duchamp » comme il l’expliqua lors de son procès.

 Face à ces attaques répétées contre les œuvres d’art, la norme juridique est en France un outil important de protection contre le vandalisme. À cet égard, on étudiera la protection des œuvres contre le vandalisme du point de vue du droit pénal (I), du droit d’auteur (II) et du droit des assurances (III).

I.         Protéger l’ordre social : le vandalisme du point de vue du droit pénal

 

Alors que les militantes de Just Stop Oil ont été jugées coupables de « criminal damages » en Angleterre pour avoir vandalisé les Tournesols de Van Gogh, qu’en serait-il en droit pénal français ?

 

A.    L’existence d’un arsenal juridique répressif

 

Le droit pénal français contient des dispositions réprimant expressément les actes de vandalisme. En effet, le Code pénal punit de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende « toute destruction, dégradation ou détérioration d'un bien appartenant à autrui », sauf s’il en résulte un dommage léger (5). Il prévoit également un régime spécial s’agissant des biens culturels, cultuels ou patrimoniaux. À cet égard, l’article 322-3-1 du Code pénal prévoit que « La destruction, la dégradation ou la détérioration » d’un meuble ou d’un immeuble classé, du patrimoine archéologique, d’un bien culturel mobilier qui relève du domaine public mobilier ou qui y est exposé, conservé ou déposé, même de façon temporaire, ou encore d’un lieu de culte, est punie jusqu’à sept ans d'emprisonnement et de 100 000 € d'amende. La peine peut être portée à dix ans d'emprisonnement et 150 000 € d'amende lorsque l'infraction est commise par plusieurs personnes. Enfin, le Code pénal précise que ces peines d'amende « peuvent être élevées jusqu'à la moitié de la valeur du bien détruit, dégradé ou détérioré. ». Il est intéressant de noter que la simple tentative de cette infraction « est punie des mêmes peines » (6). S’ajoute à cette condamnation sur le plan pénal, une éventuelle condamnation du vandale à des dommages et intérêts au titre du préjudice subi par le propriétaire de l’œuvre et l’éventuel dépositaire, si les victimes de vandalisme se constituent parties civiles dans le cadre de leur procès pénal. C’est par exemple sur la base de ces dispositions que Rindy Sam a été condamnée à indemniser les parties civiles après avoir embrassé et laissé une trace de rouge à lèvres sur un tableau de Cy Twombly à la Collection Lambert en 2007 (7).

 

B.    Une mise en œuvre souple en pratique

 

Malgré l’existence d’un arsenal juridique pénal réprimant les actes de vandalisme, on constate en pratique que les condamnations sont minimes, et que l’existence des dispositions pénales n’est donc que très peu dissuasive (8). Par exemple dans l’affaire du baiser sur la toile de Cy Twombly, la vandale n’a été condamnée qu’à 1 500 euros d’amende et des travaux d’intérêt général (7). Plus récemment, les deux militantes écologistes qui avaient aspergé de soupe un tableau de Monet au Musée des Beaux-Arts de Lyon en février 2024, ont été relaxées par le Tribunal correctionnel de Lyon le 18 juin dernier (9) : les juges ont considéré que la matérialité de l’infraction de dégradation en réunion de bien culturel n’était pas caractérisée compte tenu de l’absence de dommages subi par la toile, celle-ci étant protégée par une vitre. Alors que le Parquet de Lyon avait requis deux mois de prison avec sursis à l’encontre des deux militantes, il a fait appel de leur relaxe (10). L’affaire est donc à suivre.

Quoi qu’il en soit, ces actes de vandalisme et plus particulièrement d’éco-vandalisme se multiplient, conduisant à l’introduction de plusieurs propositions de loi en 2022 et 2024 visant à lutter contre ce phénomène. Le premier avait pour objet d’aggraver les sanctions encourues et le second de sanctionner les simples tentatives de vandalisme (ce que le droit pénal prévoit déjà) et de prononcer une interdiction du territoire français pour les vandales « étrangers » (8). Ces propositions n’ont pas donné de suite à ce jour. La ministre de la Culture Rachida Dati a par ailleurs annoncé le 1er juin 2024 sur X avoir saisi le Ministre de la Justice afin de mettre en place "une politique pénale adaptée" à cette "nouvelle forme de délinquance" (11).

II. Protéger l’auteur : le vandalisme du point de vue du droit d’auteur

Grâce au droit au respect dû à toute œuvre de l’esprit, le droit d’auteur protège les artistes contre les atteintes portées à l’intégrité de leurs œuvres. Son application peut toutefois être relativisée, lorsqu’il est confronté à d’autres intérêts légitimes.

A.    Le droit au respect de l’œuvre, vecteur de protection de l’auteur contre le vandalisme

 

Au titre de ses droits moraux sur son œuvre originale, l’auteur jouit en droit français d’un droit au respect de celle-ci (12). La jurisprudence a précisé que le droit au respect de l'œuvre signifie qu’elle ne peut être « ni altérée ni déformée dans sa forme ou dans son esprit » sans le consentement de son auteur (13). En ce sens, l’œuvre est à la fois protégée contre des atteintes objectives à sa matérialité (ajouts, retraits, retouches, etc.) et contre des atteintes subjectives qui altéreraient son esprit en modifiant par exemple son contexte de diffusion et par conséquent son message initial. Très souvent, l’atteinte à l’esprit et à la forme de l’œuvre se confondent. Ce fut par exemple le cas en 2015 lorsque l’œuvre Dirty Corner d’Anish Kapoor exposée au château de Versailles avait fait l’objet d’inscriptions haineuses et antisémites (14), ou encore lorsqu’en 2007, Rindy Sam avait déposé un baiser sur une toile de Cy Twombly. Dans cette dernière affaire, Cy Twombly, en tant qu’auteur de l’œuvre, a perçu 1 euro symbolique, le juge reconnaissant qu’un tel acte devait être considéré comme une atteinte à son droit moral, et plus particulièrement au droit au respect de son œuvre. Le juge avait considéré que « l’ajout d’une marque, fut-elle aussi chargée de douceur et de séduction qu’une trace de baiser, dénature par essence la démarche de l’artiste, qui a considéré son œuvre achevée et ne devant pas subir d’autre modification que la patine du temps » (15).

Notons que le droit au respect de l’œuvre est transmissible à cause de mort, ce qui permet aux ayants droit de l’auteur de veiller, notamment, au respect de l'œuvre de l’artiste, même après sa mort. En outre, il est opposable tant aux tiers qu'aux cessionnaires des droits patrimoniaux (16) et aux propriétaires du support matériel de l’œuvre (17). Ce dernier point est intéressant car celui qui a un titre de propriété sur l’œuvre matérielle, pourtant absolue en théorie, peut être limité par les droits d’auteur de l’artiste. Cela avait été le cas pour les propriétaires d’une nature morte de Bernard Buffet qui avaient découpé celle-ci et essayé de la vendre en plusieurs morceaux. Ils avaient vu leur responsabilité engagée du fait de l’atteinte au droit moral de l’artiste (18).

B.    Les limites de la protection contre le vandalisme par le droit au respect de l’œuvre

 

  • L’exigence d’une véritable dénaturation de l’œuvre

La jurisprudence a précisé que « le droit moral de l'auteur est attaché à la personne même de l'auteur, qu'il emporte le droit absolu au respect de l'œuvre quel que soit son mérite ou sa destination, et que la dénaturation substantielle de cette œuvre engage la responsabilité de son auteur.» (19). Ainsi, il faut toutefois qu’il y ait « dénaturation substantielle » pour qu’il y ait une atteinte au droit moral de l’auteur. On peut considérer par exemple dans le cas des Tournesols de Van Gogh où seul le cadre a subi des dommages mineurs, le tableau étant protégé par du verre, qu’un tel acte ne devrait pas constituer au sens du droit français une atteinte à l’intégrité de l’œuvre. En l’absence d’atteinte substantielle à la forme de l’œuvre, le droit d’auteur ne pourrait donc a priori pas être invoqué pour la protéger.

 

  • Le droit au respect confronté à d’autres intérêts légitimes

Le droit au respect de l'œuvre n’est pas sans limite lorsqu’il est confronté à d’autres intérêts légitimes comme l’atteinte à un droit de la personnalité ou à l’ordre public. C’est par exemple ce qu’a considéré le Tribunal de Versailles dans l’affaire des inscriptions antisémites sur l’œuvre d’Anish Kapoor. En effet, l’artiste avait finalement décidé de conserver son œuvre dans la forme contenant ces inscriptions, précisément pour les dénoncer. Mais après plusieurs jours de polémique, bien que l’artiste ait invoqué son droit moral au respect de son œuvre dans la forme qu’il avait choisi, le tribunal administratif de Versailles saisi en référé a imposé l’occultation des inscriptions considérant qu’elles portaient atteinte à l’ordre public et à la « dignité de la personne humaine » (20).

 III. Protéger proactivement les propriétaires de l’œuvre : le vandalisme du point de vue du droit des assurances

Pour les propriétaires d’œuvres d’art, les expositions représentent un fort risque de vandalisme. C’est la raison pour laquelle, lorsque des œuvres sont exposées, les institutions exposantes, qu’elles soient propriétaires ou dépositaires, doivent impérativement conclure des contrats d’assurance auprès de compagnies spécialisées couvrant notamment le risque de vandalisme.

A.    Le contrat d’assurance d’œuvre d’art, mode d’emploi

  • Le contrat d’assurance d’œuvres d’art : un contrat d’indemnité

Le contrat d’assurance d’œuvres d’art est un contrat d’indemnité. En effet, l’article 121-1 al.1 du Code des assurances dispose que « l’assurance relative aux biens est un contrat d’indemnité ; l’indemnité due par l’assureur à l’assuré ne peut pas dépasser le montant de la valeur de la chose assurée au moment du sinistre ». Ainsi, l’indemnité est fonction de la valeur des biens assurés et l’estimation de cette dernière est l’opération préalable à toute conclusion de contrat d’assurance.

  • L’importance de l’estimation des œuvres

En pratique, l’assuré peut choisir entre un contrat en valeur déclarée ou un contrat en valeur agréée. L’assurance en valeur déclarée est un contrat par lequel l’assuré estime seul la valeur de ses biens en déclarant un montant global sans intervention d'un expert ou de la compagnie d’assurances. En cas de sinistre, l’indemnisation ne pourra pas dépasser la valeur inscrite dans le contrat au moment de la souscription (21). Si le prix de l'œuvre excède la somme garantie au jour du sinistre, l'assuré supporte sa part du dommage. Dans le cas d’une assurance en valeur agréée, l’assuré et l’assureur définissent ensemble la valeur des œuvres d'art, le plus souvent avec l’aide d’un expert. Un inventaire précis des œuvres assurées est alors dressé et le calcul de la prime d’assurance se fait sur la base de cette valeur agréée dans le contrat que les parties peuvent faire évoluer en fonction des fluctuations du marché. Sont par ailleurs prises en compte pour le calcul des primes la « nature des objets d'art et la façon dont ils sont stockés ou exposés » (22). La grande différence entre ces deux types de contrat se joue sur la charge de la preuve en cas de sinistre sur les œuvres. Dans le cadre d’un contrat en valeur déclarée c’est à l’assuré, victime de vandalisme par hypothèse, d’apporter la preuve de la valeur de l’œuvre endommagée (avec des factures, par exemple). Dans un contrat en valeur agréée, l’assureur rembourse à hauteur du montant fixé dans le contrat sans que l’assuré ne doive apporter la preuve de la valeur de l'œuvre (23).

 

  • Les types de garanties proposées

On peut distinguer deux types de garanties proposées par les compagnies pour l’assurance d’œuvres d’art : le contrat tous risques « séjour » et le contrat tous risques « clou à clou » qui sont généralement conclus cumulativement. La garantie « clou à clou » assure les œuvres dans le cadre d’une exposition ponctuelle durant toutes les étapes de l'exposition (décrochage, emballage, transport, accrochage) et la garantie « séjour » assure l’œuvre uniquement dans un lieu déterminé. Ces polices sont le plus souvent souscrites « Tous risques sauf » ce qui signifie que l’assureur prend en charge tous les dommages sauf ceux exclus expressément dans la police du contrat d'assurance (24). Ainsi, il faut veiller à ce que le vandalisme ne soit pas exclu des risques couverts.

  • La prise en charge de la destruction, de la restauration et de la perte de valeur de l’oeuvre

Grâce à ce type de contrat, en cas de destruction de l’œuvre, l’assuré devrait obtenir une indemnité à hauteur de la valeur déclarée ou agréée de l’œuvre au jour du sinistre. En cas de dégradation de l’œuvre, l’assureur devrait prendre en charge les frais de restauration. Au terme de cette restauration, un expert estimera une éventuelle perte de valeur de l’œuvre et la compagnie devrait indemniser l’assuré à hauteur de cette perte de valeur (22).

 

B.    Des pratiques différentes entre institutions privées et publiques

En pratique, on observe deux distinctions importantes entre l’assurance des collections permanentes et des expositions temporaires, entre les institutions publiques et privées (musées, galeries, etc.). Alors que les institutions privées font pour la plupart appel à une police d’assurance pour l’ensemble de leurs collections, expositions et stocks, les musées publics ont rarement recours à une assurance pour leur collection permanente. Cela tient principalement à trois choses. D’une part, le fait que l’Etat est son propre assureur : il prend lui-même en charge la dégradation des biens dont il est propriétaire. D’autre part, l’estimation de certaines collections est rendue difficile par des oeuvres parfois inestimables (e.g. la Joconde de Léonard de Vinci), et des inventaires qui ne sont pas toujours exhaustifs. Enfin, l’assurance d’une collection au quotidien peut ne pas être économiquement viable pour certaines institutions publiques compte tenu de la valeur de leur collection. C’est pourquoi, il est souvent plus intéressant pour celles-ci d’investir dans le personnel de surveillance et l’amélioration du dispositif de sécurité (25). En revanche, les expositions temporaires en musées publics où se mêlent des œuvres publiques et des œuvres privées en dépôt, doivent nécessairement être assurées, le cas échéant en souscrivant à une assurance privée. En cas d’exposition temporaire d’envergure, le mécanisme de la garantie d’État peut aussi intervenir. Celui-ci s’applique aux expositions organisées par des établissements publics nationaux agréés « d’un montant total de 250 millions d’euros dont la valeur des œuvres n’appartenant pas à l’État atteint un minimum de 45 millions d’euros. L’État prendra en charge, en cas de sinistre, la fraction du dommage supérieur au montant fixé. » (26).

Nos Recommandations :

  •  Vous êtes une institution privée exposant des œuvres d’art : (1) Préventivement, faites estimer vos œuvres et souscrivez une police d’assurance adaptée à votre collection auprès d’une compagnie spécialisée. Veillez à ce que le risque de vandalisme ne soit pas exclu de la police d’assurance. (2) En cas d’acte de vandalisme commis sur une œuvre, vous pouvez porter plainte et vous constituer partie civile pour obtenir une indemnisation.

 

  • Vous êtes une institution publique exposant des œuvres d’art : (1) Assurez au maximum votre collection auprès d’une compagnie spécialisée. (2) Si vous avez des œuvres privées en dépôt, assurez-les nécessairement. (3) Dans tous les cas, investissez dans le personnel de surveillance et l’amélioration du dispositif de sécurité. (4) En cas d’acte de vandalisme commis sur une œuvre, vous pouvez également porter plainte et vous constituer partie civile pour obtenir une indemnisation.

 

  • Vous envisagez de commettre des actes de vandalisme : (1) Vous vous exposerez à des sanctions pénales. (2) Vous risquez de voir votre responsabilité engagée sur le plan civil au titre des dommages causés au propriétaire de l’œuvre et à son éventuel dépositaire. (3) Vous pourrez également être condamné sur le fondement de la violation des droits d’auteur de l’artiste.

 

  • Vous êtes l’auteur d’une œuvre de l’esprit vandalisée : Sur le fondement de votre droit moral au respect de l’intégrité de votre œuvre, vous pouvez demander une indemnisation en cas de dégradation substantielle de celle-ci, qu’elle soit matérielle ou spirituelle.

 

Sources :

 

(1)   Karen K.HO, « Just Stop Oil Activists Who Threw Tomato Soup at Van Gogh’s ‘Sunflowers’ Get Prison Time », Artnews.com, 26 juillet 2024 : https://www.artnews.com/art-news/news/just-stop-oil-activists-found-guilty-criminal-damage-heinz-tomato-soup-van-gogh-sunflowers-national-gallery-1234712999/

 

(2)   Isabelle MANCA, « 1914, les suffragettes introduisent leur combat au musée », Le Journal des Arts, 8 avril 2018 : https://www.lejournaldesarts.fr/patrimoine/1914-les-suffragettes-introduisent-leur-combat-au-musee-136702

 

(3)   https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/vandalisme/81035#:~:text=barbarie%20%2D%20déprédation-,vandalisme%20n.m.,endommage%20gravement%20et%20gratuitement…

 

(4)   Anne BESSETTE, « Du vandalisme d’art comme stratégie de captation de l’attention », Recherches sociologiques et anthropologiques [En ligne], 54-1 | 2023, mis en ligne le 10 octobre 2023. http://journals.openedition.org/rsa/5988 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rsa.5988

 

(5)   Article L. 322-1 du Code pénal.

 

(6)   Article L. 322-4 du Code pénal.

 

(7)   TGI Avignon, 16 nov. 2007: D. 2008. 588, note Edelman & Lucie AGACHE, « L’auteur du baiser sur la toile de Cy Twombly condamnée », Connaissance des Arts, 21 septembre 2007. « https://www.connaissancedesarts.com/arts-expositions/lauteur-du-baiser-sur-la-toile-de-cy-twombly-condamnee-117469/

 

(8)   Pierre NOUAL, « Éco-vandalisme : quelles sont les sanctions pénales ? », Journal des Arts, 27 juin 2024. https://www.lejournaldesarts.fr/actualites/eco-vandalisme-quelles-sont-les-sanctions-penales-172840

 

(9)   Jordane DE FAŸ, « Relaxe pour les activistes écologistes ayant aspergé une toile de Monet », Le Quotidien de l’art, 20 juin 2024. https://www.lequotidiendelart.com/articles/25865-relaxe-pour-les-activistes-écologistes-ayant-aspergé-une-toile-de-monet.html

 

(10)                 « Tableau de Monet aspergé de soupe : le parquet de Lyon fait appel de la relaxe », Le Figaro, 24 juin 2024. https://www.lefigaro.fr/lyon/tableau-de-monet-asperge-de-soupe-le-parquet-de-lyon-fait-appel-de-la-relaxe-20240624

 

(11)                 Carla LORIDAN, « Rachida Dati souhaite instaurer une « politique pénale adaptée » pour les attaques d’œuvres d’art », BFM TV, 2 juin 2024. https://www.bfmtv.com/culture/rachida-dati-souhaite-instaurer-une-politique-penale-adaptee-pour-les-attaques-d-uvres-d-art_AN-202406020199.html

 

(12)                 Article L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle.

 

(13)                 Cour d’appel de Paris, 28 juillet 1932 : DP 1934. 2. 139, note Lepointe.

 

(14)                 Jason LABRUYÈRE, « L’œuvre vandalisée d’Anish Kapoor ou la négation du droit au respect de l’œuvre », Le Petit Juriste, 17 novembre 2015. https://www.lepetitjuriste.fr/loeuvre-vandalisee-danish-kapoor-ou-la-negation-du-droit-au-respect-de-loeuvre/

 

(15)                 Cour d'appel de Nîmes, 2 juin 2009, n°09/00461 & AMÉLIE, « Quand la collection Lambert suscite les passions charnelles, Cy Twombly victime ? », L’envers du droit, 4 mai 2016. https://lenversdudroit.wordpress.com/2016/05/04/quand-la-collection-lambert-suscite-les-passions-charnelles-cy-twombly-victime/

 

(16)                 Cour d’appel de Paris, 20 nov. 1935.

 

(17)                 Cass. Civ. 1re, 6 juill. 1965.

 

(18)                 Cass., Civ. 1re, 6 juillet 1965, Publié au bulletin.

 

(19)                 Cour d’appel de Paris, 10 avril 1995 : RIDA oct. 1995, p. 316.

 

(20)                 « Inscriptions antisémites sur l'oeuvre "Dirty corner" d'Anish Kapoor : le château de Versailles doit, sans délai, prendre toutes mesures pour faire cesser leur exposition au public » (Communiqué), Tribunal administratif de Versailles, 21 septembre 2015. http://versailles.tribunal-administratif.fr/A-savoir/Communiques/Inscriptions-antisemites-sur-l-oeuvre-Dirty-corner-d-Anish-Kapoor-le-chateau-de-Versailles-doit-sans-delai-prendre-toutes-mesures-pour-faire-cesser-leur-exposition-au-public

 

(21)                 Article L. 121-5 du Code des assurances.

 

(22)                 Nina LE CLERRE, «Œuvres d’art dégradées : comment sont assurés les tableaux », BFM TV, 29 octobre 2022. https://www.bfmtv.com/economie/patrimoine/investissement-passion/oeuvres-d-art-degradees-comment-sont-assures-les-tableaux-celebres_AN-202210290243.html#

 

(23)                 Andres PEÑA, « Comment assurer une œuvre d’art ? », urdla.com. https://urdla.com/blog/comment-assurer-oeuvre-d-art/#:~:text=Contrat%20en%20valeur%20agréée&text=avec%20l'assuré.-,La%20valeur%20d'une%20œuvre%20d'art%20assurée%20en%20valeur,à%20partir%20de%20cette%20valeur.

 

(24)                 Jean-François CANAT et Delphine ESKENAZI, « Section 4 - Risques liés au prêt d’œuvres d’art », Droit du marché de l’art, 2024-2025.

 

(25)                 Marie-Douce ALBERT et Anne JOUAN, « Comment sont assurées les œuvres d’art », Le Figaro, 22 février 2008. https://www.lefigaro.fr/assurance/2008/02/22/05005-20080222ARTFIG00392-comment-les-oeuvres-d-art-hors-de-prix-sont-assurees-.php

 

(26)                 M. Ranouil, « Œuvre d’art – le Prêt d’œuvres d’art entre musées », CCC, 2022/3, étude 6.

 

 

29.08.2024

Décryptage du récent rapport sur l’articulation du métavers et du droit d’auteur : constats et perspectives

Le 11 juillet 2024, la Commission sur le métavers du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (la “Commission”), l’organisme chargé de conseiller le ministre de la Culture en matière de propriété littéraire et artistique, a publié un rapport éclairant sur le développement du métavers et ses implications pour les acteurs des industries culturelles et créatives (les “ICC”), en matière de droit d’auteur (1). 

Si à l’heure actuelle le secteur du métavers a perdu de son dynamisme et de son attractivité auprès des utilisateurs, le rapport souligne qu’il devrait faire l’objet d’un investissement croissant dans les prochaines années, tel que l’illustre déjà l’appel à projets « Culture immersive et métavers » (2), lancé par le Gouvernement en janvier 2024, dans le cadre de France 2030 (3) (plan d’investissement de 54 milliards d’euros sur 5 ans), en vue du développement de « la production et la diffusion d’expériences immersives, au service de la démocratisation culturelle et de l’élargissement des publics »

Le métavers demeure donc un sujet cardinal à étudier, en particulier sous l’angle du droit d’auteur, pour l’appréhender au mieux, anticiper ses futures évolutions et protéger ainsi le secteur des ICC et ses acteurs.

A titre liminaire, rappelons que la notion de « métavers » désigne un « univers virtuel tridimensionnel persistant offrant à ses utilisateurs, représentés par des avatars, une expérience interactive et immersive ». Dès lors, les utilisateurs sont amenés à développer une vie virtuelle complète et à interagir avec leur environnement numérique. Une place centrale leur est laissée dans la conception de ces mondes virtuels, ce qui rend le métavers si spécifique. Cela étant dit, la Commission souligne que « le métavers comme approche holistique de la vie humaine connectée, où le virtuel supplante le réel, lui, n’existe pas » et le définit comme « un service en ligne donnant accès à un espace immersif et persistant, où les utilisateurs peuvent interagir en temps réel à travers des avatars, et à terme y développer une véritable « vie virtuelle », notamment culturelle ». Elle prend ainsi le parti de le définir de manière extensive afin d’embrasser la diversité existante et future de ses modèles, de ses utilités (ludiques, professionnelles, sociales) et des technologies sur lesquelles il se fonde (blockchain, casque de réalité virtuelle, etc.). Ainsi, sera par exemple considéré comme un métavers le jeu en ligne The Sandbox, fondé sur un système de blockchain, permettant à l’utilisateur de construire librement ce qu’il souhaite au sein de l’environnement virtuel et de vendre ses propriétés via une cryptomonnaie dédiée, le SAND. D’autres types d’expériences immersives à travers des casques de réalité virtuelle, à l’instar de l’expérience « Éternelle Notre-Dame » qui permet grâce à  un avatar de visiter une reconstitution virtuelle de la Cathédrale Notre Dame de Paris, sont aussi considérés comme des univers métaversiques. 

En tout état de cause, il existe diverses plateformes de métavers permettant aux utilisateurs d’exercer une activité culturelle (e.g., créer des œuvres grâces aux outils fournis par la plateforme, assister à des évènements comme des concerts ou des expositions, acquérir et vendre des œuvres, etc.). Elles constituent incontestablement un espace supplémentaire de création à investir pour les acteurs des ICC. 

La Commission observe également combien la notion de métavers comporte une dimension marketing pour les acteurs du numérique : depuis les années 2020, les prestataires de métavers s’évertuent à démontrer que leurs plateformes représentent une véritable révolution numérique en rupture totale avec le monde physique, suggérant l’inadéquation des lois qui le régissent et l’inapplication totale des obligations légales existantes. Or, la Commission constate, dans la lignée de la doctrine sur le sujet (4), qu’en l’état du développement technologique des métavers, le cadre légal actuel, en particulier en matière de droit d’auteur, est - sous réserve de quelques adaptations - en mesure de s’appliquer. De fait, le but même du droit de la propriété intellectuelle, dont le droit d’auteur est une branche, est de protéger une propriété incorporelle ; ainsi, en créant un monde immatériel, le métavers n’est pas si disruptif. 

Partant de ce constat, le rapport met en exergue trois aspects juridiques essentiels du métavers qui méritent de s’y intéresser avec attention : il est un nouvel espace à la fois de création d’œuvres (I) et de leur exploitation (II) encadré par le droit d’auteur , mais dans lequel la protection des droits de propriété intellectuelle peut être dont l’effectivité doit être relativisée par des enjeux techniques et procéduraux (III).

I. Le métavers, un univers supplémentaire de création encadré par le droit d’auteur

En offrant un nouveau lieu de « vie », notamment culturelle, le métavers laisse émerger une nouvelle typologie d’œuvres et soulève la question de leur protection par le droit d’auteur et, le cas échéant, de l’identité du titulaire dudit droit. Si la Commission met en exergue certains enjeux d’adaptation, elle considère, à juste titre selon nous, que le droit d’auteur en vigueur est largement en état d’intégrer cette nouvelle catégorie.

  1. Des oeuvres « métaversiques »

  • Une nouvelle typologie d’œuvres

Le métavers offre  à ses utilisateurs un espace de création d’œuvres « métaversiques » destinées à y être exploitées. Elles peuvent y être créées directement à partir des outils fournis par la plateforme ou constituer  des « jumeaux numériques », i.e., des reproductions numériques d’œuvres physiques pré-existantes. Cette opportunité des « jumeaux numériques » est exploitée par les acteurs culturels publics qui y voient une possibilité d’élargir l’accès à la culture, notamment par le biais d’expositions virtuelles. À titre d’exemple, en 2023 le British Museum a signé un partenariat avec le jeu The Sandbox pour y rendre ses collections accessibles grâce à la création de tels jumeaux numériques (5). La protection de ces œuvres « métaversiques » par le droit d’auteur, en France, suppose leur qualification d’œuvres de l’esprit originales. Cette qualification ne pose pas de grandes difficultés ; en effet, le droit d’auteur protège du seul fait de leur création les œuvres de l’esprit « quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination » (6), dès lors qu’elles sont originales. L’originalité est définie par la jurisprudence comme le « reflet de la personnalité du créateur » (7). Au regard de ces critères, la Commission considère que l’on peut parfaitement qualifier d’œuvre de l’esprit certaines créations du métavers, ce qui est une pensée commune au sein de la doctrine. Toutefois, elle préconise une approche exigeante de l’originalité pour éviter une perte d’efficacité du droit d’auteur par une extension qui serait trop importante. Il conviendrait alors de l’apprécier « au regard de la liberté de conception offerte aux utilisateurs par les outils de création et des rôles respectifs que peuvent jouer l’utilisateur et des outils d’assistance à la création, notamment d’intelligence artificielle ». 

  • Le métavers, une méta-oeuvre ?

Autres créations, les univers métaversiques eux-mêmes devraient être, sous réserve du respect des conditions susmentionnées, être protégés par le droit d’auteur. Pour étayer cette position justifiée selon nous, la Commission se rapporte à la jurisprudence ayant admis la protection des sites internet, « qui par la combinaison de leur présentation et de leur contenu, révèlent un effort créatif » (8). Elle fait également référence aux œuvres multimédia, catégorie à laquelle il lui semble pertinent de rattacher le métavers en tant que création (9). Le rapprochement est en effet intéressant : à l’instar de l’oeuvre multimédia, l’univers métaversique « (i) résulte de la réunion d’éléments de genre différents (images fixes ou animées, textes, sons, programmes informatiques, etc.), dans un univers numérique, (ii) implique une interactivité avec l’utilisateur, et (iii) a une identité propre différente des différents éléments qui le composent » (10). De ce fait, la Commission considère qu’il serait opportun d’appliquer le régime juridique de l’oeuvre multimédia, selon lequel  chacun des éléments composant l’œuvre « est soumis au régime qui lui est applicable en fonction de sa nature » (par exemple les auteurs d’œuvres musicales ou d’art plastique seront soumis au droit commun du droit d’auteur alors que les auteurs de logiciel seront soumis au régime spécial prévu par le Code de la propriété intellectuelle (CPI)).

  1. Le titulaire du droit d’auteur : la plateforme de service de métavers, l’utilisateur ou l’avatar ?

  • La plateforme et l’utilisateur-créateur : délimitation du droit d’auteur dans le métavers  

S’il y a œuvre métaversique originale, il y a, en principe, titulaire(s) de droit d’auteur sur celle-ci. La création d’une œuvre au sein du métavers fait intervenir plusieurs acteurs, parmi lesquels la plateforme qui offre les moyens de la création et l’utilisateur qui crée une œuvre. Cela conduit à s’interroger sur la titularité du droit d’auteur sur les œuvres créées dans le métavers. Ici, la Commission opte pour une reconnaissance de paternité à l’utilisateur-créateur sur son œuvre métaversique (11) ; elle considère, de manière tout à fait classique, que la mise à disposition d’outils de création par la plateforme ne suffit pas à lui conférer la titularité des droits sur l’œuvre créée. Elle rappelle fermement qu’outre la prérogative patrimoniale du droit d’auteur (conférant à son auteur un monopole d’exploitation de l’oeuvre), la prérogative morale de l’auteur sur son œuvre (12) a vocation à s’appliquer aux œuvres métaversiques, observant que ce droit n'est régulièrement pas mentionné dans les conditions générales d’utilisation (CGU) des plateformes. Enfin, la Commission souligne que la plateforme demeure en théorie titulaire des droits sur le logiciel utilisé pour créer l’univers métaversique. 

  • L’avatar, titulaire/co-titulaire de droit d’auteur ?

S’agissant d’une éventuelle titularité du droit d’auteur sur l’œuvre par l’avatar, la Commission est claire : seul l’utilisateur-créateur peut être titulaire d’un droit sur son œuvre, car lui seul a une personnalité qu’il peut y refléter. Toutefois, elle note avec pragmatisme que l’avatar représente sous la forme d’un pseudonyme l’utilisateur tant qu’il n’a pas fait connaître son identité. Cela ne pose pas tant de difficultés pratiques puisque le droit de la propriété intellectuelle protège les droits des auteurs pseudonymes sur leurs œuvres. Ils sont « représentés dans l'exercice de ces droits par l'éditeur ou le publicateur originaire, tant qu'ils n'ont pas fait connaître leur identité civile et justifié de leur qualité » (13).  La Commission note que si l’avatar ne peut être auteur, il peut en revanche, lui-même, avoir le statut d’œuvre de l’esprit s’il reflète par son originalité la personnalité de son auteur.


II. Le métavers, un nouvel univers d’exploitation des œuvres originales 

Non seulement le métavers offre la possibilité aux utilisateurs de créer de nouvelles typologies d’œuvres, mais il leur permet aussi de les y exploiter. Cette exploitation numérique demeure en principe régie par le droit d’auteur. 

  1. L’application de toutes les prérogatives des droits d’exploitation

  • L'application des droits de représentation et de reproduction dans le métavers

Parmi les prérogatives du titulaire du droit d’auteur, les droits patrimoniaux de représentation et de reproduction permettent l’exploitation de l’œuvre par son auteur, ou s’il l’autorise par des tiers. La Commission  estime que rien ne fait obstacle à ce que ces prérogatives soient applicables dans le métavers :  le droit de représentation de l’œuvre qui est la « communication de l'œuvre au public par un procédé quelconque » (14), s’appliquerait, dès lors que la communauté de vie virtuelle du métavers est bien un public auquel est communiquée l’œuvre ; le droit de reproduction qui est « la fixation matérielle de l'œuvre par tous procédés qui permettent de la communiquer au public d'une manière indirecte » (15), dès lors que la numérisation est considérée comme un mode de fixation matérielle. Il en résulte que « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause (serait) illicite » (16). Ainsi par exemple, le titulaire du droit d’auteur sur une peinture originale serait protégé contre la création sans son consentement d’un jumeau numérique dans le métavers, lequel constituerait dès lors une contrefaçon, sauf exceptions légales.

  • L’application des exceptions aux droits d’exploitation dans le métavers

A cet égard, la Commission rappelle que lorsqu’une œuvre de l’esprit originale a été divulguée, l’auteur ne peut interdire, sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source, certaines exploitations prévues limitativement par le CPI (citation courte, parodies, etc.). Elle considère que tout en nécessitant une adaptation aux mondes virtuels, ces exceptions gardent leur pertinence, dès lors qu’elles respectent le fameux « test en trois étapes » prévu notamment par le traité de l’OMPI sur le droit d’auteur (17) : « (i) être limitées à des cas spéciaux ; (ii) ne pas porter atteinte à l'exploitation normale de l'objet protégé ; (iii) ne pas causer de préjudice injustifié aux ayants droit. ».

  • L’application du droit de suite dans le métavers 

De la même façon, le droit de suite s’applique en théorie dans le métavers. Celui-ci permet aux auteurs des arts visuels (et à leurs ayants droit) de percevoir une rémunération lors de la revente de leurs œuvres originales avec l’intervention d’un professionnel du marché de l’art lorsque l’ensemble des conditions posées par le CPI sont remplies (18). En particulier, le droit de suite s’applique aux aux créations sur support « numérique dans la limite de douze exemplaires », sous réserve qu’elles soient « numérotées ou signées ou dûment autorisées d'une autre manière par l'auteur » (19). Se pose alors la question essentielle de l’identification des œuvres métaversiques que la Commission n’évoque pas. Ici, l’utilisation de la technologie blockchain et des jetons non fongibles (NFTs) - ceux-ci étant assimilables à des certificats d’authenticité numériques - qui seraient rattachées à ces œuvres pourrait être l’une des solutions à leur identification, afin qu’elle puisse bénéficier du droit de suite. 


2. La cession de droits d’auteur dans le métavers

En droit français, les cessions des droits d’auteur sur les œuvres originales sont encadrées de façon stricte par un formalisme et des conditions exigeantes visant à protéger son titulaire. Par exemple, le CPI pose une prohibition de la cession globale d’œuvres futures (20), des mentions distinctes obligatoires pour chacun des droits cédés, une obligation de délimitation du domaine d’exploitation des droits cédés (21), une exigence de rémunération du cédant (22). Parallèlement, la Commission observe qu’alors même que ces dispositions s’appliquent dans le métavers, très souvent les CGU des plateformes de métavers ne respectent pas ces règles en s’accordant « presque systématiquement un droit d’utilisation de ces contenus, à titre perpétuel, irrévocable, mondial, non exclusif, sous-licenciable, transférable et gratuit ». Et les utilisateurs ne disposent généralement pas de possibilité de négociation. Dès lors, ces clauses des CGU pourraient être considérées comme abusives et réputées non écrites lorsqu’elles sont opposées à des utilisateurs consommateurs. La Commission invite donc les pouvoirs publics à échanger avec ces plateformes afin qu’elles se conforment à ces règles d’ordre public du droit de la propriété intellectuelle, ainsi qu’à celles du droit à la consommation. 


III. Le métavers, un univers où l’effectivité du droit d’auteur doit être relativisée par des enjeux techniques et procéduraux

Alors que les titulaires de droits d’auteur disposent de prérogatives certaines sur leurs œuvres, y compris dans le métavers, les faire valoir pose en pratique plus de difficultés. 

  1. La question essentielle de l’interopérabilité entre les plateformes de métavers et de la portabilité des œuvres 

D’un point de vue technique, la Commission attire l’attention sur le problème de la faible interopérabilité entre les plateformes de métavers qu’elle estime être un des « enjeux majeurs pour la création et le partage de la valeur, ainsi que pour l’exercice effectif des droits d’auteur ». L’interopérabilité correspond à la capacité d’une plateforme ou de ses composantes, à fonctionner avec une autre plateforme sans restriction. Ainsi, à ce jour, les utilisateurs-auteurs sont confrontés à une faible portabilité de leurs œuvres d’un métavers à un autre. En clair, il leur est délicat de transférer et d’exploiter une œuvre hors du métavers au sein duquel elle a été conçue.

Il s’agit d’une problématique essentielle en matière de droit d’auteur, puisqu’est dès lors mise en cause la possibilité de leur exploitation. En effet, la Commission souligne qu’en l’absence de standards assurant l’interopérabilité, les auteurs doivent recréer leurs œuvres pour les exploiter dans chaque métavers, ce qui peut par ailleurs entraîner des coûts supplémentaires. En outre, elle ajoute que la pérennité des œuvres métaversiques n’est pas garantie en cas de fermeture du service de métavers. En conséquence, la Commission estime que l’interopérabilité entre les métavers doit dès à présent être fortement encouragée. Elle envisage même la possibilité de reconnaître aux utilisateurs des métavers un « droit à la portabilité des œuvres » sur le modèle du droit à la portabilité des données prévu dans le règlement général sur la protection des données (RGPD). Ce droit permet aux utilisateurs d'exporter librement leurs données dans un format lisible et de les transmettre à un autre responsable de traitement sans entrave.

  1. Les problématiques procédurales posées par le métavers

D’un point de vue probatoire, le rapport relève la difficulté à rapporter la preuve d’agissements illicites dans les métavers tenant à leur caractère persistant. En effet, les métavers évoluent en temps réel. La Commission précise que les actes illégaux ont alors tendance à rapidement disparaître, dans le flux continu des actions des utilisateurs. D’autant qu’il n’existe pas d’obligation de conservation des données applicable aux prestataires de métavers permettant « la conservation générale et indifférenciée des données »

Le rapport souligne par ailleurs que les CGU des plateformes de métavers prévoient presque systématiquement l’application aux services qu’elles fournissent de droits extra-européens et la compétence de juridictions extra-européennes (23). Cela complexifie la possibilité pour les utilisateurs français de faire valoir leurs droits et défendre leurs intérêts. La Commission note toutefois que l’utilisateur qualifié de consommateur (personne physique qui conclut un contrat pour un « usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle » (24)) pourra saisir un juge européen si la plateforme a dirigé son activité substantiellement vers un État européen. S’agissant de la loi applicable, elle rappelle qu’une clause de choix de loi « ne peut cependant avoir pour résultat de priver le consommateur de la protection que lui assurent les dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de la loi qui aurait été applicable, en l'absence de choix », à savoir la loi de l'État membre où il a sa résidence habituelle (25). Ainsi, si cette clause n’indique pas au consommateur qu’il lui est possible de bénéficier des règles impératives et plus avantageuses du droit de son État membre de résidence habituelle, elle sera considérée comme une clause abusive (26) et sera donc réputée non écrite. En revanche, la situation demeure très défavorable aux professionnels pour qui les clauses de choix de loi et attributives de juridiction sont selon la Commission « généralement licites et valables, quel que soit le pays désigné et le texte à appliquer ». Or, elle note à juste titre que dans le métavers la séparation stricte entre professionnel et consommateur tend, à ce jour, à s’effacer et que l’ensemble des utilisateurs doivent être mieux informés sur leurs engagements avec les plateformes.


Nos recommandations :

  • Vous êtes un utilisateur-auteur dans le métavers : Consultez les CGU de la plateforme et vérifiez qu’elles ne portent pas atteinte à vos droits d’auteur  sur vos créations dans le métavers (moraux et patrimoniaux en particulier). 

  • Vous êtes titulaire de droits d’auteur sur une œuvre reproduite dans le métavers sans votre autorisation : (1) En tant que  titulaire du droit d’auteur, le droit de reproduction est votre prérogative. La violation de celle-ci est un acte contrefaisant. (2) Pré-constituez vous une preuve le plus rapidement possible (de préférence, procès-verbal d’huissier, et à défaut capture d’écran datée), car les plateformes de métavers évoluent en permanence et les traces de comportements illégaux disparaissent vite.

  • Vous êtes une plateforme de service de métavers : (1) Votre métavers peut éventuellement être protégé par le droit d’auteur en tant qu’œuvre originale, ce qui vous permettra de contester toute reproduction de celui-ci par un tiers sans votre autorisation. (2) Vérifiez que vos CGU sont conformes aux dispositions du droit du pays dans lequel la plateforme est active (notamment en matière de cession de droits, de protection du droit moral des auteurs, de protection des consommateurs). (3) Mettez en œuvre un mécanisme efficace en matière d’identification et de blocage des contenus contrefaisants.



Sources :

02.07.2024

Vol du rat au cutter de Banksy : quelle protection pour une œuvre fruit d’un délit ?

« Copyright is for loosers », c’est du moins ce qu’affirme le street artiste Banksy dans son ouvrage de 2005 intitulé Wall and Piece (1). Cette célèbre phrase témoigne de l’esprit du street art : l’auteur ne revendique en général rien (pas même ses propres droits sur son œuvre), si ce n’est sa liberté d’exercer son art, sans révéler son identité, sans contrat et sans rémunération.

C’est un peu ce qu’illustre le rat au cutter qui figurait au dos d’un panneau de signalisation à côté du Centre Pompidou, jusqu’à son vol en 2019. Réalisée au pochoir, l’œuvre rendait hommage « cinquante ans après la révolte de mai 1968 », à la ville de « Paris, berceau de l’art du pochoir moderne » (2).

L’œuvre est volée le 2 septembre 2019 à 3h30 du matin, moins d’un an après sa réalisation (4). Avec l’aide de ses complices, Mejdi R., artiste, a découpé l’œuvre à la disqueuse, juché sur un camion-nacelle (5). Il est retrouvé puis mis en examen en 2020, avant d’être condamné à deux ans de prison avec sursis et 30 000 euros d’amende le 19 juin 2024 par le tribunal correctionnel de Paris (6). L’accusé s’était défendu avec audace, arguant qu’il aurait agi à la demande de Banksy lui-même, rencontré quelques années plus tôt (5). Le street artiste a démenti dans un communiqué adressé à plusieurs journaux français (5) mais n’a pas porté plainte pour le vol (7).

A la lumière de ces évènements, revenons sur la qualification juridique de l’œuvre de street art (I), l’identification de son propriétaire (II) et les risques encourus lors de son acquisition (III).

 

I. Quelle est la qualification juridique d’une œuvre de street art ?

La qualification juridique d’une œuvre de street art est un enjeu très important, notamment lorsqu’une œuvre ayant acquis une haute valeur est dégradée ou en l’occurrence, volée. Il est intéressant de noter que l’appréhension du street art par le droit varie selon ses branches : si le droit pénal en fait un délit, le droit d’auteur le place aux mêmes rangs que les autres créations.

A. En droit pénal

Certaines œuvres de street art résultent d’une commande (généralement d’une commune), ou du moins bénéficient d’une autorisation par le propriétaire du support sur lequel l’œuvre est réalisée. Mais attention, lorsque ce n’est pas le cas, l’œuvre de street art s’apparente à un délit : l’auteur intervient sur un support, public ou privé, qui ne lui appartient pas. Pour rappel, l’article 322-1 du Code pénal punit d’une amende de 3 750 euros et d’une peine de travail d’intérêt général le fait de tracer sans autorisation des inscriptions, des signes ou des dessins sur les façades, les voies publiques ou le mobilier urbain (8). C’est en vertu de ce texte que sont condamnés certains auteurs (9). L’avocat de Mejdi R. a ainsi fondé certains de ses arguments sur cette première approche : « le graffiti est un art sauvage » a-t-il déclaré (5).

En droit, la pratique du street art a pour particularité de se positionner à mi-chemin entre liberté de création artistique et dégradation des biens. Toutes les créations en étant issues ne sont pas protégées et/ou réprimées de la même façon, selon la valeur qu’on leur accorde : Bansky en est bien la preuve. Le procureur a souligné que le vol du rat au cutter « prive les Parisiens depuis cinq ans d’une des rares œuvres de Banksy » (10) ; il a requis 18 mois de prison dont 10 avec sursis et 50 000 euros d’amende à l’encontre de Mejdi R (5). Cette remarque suggère qu’il existerait une différence de traitement en raison du mérite accordée à l’œuvre et à son auteur, ce qui n’est, heureusement, juridiquement pas le cas.

B. Selon le droit d’auteur

Si le droit pénal considère que le street art constitue un délit, le droit d’auteur reconnaît aux réalisations de street art le caractère d’œuvre de l’esprit et les protège, dès lors qu’elles sont considérées originales (i.e., quand elles portent l’empreinte de la personnalité de leur auteur). En effet, le Code de la propriété intellectuelle ne prend en compte ni la forme, ni le mérite : une création réalisée illégalement, qui ne serait pas au goût de tous, peut être identifiée comme telle (11).

Le juge reconnaît donc parfois à une œuvre de rue la protection par le droit d’auteur ; il peut aller jusqu’à voir dans le choix de son emplacement et du support employé un indice de son originalité. C’est en tous cas ce qu’a affirmé le tribunal de grande instance de Paris à propos des Space Invaders, ces créations faites de carreaux scellés dans un mur que l’on retrouve dans la plupart des grandes villes du monde (12). Une réponse ministérielle de mai 2016 semble même être allée plus loin, en reconnaissant qu’un graffiti original sur un support mural, dès lors qu’il a été réalisé avec l’autorisation du propriétaire du support, peut être considéré comme une œuvre d’art au sens de l’article 98 A de l’annexe III du Code général des impôts, alors même qu’il ne figure pas dans la liste limitative de ce texte (13).

De fait, l’illicéité ne résiderait donc pas dans la création elle-même, qui peut être considérée comme une œuvre protégeable, mais dans l’acte de sa création et le fait de prendre pour support un bien qui n’appartient pas à l’auteur (14). Ainsi, à propos d’une mosaïque réalisée sur les murs et le sol d’un appartement occupé sans titre, le tribunal de grande instance de Paris a accordé aux auteurs-squatteurs un délai de deux mois pour la déposer à leurs frais, après quoi le propriétaire pourrait en disposer librement (15). Cette décision reconnaît aux auteurs de la mosaïque des droits moraux suffisamment importants pour limiter temporairement les droits du propriétaire de l’immeuble (14).

 

II. A qui appartient l’œuvre de rue ?

Une œuvre protégée par le droit d’auteur est composée de deux biens : le bien corporel -matériel, tangible-, et le bien intellectuel, c’est-à-dire l’œuvre de l’esprit sur laquelle portent les droits d’auteur. La distinction entre ces deux biens s’explique en pratique : ce n’est pas parce qu’un artiste vend son œuvre, bien corporel, qu’il vend les droits qu’il a dessus, et inversement (16). Certains de ses droits d’auteur sont effectivement cessibles, mais la cession doit être explicite, elle n’est pas présumée du fait de la vente du bien corporel. En raison du caractère illicite du street art, la question de l’identification du propriétaire de l’œuvre bien corporel (A) et intellectuel (B) est tout à fait légitime.

 

A. Le propriétaire de l’œuvre, bien corporel

« Personne n’est capable de dire à qui appartient ce bien » affirmait l’avocat de l’accusé, Maître Burghardt, à propos du rat au cutter. C’est pourtant une question à laquelle il a été nécessaire de répondre pour trancher le litige et décider des peines à appliquer.

Le panneau de signalisation du parking souterrain sur lequel avait été réalisé le rat appartient au Centre Pompidou. Ce dernier estime détenir la propriété matérielle du graffiti ; il avait notamment pris soin de le protéger d’une plaque de plexiglass avant son vol en 2019 (5). Cependant, la direction du musée a reconnu cette même année que « par sa nature d’art de la rue, cette œuvre n’appartient pas au Centre Pompidou » (10). Elle regrette tout de même de n’avoir « pu porter plainte que pour la dégradation du panneau » (10), pour lequel son avocat a demandé pas moins de 500 000 euros en réparation du vol et 30 000 euros supplémentaires pour préjudice d’image (5).

S’agissant des œuvres de street art apposées sur un meuble, selon certains, le mécanisme de l’accession (17) devrait permettre au propriétaire du support de devenir par extension le propriétaire du bien corporel (7). L’accession vise l’hypothèse dans laquelle deux meubles (ici le support et l’œuvre de l’esprit), appartenant à deux propriétaires différents, s’incorporent l’un à l’autre. La propriété de l’ensemble reviendrait alors au propriétaire du meuble qui a le plus de valeur, à charge d’indemniser le propriétaire dépossédé (17). Se pose ainsi la question de la valeur d’une œuvre de street art : si elle est insignifiante, le propriétaire du support l’emporte, mais logiquement une œuvre importante et donc de grande valeur devrait permettre au propriétaire de l’œuvre, le street artiste, d’acquérir l’ensemble (18). Cette dernière hypothèse serait toutefois problématique au regard des droits du propriétaire du support et semble donc inenvisageable. Il est nécessaire de noter que la jurisprudence est généralement réticente face à cet argument, vis-à-vis du propriétaire du support comme de l’auteur de l’œuvre (18). Il semble donc peu probable que le Centre Pompidou soit propriétaire de l’œuvre en tant que bien corporel, en tous cas par le biais de l’accession mobilière.

La solution est plus claire pour les œuvres appliquées sur un immeuble : celles-ci deviennent la propriété du propriétaire de l’immeuble (17) par le biais de l’accession. En effet, un immeuble est toujours réputé supérieur aux meubles qui s’unissent à lui, par sa stabilité et sa valeur (18).

Finalement, le tribunal correctionnel de Paris a qualifié le Centre Pompidou de « dépositaire du bien culturel » ; bien qu’il ne soit pas propriétaire de l’œuvre, l’accusé a toutefois été condamné à lui verser 3 566 euros pour dommages matériels et préjudice moral (6). Une maigre somme pour une œuvre dont la valeur est probablement bien supérieure, mais une solution permettant au tribunal de ne pas trop s’avancer.

 

B. Le propriétaire de l’œuvre, bien intellectuel

Nous l’avons relevé plus tôt : les œuvres de street art sont parfois reconnues en tant qu’œuvres de l’esprit en raison de leur originalité et protégées automatiquement dès sa réalisation par le droit d’auteur ; c’est le cas du rat au cutter de Banksy (20). Ces droits reviennent directement, hors cession, à l’auteur de l’œuvre (21).

N’ayant pas connaissance de l’existence de contrat de cession de droits d’auteur sur le rat au cutter, nous postulons que ces droits appartiennent encore à Banksy. La réalisation d’une œuvre sur un support sans l’autorisation de son propriétaire ne fait pas perdre à l’auteur ses droits sur celle-ci, qu’elle soit signée avec un pseudonyme ou non (22).

L’artiste est donc propriétaire de droits moraux sur l’œuvre, lui permettant de s’opposer à toute atteinte à son intégrité. En effet, un artiste peut s’opposer à la destruction ou à l’altération de sa création au nom de son droit au respect de l’œuvre (23).  S’il le souhaite, il peut intenter une action en violation de son droit moral (23). Il lui appartient de prouver en quoi son droit moral a été violé : ici, en découpant le panneau de signalisation et en volant le rat au cutter, l’œuvre est matériellement déformée, mutilée ; elle a également perdu la visibilité et l’accessibilité publiques à laquelle son auteur l’avait destinée. 

 

III. Une œuvre de street art peut-elle être vendue ?

Le rat au cutter, estimé à plusieurs millions, serait invendable sur le marché (24). On peut qualifier de choses hors commerce, les œuvres de rue arrachées de leur support par des tiers, qui abîment par ailleurs les immeubles et le mobilier urbains. Les choses hors commerce correspondent aux biens qui ne peuvent être aliénés, parce qu’ils relèvent du domaine public par exemple, ou encore lorsqu’ils ont une provenance illicite. Les conventions ne pouvant porter que sur des choses qui sont dans le commerce (25), le contrat de vente au sujet d’un tel bien est nul. L’acheteur peut même être considéré comme un receleur et le professionnel du marché de l’art intermédiaire à la vente comme un complice (26). Pour rappel, le recel est le fait de dissimuler, de détenir ou de transmettre une chose, ou de faire office d'intermédiaire afin de la transmettre, en sachant que cette chose provient d'un crime ou d'un délit. Constitue également un recel le fait, en connaissance de cause, de bénéficier, par tout moyen, du produit d'un crime ou d'un délit (27). Il est important d’être conscient de ce risque, bien que de tels cas ne se soient pas encore présentés devant les tribunaux (13). L’acquéreur d’une œuvre de rue dont le support appartiendrait à un tiers risque également une action en revendication de la part celui-ci, s’il souhaite se faire restituer le bien (13).

Notons toutefois que l’œuvre de rue rencontre depuis quelques années un certain succès au sein du marché de l’art et elle connaît rarement des problèmes de défaut d’authenticité (13).  A ce sujet, si l’objet s’avérait être un faux ou une contrefaçon, l’acquéreur serait toujours en mesure de faire annuler le contrat de vente pour erreur (28) et décider d’engager la responsabilité du professionnel vendeur pour faute (13). Dans cette optique, il est judicieux de conserver précieusement la facture ou le bordereau d’adjudication produit par le professionnel du marché, ces documents attestant que ce dernier s’est engagé sur l’authenticité de l’œuvre. En prévention, il est possible d’obtenir un certificat d’authenticité auprès de comités d’authentification. Banksy lui-même a mis en place « Pest control », une équipe de renseignement des collectionneurs sur l’authenticité de leurs œuvres (13).

 

Nos recommandations :

  • Vous collectionnez des œuvres de street art : renseignez-vous sur l’œuvre auprès de professionnels reconnus et d’ouvrages de référence ; informez-vous sur l’origine de son support et les conditions de son démantèlement ; demandez un certificat d’authenticité à l’artiste, son galeriste ou son comité d’authentification ; conservez la facture ou le bordereau d’adjudication.

  • Vous êtes un street artiste : vous disposez de droits d’auteur sur votre œuvre, dès lors que celle-ci est originale. Dans certains cas, vous êtes donc en mesure de contester sa dégradation ou son déplacement, par exemple. Attention, lorsque vous ne répondez pas à une commande, votre acte de création reste un délit puni par le droit pénal.

  • Vous êtes propriétaire du support sur lequel a été réalisé une œuvre de rue : si celui-ci est volé, vous pouvez agir en revendication contre l’acquéreur de votre bien. Et naturellement, si l’œuvre a été réalisée sans votre accord, vous pouvez agir contre l’artiste pour obtenir le retrait de l’œuvre et des dommages et intérêts.

 


Sources :

(1) Banksy, Wall and Piece, 2005, publié par Century.

(2) Post Instagram de @bansky du 26 juin 2018.

(3) Le Parisien, J. CI., 3 semptembre 2019, « Paris : un graffiti de Banksy volé près de Beaubourg ».

(4) Le Parisien, J. Constant et JM. Décugis, 5 mars 2020 « Banksy a-t-il commandité le vol de son « Rat au cutter » » ?

(5) Beaux Arts, J. Bindé, 11 juin 2024, « Un rat de Banksy volé devant le Centre Pompidou au cœur d’un procès surréaliste à Paris ».

(6) Vingt Minutes, 19 juin 2024, O. Mimran, « Vol d’un Banksy à Paris : un « ami » de l’artiste condamné à deux ans de prison avec sursis »

(7) Village de la Justice, I. Greta De Santis, 27 octobre 2019, « Œuvres de "street art" : de la répression du droit pénal à la protection de la propriété intellectuelle. »

(8) Article 322-1 II du Code pénal.

(9) Cour de cassation, chambre criminelle, 11 juillet 2017, n° 08-84.989, 10-80.810 et 16-83.588.

(10) Libération, L. Clerc, 10 juin 2024, « A la barre. «Je savais le risque dès le départ» : à Paris, un homme jugé pour avoir volé une œuvre de Banksy assure qu’il a agi à la demande de l’artiste ».

(11) Article L112-1 du Code de la propriété intellectuelle.

(12) Tribunal de grande instance de Paris, 14 novembre 2007.

(13)Droit(s) et Street art. De la transgression à l’artification, sous la direction de G. Goffaux Callebaut, D. Guével et J.-B. Seube, M. Roellinger, « Le collectionneur face aux problématiques de l’art urbain » pp. 159 à 183.

(14) Droit(s) et Street art. De la transgression à l’artification, sous la direction de G. Goffaux Callebaut, D. Guével et J.-B. Seube, N. Blanc, « Art subversif et droit d’auteur : le Street Art peut-il être protégé par le droit d’auteur ? »., pp. 61-71.

(15) Tribunal de grande instance de Paris, 13 octobre 2000.

(16) Article L. 111-3 du code de la propriété intellectuelle.

(17) Article 565 et suivants du Code civil.

(18) Droit(s) et Street art. De la transgression à l’artification, sous la direction de G. Goffaux Callebaut, D. Guével et J.-B. Seube, J.-B. Seube, « Street Art et droit des biens », pp. 53-60.

(19) Cour de cassation, 1ère chambre civile, 1er décembre 2011, n° 09-15.819, Giacometti.

(20) Article L. 111-2 du Code de propriété intellectuelle.

(21) Article L. 111-1 du Code de propriété intellectuelle.

(22) Article L. 113-6 du Code de la propriété intellectuelle.

(23) Article L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle.

(24) Un Banksy dérobé à Paris : l'occasion de questionner les assureurs sur la notion de propriété d'une oeuvre de Street Art | LinkedIn.

(25) Article 1598 du Code civil.

(26) Droit(s) et Street art. De la transgression à l’artification, sous la direction de G. Goffaux Callebaut, D. Guével et J.-B. Seube, G. Goffaux Callebaut, « Street art et marché de l’art », pp. 149-158

(27) Article 321-1 du Code pénal.

(28) Aoede, Actualités, « Sainte Marie-Madeleine, œuvre qu’on croyait perdue depuis 1631, a été authentifiée : quelles conséquences en matière d'achat / vente ? ».

 

 

20.06.2024

[Etude comparative] - Elles sont utilisées ou générées par l’IA : comment protéger les œuvres d’art ?

Le développement exponentiel de l’intelligence artificielle (IA) dite générative, permettant de créer du contenu (ex. texte, image, vidéo, etc.), donne à cet outil une place toujours plus importante dans notre quotidien. L’IA touche depuis quelques années le monde de l’art et se maintient dans ce secteur comme médium novateur que de nombreux artistes explorent. Ainsi, jusqu’au 8 juin, le Grand Palais Immersif proposait une exposition des travaux de douze artistes, produits par algorithme. Artificial Dreams présentait ainsi l’œuvre de Justine Emard qui anime dans son œuvre Hyperphantasia les figures de la grotte Chauvet. Elle a confié à cette occasion à Beaux-Arts Magazine qu’il est, selon elle, « très important de rappeler que c’est toujours le regard humain qui donne du sens à ce que génèrent les machines » (1).

Ce bouleversement à échelle mondiale pose naturellement la question de l’évolution du droit de l’art, en particulier du droit d’auteur et de sa version anglo-saxonne, le copyright. Cet article est l’occasion de faire un point sur les solutions adoptées ou en cours de réflexion parmi les pays les « plus avancés » sur le sujet. Deux problématiques juridiques majeures ressortent clairement : il s’agit de trancher la question d’une possible protection pour les créations générées par IA (I) et de parvenir à protéger les œuvres préexistantes ayant été intégrées dans des systèmes d’IA génératives, susceptibles de produire des contrefaçons (II).

A titre liminaire, il semble nécessaire de rappeler quelques définitions. L’input correspond aux données (ex. textes, images ou vidéos), fournies au système d’IA pour l’entraîner (ex. des images reproduisant un mouton). L’utilisateur souhaitant obtenir les services de l’IA effectue une requête (ex. « dessine-moi un mouton »), un prompt. Le résultat (le mouton généré par l’IA), est un output.

 

  1. La protection des œuvres réalisées avec l’assistance d’une IA

Pour que les œuvres réalisées avec l’assistance d’une IA trouvent leur place dans le monde de l’art, encore faut-il qu’elles puissent être protégées par le droit, en particulier par le droit d’auteur ou le copyright. En effet, la reconnaissance de ces créations par le droit pourrait permettre de légitimer définitivement cette pratique. Ainsi, à l’instar des autres créations, les œuvres réalisées avec l’assistance d’une IA devraient pouvoir être protégées, dès lors qu’elles ont une forme extériorisée, perceptible donc, et qu’elles sont originales.

Si le régime d’une protection éventuelle des œuvres d’art créées avec l’assistance d’une IA est en construction, ses grands principes sont relativement similaires d’un pays à l’autre. Il s’agit de déterminer le degré d’implication de la machine et celui de l’humain pour déterminer si ce dernier est bien l’auteur de l’œuvre générée. Son investissement doit être original ; il doit être reflété par des choix arbitraires qui imprègnent l’œuvre de sa personnalité. 

Le débat quant à ce régime de protection s’est ouvert à l’échelle internationale.

En 2020, l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) a tenu des sessions de « dialogue sur la propriété intellectuelle et l’intelligence artificielle » (2). Un an plus tard, l’Unesco a publié des recommandations (3), visant à encourager les Etats à effectuer des recherches pour déterminer comment protéger par des droits de propriété intellectuelle les œuvres créées au moyen de l'IA. Elles avaient également pour but d’« évaluer les répercussions des technologies de l'IA sur les droits ou les intérêts des titulaires de droits de propriété intellectuelle dont les œuvres sont utilisées pour la recherche, le développement, la formation ou la mise en œuvre d'applications de l'IA » (4).

En France, la Commission de l’IA a publié en mars, vingt-cinq recommandations (5), pour favoriser le développement de l’IA, tout en l’encadrant dans le respect des intérêts en présence. En 2020, le Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique (CSPLA) rendait déjà un rapport « Mission intelligence artificielle et culture » (6) rappelant l’esprit fondamental du droit d’auteur français : l’œuvre protégée doit être le fruit d’une activité humaine, consciente et créatrice, ce qui tend à exclure de la protection l’œuvre générée uniquement par IA, lorsqu’elle est dépourvue de directives et d’empreintes originales humaines.

Il est intéressant de noter que cette position semble commune à d’autres pays traitant activement de l’encadrement juridique de la création artistique par l’IA.

Pour rappel, aux Etats-Unis comme au Royaume Uni, seules les œuvres originales fixées sur tout support d'expression tangible peuvent être protégées par le copyright (§102 du Titre 17 de la Constitution américaine ; Copyright Designs and Patents Act). La Chine privilégie la condition de l’originalité de l’œuvre à sa protection et il est fortement recommandé, bien que ce soit optionnel, de procéder à son enregistrement auprès du Copyright Protection Center of China.

Plus précisément en matière d’IA, le décret américain du 30 octobre 2023 fixe des objectifs portant sur le développement et l'utilisation sûrs, sécurisés et fiables de ses utilisations (7) ; il invite les autorités de régulation à s’en saisir sans trop s’avancer lui-même (8). Quelques mois plus tôt, le US Copyright Office publiait ses propres lignes directrices en matière d’examen et d’enregistrement des œuvres contenant des éléments générés par IA (9). Ce bureau d’enregistrement des droits de copyright occupe une place centrale dans leur protection. En effet, si l’enregistrement est optionnel, il constitue une condition à toute action en justice de son auteur pour faire valoir ses droits sur son œuvre. Un certificat d’enregistrement n’est délivré par le bureau que s’il considère que l’œuvre est « susceptible de protection par copyright » (10).

Ces lignes directrices font suite à deux refus d’enregistrement qui ont été remarqués : le premier, concernant l’œuvre A Recent Entrance to Paradise présentée par Steven Thaler comme ayant été entièrement réalisée par un système d’IA (11) et le second à propos des images générées par Midjourney pour la bande dessinée Zarya of the Dawn de Kristina Kashtanova (12). Les principes qui ont été dégagés de ces affaires sont précisés dans les lignes directrices du US Copyright Office. Selon ce dernier, l’objectif est de déterminer si l’œuvre a été créée par un humain avec une simple assistance d’une IA (et non l’inverse). Pour des créations contenant des éléments générés par IA, le bureau vérifiera que ses contributions sont le résultat de la « conception mentale originale de l'auteur, à laquelle l'auteur a donné une forme visible » (13). L’examen est donc effectué au cas par cas.

Ainsi, tout dépend des éléments qui caractérisent traditionnellement l’originalité d’une œuvre (expression littéraire, artistique ou musicale ou éléments de sélection, d'arrangement…). Si tous ont été produits par la machine, sans intervention autonome d’un humain exerçant in fine un contrôle créatif sur l’œuvre, le bureau devrait refuser l’enregistrement. En revanche, il devrait accepter d’enregistrer les éléments qui auraient été créés par l’homme (mais seulement ces derniers et non l’œuvre complète). Ces lignes directrices du Copyright Office ne permettent donc pas une protection poussée des œuvres pour lesquelles un artiste se serait particulièrement investi dans la création via un système d’IA (13).

Notons par ailleurs que le droit américain n’est déjà pas très protecteur des droits moraux des artistes (ex. respect du nom de l’artiste, respect de l’œuvre, divulgation et retrait de l’œuvre par l’artiste seul). En effet, malgré l’adhésion des Etats-Unis à la Convention de Berne en 1988 et hormis quelques concessions dans son Copyright Act de 1976, le pays ne reconnaît pas, en tant que tel, le droit moral (14).

En mars 2023, l’Angleterre a elle aussi publié un document sur des principes et objectifs visant à réguler l’utilisation de l’IA (15), mais il n’existe pas pour l’instant d’accord sur une législation à adopter. La solution actuelle pour encadrer juridiquement les systèmes d’IA se fonde sur la section 178 du Copyright Designs and Patents Act, un acte portant sur les droits d’auteur issus des brevets, dessins et modèles (16). Cette section indique qu’une œuvre générée par ordinateur est une œuvre dont les circonstances de création écartent tout être humain de la qualité d’auteur. Si l’inclusion de l’IA dans cette affirmation a paru pertinente, il faut rappeler que les œuvres générées par ordinateur en Angleterre ne disposent pas de droits moraux et voient leurs droits de copyright réduits à 50 ans au lieu de 70 (17). Notons également que la loi reste vague sur la différence entre une œuvre générée par ordinateur et celle pour laquelle un ordinateur n’a eu qu’un rôle d’assistance.

Reste un pays pionnier dans l’avancée des droits d’auteur des œuvres créées par IA : la Chine, dont la jurisprudence protectrice a fait parler d’elle en novembre dernier (18). La Beijin Internet Court a en effet rendu un arrêt novateur en droit de l’art, puisqu’elle est la première au monde à accorder à une œuvre générée par IA (output) des droits d’auteur (19). Le créateur d’une image générée par l’IA générative Stable Prompts avait intenté une action en contrefaçon contre une personne ayant repris l’image pour illustrer un poème sur une plateforme de partage de contenus. Le tribunal a estimé que l’auteur de l’image a justifié d’investissements intellectuels suffisants pour protéger son image par les droits d’auteur, tels que la conception de la présentation des personnages, la sélection et l’organisation des termes employés dans ses requêtes (prompts), la mise en place de paramètres pertinents, le choix de l'image pour répondre aux attentes, etc.

Notons que cette décision peu anodine semble s’inscrire dans la course sino-américaine sur l’IA (20). En effet, les Etats-Unis ont entravé l’acquisition par la Chine de puces dont elle a besoin pour développer les technologies avancées d’IA et le gouvernement chinois a accéléré son développement en finançant le secteur et en limitant les obstacles réglementaires. Ainsi, sur les 73,6 milliards de capital risque investis dans les entreprises d’IA dans le monde, la Chine en a capté environ 24% (21). Une décision judiciaire visant à la protection de contenus générés par IA incite donc à employer cet outil et renforce la valeur commerciale de ses fruits.

Il existe donc un mouvement international tendant à la protection des œuvres réalisées avec l’assistance d’une IA. Attention, toutefois, la protection des œuvres générées par IA (output) ne doit pas empiéter sur celle des œuvres préexistantes, qui auraient été intégrées dans les systèmes d’IA (input) pour les entraîner.

 

  1. La protection des œuvres préexistantes, intégrées dans les systèmes d’IA génératives

Le développement des systèmes d’IA générative pose naturellement la question de l’avenir du secteur de la création. Au-delà de l’efficacité de ces machines vis-à-vis du travail humain, plus long et coûteux, il existe un problème de contrefaçon. La menace est donc double. En effet, là où l’IA traditionnelle s’entraîne sur des millions de données, l’IA générative s’entraîne plutôt sur des centaines de millions, voire des milliards de textes et/ou d’images (22). Où trouver autant de contenu sur lequel s’entraîner ? Internet. Chaque image ou texte ayant été un jour publié sur internet est susceptible d’être employé en tant qu’input pour entraîner un système d’IA générative. Le problème réside dans le fait que ce type de système est une sorte d’outil de collage mélangeant et réassemblant ses inputs et ses outputs ; si l'œuvre protégée par des droits d'auteur en fait partie, elle aura une influence sur le résultat produit par l’IA.

Dans ce contexte, la France fait application de la directive européenne de 2019 (23). Celle-ci fournit une exception à la collecte de certaines données pour entraîner une IA générative, qualifiée d’opt-out, applicable dans l’ensemble de l’Union Européenne (24). La logique est la suivante : les œuvres protégées par le droit d’auteur peuvent être collectées pour entraîner un système d’IA, sauf si leurs auteurs notifient leur refus ; ils sont donc considérés par défaut comme consentant à l’utilisation par une machine et ses utilisateurs de leurs œuvres.

En pratique, l’opt-out n’est pas non plus une affaire simple pour les créateurs, qui doivent se débrouiller pour y parvenir, œuvre par œuvre et sans réelle connaissance des créations qui auraient été collectées par les différents systèmes d’IA génératives existants. L’ADAGP -société de défense, de protection et de valorisation des artistes qui en sont adhérents- a publié une déclaration générale d’opposition à l’utilisation des œuvres de son répertoire. Celle-ci a été notifiée aux principaux opérateurs de systèmes d’IA, qui devront donc demander à l’ADAGP l’autorisation de reproduire les œuvres des artistes adhérents (25). Sur son site internet, elle propose également un guide "Comment procéder à l'opt-out pour vos œuvres ?" et quelques applications pour renforcer la protection des arts visuels contre le « pillage » par les IA (26).

L’AI Act de l’Union européenne, dans sa version du 21 mai 2024, maintient cette logique de l’opt-out (27) mais impose aux fournisseurs des systèmes d’IA de mettre à la disposition du public un résumé suffisamment détaillé du contenu utilisé pour entraîner les systèmes d'IA. Ce résumé doit être « complet en termes de contenu plutôt que détaillé sur le plan technique afin d'aider les parties ayant des intérêts légitimes, y compris les titulaires de droits d'auteur, à exercer et à faire respecter les droits que leur confère la législation de l'Union » (28). Le Bureau de l’IA est chargé de vérifier que cette obligation a bien été remplie par les fournisseurs (29), des sanctions effectives devant être mises en place à échelle nationale (30). Il est intéressant de noter que la Commission de l’IA française semble méfiante vis-à-vis de cette obligation de transparence et qu’elle recommande de « Mettre en œuvre et évaluer les obligations de transparence prévues par le règlement européen sur l’IA en encourageant le développement de standards et d’une infrastructure adaptée » (recommandation n°17) (5). Une mission à ce sujet a été commanditée par le CSPLA dont les résultats sont attendus en fin d’année (31).

La question de la transparence est effectivement fondamentale. Dans un contexte d’afflux de litiges et peut-être sous l’influence européenne, une proposition de loi américaine en cours de rédaction depuis fin mai vise également à obliger les entreprises à divulguer les données d’entraînement de leurs systèmes d’IA (32). Hormis cette proposition, aux Etats-Unis, ce sont les jurisprudences qui semblent conduire à la régulation de l’utilisation de l’IA en matière artistique. L’arrêtThomson Reuters v. Ross Intelligence (33) aborde par exemple deux questions intéressantes : celle de la contrefaçon par reproduction d’ouvrages dans le cadre de l’entraînement d’une IA, et celle de la défense contre une telle accusation grâce au principe du fair use. Dans cette affaire, l’éditeur d’une plateforme de recherches juridiques aux Etats-Unis accuse une start-up d’IA d’avoir copié sans son autorisation un contenu important de sa base pour entraîner son système de recherche. La start-up se défend en invoquant l’exception du fair use. Cette notion de droit américain (34) permet l’utilisation, à certaines conditions, d’une œuvre protégée par des copyrights sans avoir à en demander l’autorisation à son auteur. Le fair use s’applique notamment lorsque l’utilisation est justifiée à des fins telles que la critique, le commentaire, le reportage, l'enseignement ou la recherche. Cependant, le juge ne se considère pas légalement compétent pour trancher ces questions de droit : il estime que c’est le rôle d’un jury. Le procès étant prévu du 26 au 31 août (35), il faudra attendre pour connaître la solution à cette affaire.

Certains pays, comme l’Angleterre, appliquent leur réglementation initiale à ce nouvel outil. Ainsi, en vertu de son Copyright Designs and Patents Act, la reproduction d’une œuvre protégée par des copyrights doit être soumise à autorisation par son auteur (36). Toute copie sans son consentement est donc interdite. Cependant, elle peut être autorisée aux développeurs de systèmes d’IA, si elle a été réalisée dans le cadre d’une recherche dépourvue d’intentions commerciales (37). Cette législation a connu une application par la High Court de Londres (l’équivalent de la Cour de cassation) l’année passée (38). Getty Images a agi en contrefaçon de droit sur des bases de données et des marques contre Stability AI. L’entreprise lui reproche la collecte de ses images pour son propre développement et la production par le système d’IA d’images contrefaisantes car reproduisant une partie substantielle de ses images et de ses marques (39). La High Court ne s’est prononcée que pour refuser à Stability AI sa demande de rejet et la radiation des demandes de Getty Images. Elle devait notamment déterminer si la fonctionnalité permettant à Stable Diffusion de générer une image à partir d'une image transférée par un utilisateur (avec ou sans inscription), et selon des critères de proximité avec l'image proposée, paramétrables par l'utilisateur, pourrait être considérée comme contrefaisante. La Cour considère que la possibilité n’est pas exclue et indique que Getty Images a donc une chance réelle de se prévaloir au fond au moment du procès, a priori prévu pour 2025 (40).

Dès lors, il est impératif de réguler les systèmes d’IA générative, afin de protéger les œuvres préexistantes des artistes et créateurs. Cette régulation est fondamentale, notamment pour maintenir les emplois d’un pan entier du secteur de la création. En l’absence de législation, la Chine, dont la jurisprudence précitée (18) est particulièrement ouverte à la reconnaissance de droits d’auteur sur une œuvre générée par IA, doit être en mesure de se préparer aux litiges relatifs à l’utilisation par les IA d’œuvres protégées par des droits d’auteur (20).

Le développement de l’IA générative correspond à un tournant dans l’histoire de la création artistique et celle de sa régulation et de sa protection. Les tribunaux et les législateurs des Etats doivent s’y confronter pour parvenir à une forme d’harmonie entre l’encouragement du développement de l’IA et sa régulation pour mieux protéger les créateurs qui en pâtissent, ce qui est loin d’être évident. En même temps, les œuvres réalisées avec l’assistance de l’IA ne sont pas encore tout à fait reconnues comme telles et peu sont protégées par le droit.

 

Nos recommandations :

  • Vous souhaitez protéger une de vos œuvres, réalisée avec l’assistance d’un système d’IA : restez très créatif et exhaustif dans votre prompt et retravaillez l’output en y ajoutant votre touche personnelle. Créez un fichier avec toutes les étapes de votre création et gardez le contrôle sur le processus créatif. Vous souhaitez vous prémunir contre une action en contrefaçon : évitez dans votre prompt toute référence à des formulations existantes de type « à la manière de... dans le style de... ».

  • Vous souhaitez protéger vos œuvres contre les systèmes d’IA : au sein de l’UE, vous pouvez exercer votre droit d’opposition (opt-out) œuvre par œuvre. Si vous êtes adhérent de l’ADAGP, la société a probablement déjà agi en votre nom. Pour vous opposer à l’utilisation de vos œuvres par le groupe Meta pour entraîner son propre système d’IA, consultez la publication Instagram de l’ADAGP. D’autres options intervenant directement sur l’œuvre digitale permettent de la protéger sans la modifier, comme la signature digitale (qui insère un code invisible dans l’œuvre permettant de l’identifier), le watermarking (qui appose un logo en filigrane sur l’image) ou le clouding. Cette dernière méthode consiste en la légère modification des pixels, imperceptible à l’œil nu, venant perturber le système d’IA dans son traitement de l’image. Attention, cette option est cependant controversée en raison des risques de fortes perturbations qu’elle peut engendrer sur des systèmes d’IA. 

  • A propos de la cession ou la licence de droits d’auteur sur une d’œuvre réalisée avec l’assistance d’une IA : les parties doivent négocier pour déterminer la répartition de la responsabilité en cas d’action en contrefaçon. 

  • Vous êtes un fournisseur de systèmes d’IA : tenez-vous à la page des réformes selon les pays et adaptez vos conditions d’utilisation en fonction de celles-ci. Dans ces mêmes conditions d’utilisation, prenez soin à la rédaction de la clause relative à votre responsabilité en cas d’action en contrefaçon de manière à vous en protéger.


 Sources :

(1) Beaux Arts Magazine n°480, F. Guillaume, 29 mai 2024, « Art et IA : l’âge de raison ? ».

(2) OMPI, Dialogue de l’OMPI sur la propriété intellectuelle et l’intelligence artificielle. Deuxième session. Document de synthèse révisé sur les politiques en matière de propriété intellectuelle et l’intelligence artificielle. WIPO/IP/AI/2/GE/20/1 REV, 21 mai 2020.

(3) UNESCO, Recommandation sur l’éthique de l’intelligence artificielle, SHS/BIO/REC-AIETHICS/2021, 23 novembre 2021.

(4) UNESCO, Recommandation sur l’éthique de l’intelligence artificielle, SHS/BIO/REC-AIETHICS/2021, 23 novembre 2021, sect. 99.

(5) Commission de l’IA, IA - notre ambition pour la France, mars 2024.

(6) CSPLA, Rapport « Mission intelligence artificielle et culture », 27 janv. 2020, p. 35.

(7) Executive Order on the Safe, Secure, and Trustworthy Development and Use of Artificial Intelligence, 30 octobre 2023.

(8) Communication Commerce électronique n° 5, Mai 2024, S. Merabet, « Numérique - Un an de droits étrangers du numérique ».

(9) Copyright Office, Copyright Registration Guidance: Works Containing Material Generated by Artificial Intelligence, 10 mars 2023, 88 FR 16190, 37 CFR 202, doc. n° 2023-05321.

(10) 17 USC, § 410 (a): « the material deposited constitutes copyrightable subject matter ».

(11) Copyright Review Board, 14 Février 2022, “Second Request for Reconsideration for Refusal to Register A Recent Entrance to Paradise (Correspondence ID 1-3ZPC6C3; SR # 1-7100387071)”.

(12) Copyright Review Board, 21 Février 2023, “Zarya of the Dawn (Registration # VAu001480196)”.

(13) Communication Commerce électronique n° 5, Mai 2023, P. Kamina, « Copyright et intelligence artificielle - Lignes directrices de l'US Copyright Office en matière d'examen et d'enregistrement des œuvres contenant du matériel généré par l'utilisation de la technologie de l'intelligence artificielle ».

(14) Recueil Dalloz, 1990, B. Edelman, « Entre copyright et droit d'auteur : l'intégrité de l'œuvre de l'esprit », p. 295

(15) Secretary of State for Science, Innovation and Technology, March 2023, A pro-innovation approach to AI regulation.

(16) Section 178 du Copyright Desings and Patents Act, 1988.

(17) Section 12, (7) du Copyright Designs and Patents Act, 1988.

(18) Beijin Internet Court, 27 novembre 2023, No. 11279.

(19) August Debouzy, 8 Décembre 2023, P. Pérot & I. Bouzayen, « Décision historique d’un tribunal chinois : des images générées par IA protégées par le DA ».

(20) Chine Magazine, A. Huyue Zhang, 9 Décembre 2023, « La réglementation chinoise à courte vue sur l’IA ».

(21) Forbes, P. Montagnon et E. Braune, 17 juillet 2022, « Intelligence Artificielle : comment la Chine et les Etats-Unis entendent asseoir leur leadership et leur souveraineté ».

(22) Husch Blackwell, D. L. Taylor, 11 mars 2024, “A Legal Primer on AI and IP”.

(23) Article L. 122-5 10° du Code de la propriété intellectuelle et Article L. 122-5-3 du Code de la propriété intellectuelle, en vigueur depuis le 26 novembre 2021.

(24) Article 4 de la Directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE.

(25) ADAGP, 23 février 2024, « L’ADAGP prend des mesures pour protéger ses membres face à la menace des intelligences artificielles génératives ».

(26) ADAGP, 23 février 2024, « L’ADAGP s’oppose à l’utilisation des œuvres de son répertoire par les systèmes d’IA dans le cadre de l’exception de fouille de données ».

(27) Considérant 104 du règlement du parlement européen et du conseil établissant des règles harmonisées concernant l'intelligence artificielle et modifiant les règlements (CE) n° 300/2008, (UE) n° 167/2013, (UE) n° 168/2013, (UE) 2018/858, (UE) 2018/1139 et (UE) 2019/2144 et les directives 2014/90/UE, (UE) 2016/797 et (UE) 2020/1828 (règlement sur l'intelligence artificielle).

(28) Considérant 107 du même règlement.

(29) Considérant 108 du même règlement.

(30) Considérant 168 du même règlement.

(31) Dalloz actualité, Y. Basire et S. Le Cam, 13 juin 2024, « Panorama rapide de l'actualité « Propriété intellectuelle » des semaines du 20 mai au 3 juin 2024 ».

(32) H.R.7913 - Generative AI Copyright Disclosure Act of 2024 ; Dalloz actualité, B. Jeulin, 27 mai 2024, « Analyse du projet de loi américain sur la divulgation des données d'entraînement des IA génératives ».

(33) US District Court of Delaware, 25 Septembre 2023, Thomson Reuters v. Ross Intelligence, Case 1 :20-cv-613-SB.

(34) § 107 du titre 17 du U.S. Code: « Limitations on exclusive rights: Fair use ».

(35) Chat GPT Is Eating the World, 27 mars 2024, “ROSS Intelligence cofounder Jimoh Ovbiagele in new legal tech startup”.

(36) Section 17 du Copyright Designs and Patents Act, 1988.

(37) Section 29A du Copyright Designs and Patents Act, 1988.

(38) High Court, 1er décembre 2023, Getty Images v. Stability AI, No IL-2023-000007.

(39) LexisNexis, Communication - commerce électronique n°2, Février 2024, P. Kamina, « Un an de droit anglo-américain des propriétés intellectuelles ».

(40) Pinsent Masons, C. Wyn Davies, G. Dennis, 29 Avril 2024, “Getty Images v Stability AI: the implications for UK copyright law and licensing”.

 

 

30.05.2024

Cyberattaque à l’encontre d’une maison de vente : conséquences, sanctions & obligations et prévention !

Le soir du lancement des grandes enchères de mai à New-York, le site internet de la prestigieuse maison de vente Christie’s s’est fait pirater. La cyberattaque a mis hors ligne les systèmes informatiques et le site internet de Christie’s (1), qui a immédiatement reconnu l’existence d’un « problème de sécurité technologique » (2).

1. Les conséquences d’une cyberattaque pour une maison de vente

Ce problème a donc empêché d’enchérir en ligne et certaines ventes, dont celle incluant des montres de Schumacher, ont été reportées (3). Or, il s’avère que les ventes sur cette période représentent jusqu’à la moitié du chiffre d’affaires annuel de la maison (2) ; l’enjeu est donc considérable. Sur les quelques 900 œuvres proposées à la vente pour le printemps, Christie’s espérait en retirer un chiffre d’affaires entre 578 et 846 millions de dollars (1). En effet, parmi les lots, on retrouvait des tableaux de Van Gogh, Picasso, Hockney, Warhol, Basquiat et beaucoup d’autres maîtres (1).

Il va sans dire que ce type d’atteinte peut fragiliser la confiance qu’ont les vendeurs, enchérisseurs ou adjudicataires des œuvres proposées aux enchères (les « clients ») dans les maisons de vente. L’annonce d’une cyberattaque dans un contexte de grande activité sur leur site internet n’est pas un symbole rassurant pour des clients (2). Quelques inquiétudes quant à la sécurité de leurs informations confidentielles ont d’ailleurs été formulées (3). En effet, si la maison de vente a communiqué rapidement sur l’incident, elle n’a en revanche pas fourni de précisions sur les données compromises pendant deux semaines ; l’on ne savait qui ou quoi avait provoqué l’effondrement des systèmes informatiques (2). Ce manque de transparence a été reproché à Christie’s (3).

Afin de ne pas les perdre, il s’agissait donc de rassurer les clients, c’est-à-dire rétablir un sentiment de sécurité et de confiance, en prenant des mesures immédiates pour régler la situation. Guillaume Cerutti, CEO de Christie’s, a partagé régulièrement des informations sur l’indicent via Linkedin (4). Il a d’abord indiqué que la maison de vente était proactive dans la gestion du problème et que les ventes online (i.e., ventes physiques diffusées en direct sur internet), à l’exception d’une, ne seraient pas décalées (4), les enchérisseurs étant invités à se rendre sur place, à enchérir au téléphone (2). Les ventes exclusivement en ligne ont dû être reconduites (5) puisqu’elles n’existeraient pas sans le site Internet de Christie’s, a contrario des ventes online.

Après une cyberattaque, il est nécessaire d’identifier les acteurs impliqués dans l’incident, les actifs à mettre en sûreté en cas d’aggravation et de trouver des traces laissées par le hacker (6). Pour ce faire, le service informatique ou l’engagement d’un technicien informatique est primordial.

 

2. Sanctions & obligations à la suite d'une cyberattaque

  • La répression

La lutte contre la fraude informatique naît en 1988 avec la loi Godfrain venue punir les atteintes aux Systèmes de Traitement Automatisé des Données (STAD) (7). En l’absence de définition législative, la jurisprudence a considéré qu’un STAD constituait un ensemble composé d'une ou plusieurs unités de traitement, de mémoires, de logiciels, de données, d'organes d'entrées-sorties et de liaisons, qui concourent à un résultat déterminé (8). Par exemple, constitue un STAD un site web hébergé sur un serveur informatique et connecté sur le réseau internet (9), comme celui de Christie’s ou de toute autre maison de vente aux enchères.

Selon l’ampleur des conséquences de ce piratage, divers délits peuvent être qualifiés. L’article 323-1 du Code pénal punit l’accès et/ou le maintien irrégulier (parfois, l’accès est autorisé mais le maintien de sa présence ne l’est pas) dans un STAD (10). Ce n’est possible que lorsque le maître du système a manifesté sa volonté de restreindre l’accès au STAD (11). Il s’agit d’une infraction volontaire : son auteur doit avoir cherché à la commettre. En commettant ces infractions, le prévenu encourt trois ans de prison et 100 000 euros d’amende.

S’il existe une atteinte effective au STAD ou à ses données, deux autres infractions, manifestement plus pertinentes, pourraient être constituées : l’entrave au fonctionnement d’un STAD et l’atteinte à ses données. Peu importe que l’auteur ait eu ou non l’autorisation pour accéder au système, ces infractions sont punies de cinq ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende (12). L’atteinte aux données du STAD comprend notamment leurs extraction, reproduction et transmission.

L’action pénale se prescrit par six ans à compter du jour de la commission de l’infraction. Notons que la circonstance aggravée de bande organisée (13) augmente la peine pour l’ensemble de ces délits à dix ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende (14).

Encore faut-il être en mesure d’identifier les hackers, ce qui n’est pas toujours possible. Les retrouver dépend de beaucoup de facteurs, tels que les circonstances de la cyberattaque, les outils employés, du niveau de compétence des hackers et leurs techniques de dissimulation, les ressources du piratage et la taille de l’infrastructure touchée. Au regard de l’importance internationale de Christie’s, il est possible que la maison de vente emploie des ressources importantes pour identifier ses attaquants.

Le 27 mai, Guillaume Cerutti a finalement fourni plus d’informations sur la nature de l’accident et des dégâts (4). Un groupe de personnes a effectivement accédé sans autorisation à certaines parties du réseau de Christie’s et en a extrait des données du réseau dont des données personnelles relatives à certains des clients.

Le groupe de hackers RansomHub, qui a révélé le même jour être derrière la cyberattaque menée contre Christie’s, menace de diffuser des données personnelles de ses clients. La revendication de la cyberattaque par ce groupe semble très plausible selon plusieurs experts (15) qui le connaissent pour son précédent coup contre une entreprise de technologie de la santé aux Etats Unis. Cependant, l’étendue des données prélevées est inconnue. Selon Christie’s, elle est limitée, contrairement à ce qu’indique RansomHub. Le groupe de hackers a mis en place un compte à rebours qui s’achève fin mai pour divulguer les données sensibles (données financières et adresses), si d’ici-là Christie’s ne leur versait pas une importante somme d’argent (16). Au regard des articles étudiés, on peut supposer qu’en droit français, les individus seraient inculpés pour atteinte aux données du STAD en bande organisée.

Dans cette affaire pourraient donc être retenues cumulativement l’infraction de collecte frauduleuse de données personnelles (17), et celle de l’extraction de données de l’article 323-3 du Code pénal (18). Ce délit est également puni de cinq ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende.

 

  • L’obligation d’information européenne en cas d’atteinte à la protection des données personnelles

En cas de collecte de données personnelles, une maison de vente est tenue d’une obligation d’information vis-à-vis de ses clients européens. Les données dites « à caractère personnel » regroupent les informations permettant d’identifier une personne, directement ou indirectement, via un nom, des données de localisation, un identifiant en ligne ou d’autres éléments spécifiques propres à son identité (19). En effet, depuis un règlement européen de 2016, le responsable d’un traitement est tenu d’informer les personnes concernées en cas de violation de leurs données personnelles, notamment lorsqu’elle est susceptible d’engendrer un risque élevé pour leurs droits et libertés (20). Toutefois, le texte prévoit que cette communication n’est pas nécessaire si le responsable a chiffré les données au préalable pour en cacher la signification à quiconque n’ayant pas la clé pour les déchiffrer, ou a « pris des mesures ultérieures qui garantissent que le risque élevé pour les droits et libertés des personnes concernées (…) n'est plus susceptible de se matérialiser ». Le CEO de Christie’s a effectivement indiqué sur LinkedIn le 27 mai, que les personnes concernées par la collecte frauduleuse seraient contactées dans les 48h (4).

 

  • La réparation

Il est possible d’obtenir réparation sans connaître l’identité de l’auteur de l’infraction. L’article 5 de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur du 24 janvier 2023 (21) a intégré un nouvel article L. 12-10-1 au Code des assurances (22). Ce texte subordonne le versement d’une somme aux victimes d’une cyberattaque dans le cadre de leur activité professionnelle au dépôt d’une plainte dans les 72 heures suivant la connaissance de l’infraction. Cet article unique créée un chapitre sur l’assurance des risques de cyberattaques, venu compléter la réglementation relative aux assurances de dommages. En effet, la « cyber-assurance » comme le « risque-cyber » ne sont pas légalement définis, bien que ce dernier ait eu droit à une proposition de clarification dans un rapport en 2021 de l’Assemblée nationale en tant que « ensemble de risques liés à une utilisation malveillante des systèmes informatiques et des technologies de l'information des particuliers, des administrations ou des entreprises » (23). Le cadre juridique mérite donc d’être clarifié, à l’échelle nationale comme européenne (24).

En pratique, les contrats d’assurance ne précisent, ni ne délimitent très bien les risques couverts. Dans le cadre de la cybersécurité, notamment dans les contrats en « tout risque sauf », il y a une part d’implicite qui pose problème lors de la survenance de l’attaque. Dans ses conditions d’utilisation, Christie’s indique ne pas être responsable « de tout dommage quel qu'il soit, y compris, mais sans s'y limiter, les dommages liés à la perte (..) de données (…) liés de quelque manière que ce soit à cette utilisation ou a cette performance (du site web) » (25). Sotheby’s de son côté ne garantit pas que ses plateformes numériques « seront exemptes de virus ou autres composants nuisibles » (26).

Notons qu’il est toujours possible d’engager la responsabilité civile de la maison de vente (contractuelle ou délictuelle, selon les cas), s’il y a préjudice pour les clients et que sa responsabilité n’est pas exclue dans ses termes et conditions.

 

3. Les mesures à prendre pour renforcer la protection contre les cyberattaques

Avant tout chose, il a fallu remettre en service le site internet de la maison de vente, d’abord dans une version simplifiée -exposant les principales informations sur les lots et les ventes- puis dans sa configuration initiale (5). Ces derniers jours ont donc été consacrés à la réparation de l’incident, à l’enquête sur son déroulé et ses dégâts mais aussi à la réflexion sur le renforcement des moyens de prévention et de protection.

Deux mesures sont très importantes dans la protection contre les cyberattaques. D’une part, il est essentiel de sensibiliser les employés à la cybersécurité, ces derniers étant régulièrement le point d’entrée des hackers (27). Cette étape passe notamment par leur formation en interne : détection des spams, méfiance envers les liens et les pièces jointes, production de mots de passe robustes et identification à plusieurs facteurs, absence de connexion depuis un ordinateur personnel etc. Outre la formation, la mise en place d’une charte informatique d’entreprise peut être un moyen de diminuer les risques de cyberattaques (6). Elle permet d’établir des règles sur l’usage des outils informatiques mis à disposition et par la suite d’en sanctionner les manquements.

D’autre part, il faut avoir la connaissance la plus fine possible de la surface d’attaque (27), c’est-à-dire de l’ensemble du STAD et de son fonctionnement. L’article 35 du Règlement Général pour la Protection des Données (RGPD) propose notamment de réaliser une Analyse d’Impact relative à la Protection des Données (AIPD) (28). Il s’agit d’un outil permettant de construire des traitements de données respectueux de la vie privée. Il est obligatoire lorsque les traitements sont susceptibles d’engendrer des risques élevés (29). « Christie's a mis en place des protocoles et des pratiques bien établis, qui sont régulièrement testés, pour gérer de tels incidents », a-t-elle déclaré dans un communiqué (4). A la suite de cet incident, elle a également choisi d’engager davantage d’experts pour renforcer les mesures de sécurité et fortifier les systèmes informatiques, ce qui ne peut être que salué (3). Notons que la tenue d’un registre des violations de données est obligatoire (30).

D’autres principes applicables permettent de limiter les dégâts en cas de cyberattaque. Selon le principe de la minimisation des données, seules sont collectées les données adéquates, pertinentes et dans la limite de ce qui est nécessaire pour leur traitement. Les données doivent également être conservées dans une durée limitée (ne dépassant pas la durée nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées) (6).

A une époque où les ventes onlines prennent beaucoup d’importance dans le marché de l’art, la prévention des cyberattaques est un enjeu de taille. Selon certains professionnels, « le marché est davantage défini par l'offre que par la demande (…) nous n'avons pas de difficultés à vendre des biens, nous avons plus de difficultés à convaincre les gens de les mettre en vente » (1). Alors qu’une part croissante des ventes s’opère sur internet, il s’agit aussi de gagner et de conserver la confiance des clients quant à la sécurité de leurs données personnelles.

 

Nos recommandations :

  • Vous êtes une maison de vente :

    Prenez rendez-vous avec un technicien informatique pour vous assurer de la sécurité de votre site internet et de la protection des données de vos clients.

    Formez vos équipes et sensibilisez-les aux risques et aux conséquences d’une cyberattaque.

    Demandez auprès de votre assurance si la couverture du cyber-risque est comprise dans votre contrat et qu’elle en est l’étendue.

    Dans vos termes et conditions, définissez le champ de votre responsabilité vis-à-vis de vos clients en cas de collecte frauduleuse de leurs données depuis votre site.

    En cas de cyberattaque, référez-vous au guide mis en place par le gouvernement : https://www.cybermalveillance.gouv.fr/tous-nos-contenus/bonnes-pratiques/cyberattaque-que-faire-guide-dirigeants

  • Vous êtes client d’une maison de vente dont le site internet a été victime d’une cyber-attaque et vos données personnelles sont compromises :

    Bien qu’il s’agit souvent de « simples » moyens de pression pour obtenir une contrepartie de la part de la maison victime, l’on ne peut exclure le risque que ces données puissent être exploitées dans les prochains jours pour procéder à des opérations ciblées de phishing très convaincantes. A noter que le phishing est une manière de récupérer des données personnelles par la tromperie, pour les employer ensuite de manière malveillante. Il faudra donc être particulièrement attentif aux mails de la part de Christie’s et de ses partenaires concernant toute demande de leur part. Le site web de cette maison de vente partage justement divers conseils sur l’attitude prudente à adopter : https://www.christies.com/about-us/contact/security/?sc_lang=en&lid=1.

    Vérifiez les conditions d’utilisation de votre maison de vente pour savoir si celle-ci engage sa responsabilité en cas de collecte frauduleuse de vos données personnelles sur son site web. 

 


Sources : 

(1) Franceinfo : culture, 12 mai 2024, « New York lance son printemps des ventes d’art aux enchères, malgré une cyberattaque sur Christie’s ».

(2) The Guardian, E. Helmore, 12 mai 2024, “Christie’s says $850m auctions to go ahead as planned despite cyber-attack”.

(3) Montres Seven, L. Jardin, 14 mai 2024, « Découvrez comment Christie’s surmonte une cyberattaque avant les enchères légendaires des montres de Schumacher ».

(4) Publications de Guillaume Cerutti sur Linkedin.

(5) Art without skin, P. Moritz, 20 mai 2024, « Après une cyberattaque, la plateforme Internet de Christie’s retrouve sa configuration initiale ».

(6) Village de la Justice, E. Passieau et S. Haddad, 18 mars 2024, « Cyberattaque et fuite massive de données : regards croisés en droit des données personnelles et droit du travail ».

(7) Loi Godfrain n°88-19 du 5 janvier 1988 relative à la fraude informatique.

(8) Cour d’appel de Paris, pôle 5, champre 12, 24 octobre 2012, n°1, 11/00404.

(9) Tribunal de Grande Instance de Lyon, chambre correctionnelle, 27 mai 2008.

(10) Article 323-1 du Code pénal.

(11) Cour de cassation, chambre criminelle, 27 mars 2018, n°17-81.989.

(12) Articles 323-2 et 323-3 du Code pénal.

(13) au sens de l’article 132-71 du Code pénal : « Constitue une bande organisée au sens de la loi tout groupement formé ou toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'une ou de plusieurs infractions ».

(14) Article L. 321-4-1 du Code pénal.

(15) The New-York Times, Z. Small, 27 mai 2024, “Ransomware Group Claims Responsibility for Christie’s Hack”.

(16) BFMTV, 28 mai 2024, « Des hackers menacent de dévoiler des informations sur les très riches clients de Christie’s ».

(17) Article 226-18 du Code pénal.

(18) Cour d’appel de Paris, pôle 4, chambre 11, 15 septembre 2017.

(19) Article 4, 1. Du Règlement général sur la protection des données (RGPD) 2016-679 du Parlement et du Conseil du 26 avril 2016.

(20) Article 34 du Règlement général sur la protection des données (RGPD) 2016/679 du Parlement et du Conseil du 27 avril 2016.

(21) Loi n°2023-22 du 24 Janvier 2023 sur l’orientation et la programmation du ministère de l’Intérieur.

(22) Article L. 12-10-1 du Code des assurances.

(23) Faure-Muntian, Assemblée nationale, Rapp. La cyber-assurance, 2021, p. 11.

(24) Faure-Muntian, Assemblée nationale, Rapp. La cyber-assurance, 2021, p. 34.

(25) Christie’s, Conditions d’utilisation, Section 7. Exclusion de certains dommages.

(26) Sotheby’s, Conditions d’utilisation, 13. Exclusions de garanties.

(27) Global Security Mag, J.M. Tavernier, mai 2024, “Cyberattaque Christie’s : le luxe nouvelle cible de choix pour les cyberattaquants ? ».

(28) Article 35 du Règlement général sur la protection des données (RGPD) 2016/679 du Parlement et du Conseil du 27 avril 2016.

(29) CNIL, 22 octobre 2019, « Ce qu’il faut savoir sur l’analyse d’impact relative à la protection des données (AIPD) ».

(30) Article 33 du Règlement général sur la protection des données (RGPD) 2016/679 du Parlement et du Conseil du 27 avril 2016.

23.05.2024

Yann Streiff définitivement condamné à rendre ses Vasarely : les risques d’une succession non préparée

Le 28 février, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de l’ex-avocat Yann Streiff et l’a condamné à rendre ses Vasarely à la fondation éponyme (1). Celui-ci est en effet accusé d’avoir orchestré un arbitrage privé frauduleux ayant dépouillé la fondation de ses œuvres au bénéfice des enfants de l’artiste, et par la même occasion de s’être fait rémunérer en toiles.

Retour sur cette affaire qui depuis bientôt trente ans illustre les plus grands risques qu’encourt le patrimoine d’un artiste ou d’un collectionneur après sa mort.

 

1. Le caractère frauduleux de l’arbitrage privé

En préparant l’avenir de sa fondation sans prévoir les conséquences juridiques qui pourraient affecter sa succession, Victor Vasarely a -sans s’en douter- mis en péril la viabilité de son œuvre.

Fort de sa renommée, l’artiste crée de son vivant sa propre fondation qui ouvre en 1976 à Aix-en-Provence (2). Il lui cède de nombreuses œuvres pour alimenter les deux sites que sont le musée architectonique d’Aix-en-Provence et le château-musée de Gordes. Seulement, en 1990, son épouse décède et l’artiste est placé sous tutelle d’Etat (3). Leurs deux enfants réalisent alors qu’une grande partie de leur héritage futur a été accaparé au profit de la fondation.

En effet, le maître de l’Op art aurait transféré une grande partie de son patrimoine vers sa fondation sans se soucier de la « quotité disponible ». Cette notion juridique désigne la fraction de son patrimoine dont on peut librement disposer sans léser ses héritiers. Excéder la quotité disponible, c’est empiéter sur la « réserve héréditaire » de ses enfants, une part du patrimoine du défunt qui leur revient de droit (4).

C’est ainsi que Yann Streiff, le jeune avocat qui avait précédemment défendu l’artiste dans des affaires de contrefaçons (5), serait devenu l’architecte de l’arbitrage privé censé rééquilibrer la succession.

L’arbitrage est un mode alternatif de règlement des litiges. Les parties choisissent ensemble de se détourner du recours au juge pour régler leur différend. Le recours à l’arbitrage est notamment fréquent en matière de commerce international puisqu’il permet de résoudre un conflit de manière rapide et discrète. Cependant, il peut être coûteux et n’offre pas toujours les garanties nécessaires en termes d’indépendance et d’impartialité (6), la constitution du tribunal arbitral étant laissée à l’appréciation des parties (7). 

Finalement, pour sauver la fondation qui peine à se remettre financièrement de ses pertes, les fils Vasarely renoncent à une grande partie de leur créance (5). Par la découverte d’un ultime testament au lendemain de la mort de l’artiste en 1997, son petit-fils Pierre Vasarely devient le légataire universel de son œuvre (5), c’est-à-dire que lui seul obtiendra dans la succession l’ensemble des Vasarely.

Ayant été dépouillée de sa dotation initiale et alors dépourvue de fonds (8), la fondation est placée en liquidation judiciaire en 2007 et l’administrateur judiciaire provisoire saisit alors la justice pour obtenir l’annulation de l’arbitrage (5). La Cour d’appel de Paris accueille sa demande en 2014 (9) et pointe l’existence de multiples conflits d’intérêts. La Cour de cassation confirme l’arbitrage comme étant vicié un an plus tard (10).

=> Pourquoi l’arbitrage est-il vicié ?

La Cour d’appel de Paris dans son arrêt de 2014 souligne rapidement que l’arbitrage « doit être regardé comme participant d’un simulacre mis en place par les héritiers Vasarely pour favoriser leurs intérêts au détriment de ceux de la fondation » (9).

Notons que l’administratrice et représentante de la fondation en 1995, année de l’arbitrage, était Michèle Taburno, l’épouse de Jean-Pierre Vasarely, second fils de l’artiste et héritier réservataire (11). Elle représentait donc la fondation durant l’arbitrage, mais ses intérêts étaient inséparables de ceux de la partie opposée.

Bien qu’il ait toujours affirmé ne jamais avoir pris part activement à l’arbitrage, Streiff défendait en réalité d’un côté les fils Vasarely -et par extension, ceux de leurs épouses respectives- alors même que de l’autre, il défendait la fondation, administrée par la femme de l’un deux. Ainsi, l’arbitrage s’effectuait non entre deux parties aux intérêts opposés, mais deux parties aux intérêts représentés par la même personne (3).

La Cour d’appel note ensuite que l’arbitrage prévoit une évaluation sans expertise des œuvres revenant aux enfants. Le tribunal arbitral s’est contenté de suivre le même procédé que celui qu’employait Victor Vasarely pour vendre ses toiles : le tarif est appliqué « au point », c’est-à-dire que le prix varie selon la surface de l’œuvre (5).

Cette évaluation n’ayant pas pris en compte la décote de l’artiste, elle dépasse les capacités de la fondation, qui doit donc être vidée de tout ce qui est transportable : 430 toiles, 798 études et 18 000 sérigraphies sortent de ses collections (3). Les œuvres sont réparties entre les fils et Michèle Taburno, qui obtient une commission de 15 % des revenus engendrés par son activité de gestion des œuvres et 5 % forfaitaires (3).

Trois mois après l’accord, Yann Streiff reçoit 87 œuvres de Vasarely en règlement de ses honoraires (5).

 

2. Les conséquences de l’annulation de l’arbitrage

Impliqué dans plusieurs affaires dont celle de la succession Vasarely pour « complicité d’abus de confiance et blanchiment », Yann Streiff est radié du barreau de Paris par la Cour d’appel en 2019 (12). En 2022, il est condamné à rendre les œuvres qu’il a reçues en contrepartie de l’arbitrage ; la Cour d’appel de Paris lui donne un délai de quatre mois pour s’exécuter (2). Problème : entre temps, l’ex-avocat en a vendu environ la moitié (13). Il effectue un pourvoi en cassation, mais celui-ci est rejeté le 28 février 2024 (1) ; 46 des 87 œuvres doivent être restituées à la fondation (13).

L’administrateur de la fondation depuis 2009 et petit-fils de l’artiste, Pierre Vasarely, se félicite de cette décision mais note que « condamné de la sorte depuis deux années, Yann Streiff n’a pas à ce jour donné le moindre début d’exécution » (13). Pour ne pas arranger les choses, maître David Gaschignard, qui représente Yann Streiff, doute que son client soit encore en possession des tableaux : « Yann Streiff a fait l’objet de nombreuses perquisitions et saisies, comme l’a montré la procédure. Tout ce qui pouvait être tracé a été tracé » (13).

La fondation récupère quand bien même peu à peu ses œuvres. En 2013, une vingtaine d’œuvres devant être vendues par l’ex-avocat via Artcurial ont été rendues à la fondation. Elles demeurent encore dans l’attente du règlement judiciaire en 2023 (11). En juillet 2023, deux œuvres sont remises via Ader par leurs détenteurs, sans indemnisation (11). Ces derniers avaient en effet appris que leurs œuvres faisaient partie de celles dont la fondation avait été dépouillée.

D’autres œuvres connaissent un retour plus laborieux. En 2000, une vingtaine de tableaux acquis par la galerie Lahumiere à maître Streiff, sont sous le coup d’une procédure de restitution (2). Entre-temps, Anne Lahumière est décédée et la suite de la procédure devra être organisée avec la coopération de Diane Lahumière, son ayant droit. Ce cas pose la question du sort des œuvres revendues par l’ex-avocat.

Une convention d'arbitrage est soumise aux règles de droit commun (14), ce qui signifie que les effets de son annulation sont les mêmes que pour tout type de contrat. Ainsi, un contrat annulé est considéré comme n’ayant jamais existé et les parties doivent restituer les prestations dont elles ont bénéficié (15). Yann Streiff est censé rendre les tableaux acquis en règlement de ses honoraires. Si c’est peine perdue, notamment pour les toiles qu’il a déjà vendues, il doit rendre en somme d’argent ce qu’il ne peut restituer en nature (16).

Il semblerait donc que les œuvres revendues ne reviendront pas à la fondation, dès lors que les nouveaux acquéreurs pourraient en théorie se prévaloir de leur titre de propriété obtenu par la possession en toute bonne foi de leur œuvre (17). Exceptionnellement, certains acquéreurs ayant appris a posteriori la provenance de leur bien, le restituent volontairement comme on l’a constaté en 2023. Le cas de l’acquisition par la galerie Lahumière à Yann Streiff est plus délicat : l’ancienne directrice a également été administratrice de la fondation quelques années plus tôt, ce qui peut faire douter de sa bonne foi, et remettre donc en cause le fameux adage selon lequel possession vaut titre.

 

3. Les alternatives à l’arbitrage privé - l’action en réduction

Parmi les solutions au déséquilibre d’un héritage, l’affaire de la succession Vasarely nous enseigne que l’arbitrage privé peut être risqué à certains égards. Il existe une autre possibilité, moins coûteuse et garantissant indépendance et impartialité : c’est celle de l’action en réduction, évoquée dans l’un de nos précédents articles (18). L’action en réduction appartient aux héritiers dont la réserve héréditaire est impactée par les libéralités qu’a effectué le défunt (19). Le calcul de la réduction est encadré par la loi (20) et permettra aux héritiers de récupérer leur dû dans la succession sans léser à leur tour les bénéficiaires des libéralités visées.

Tout litige vis-à-vis de la réserve héréditaire des enfants peut être prévu d’une autre manière. Est entrée en vigueur en 2006 la renonciation anticipée à l’action en réduction : chaque enfant majeur peut renoncer irrévocablement, par avance et du vivant de ses parents, à se prévaloir d’une action en réduction, au titre d’une donation ou d’un legs consenti par ses parents à un tiers (21). Ainsi, l’artiste ou le collectionneur peut céder une grande part de son patrimoine à sa fondation, dès lors qu’il obtient l’accord de ses enfants.

Rappelons que le recours à l’arbitrage privé ou à l’action en réduction est dû à une chose : le fait de ne pas avoir suffisamment prévu sa succession. Comme l’affaire Vasarely en témoigne, la méconnaissance de la potentielle ampleur des répercussions sur les liens familiaux et l’intégrité de la collection peut être dramatique.

L’historien de l’art Arnauld Pierre note d’autres conséquences également difficiles : « l’affaire éclipse l’œuvre » (5). La reconnaissance de Vasarely n’est plus aussi forte que dans les années 1970s ; les expositions et rétrospectives se font plus rares ; l’artiste n’a pas de catalogue raisonné. Selon Arnauld Pierre, « les risques de saisies ou de procédures judiciaires font peur aux grandes institutions. Et les acheteurs ne sont pas rassurés non plus » (5). 

 

Nos recommandations :

  • Vous souhaitez donner d’importantes œuvres : demandez aux enfants de signer une renonciation anticipée à l’action en réduction pour en assurer la pérennité.

  • Vous êtes bénéficiaire d’une généreuse donation : vérifiez auprès de l’artiste (ou du collectionneur) qu’elle a été effectuée en bonne et due forme, conformément à la loi.

  • Les donations de vos parents ont empiété sur votre réserve héréditaire : à leur décès, vous pouvez effectuer une action en réduction pour récupérer ce qui vous est dû.

  • Vous avez acheté une œuvre mais le titre de propriété de votre vendeur est annulé a posteriori : en fait de meuble, possession vaut titre, tant que vous avez acquis de bonne foi.

Sources :

(1) Cour de cassation, civ. 1ère, 28 Février 2024, n°10132 F-D

(2) La Marseillaise n°20220208, 8 février 2022, « La Fondation Vasarely obtient réparation »

(3) Le Point, 2 Janvier 2023, J. Malaure, « Affaire Vasarely - Yann Streiff, l’avocat marron »

(4) Article 912 du Code civil

(5) Libération n°20231228, 28 Décembre 2023, « Fondation Vasarely, Un scandale à géométrie variable »

(6) Vie publique, 9 juin 2021, « Quand peut-on avoir recours à un arbitrage ? »

(7) Notons toutefois que l’alinéa 2 de l’article 1456 du Code de procédure civile, en vigueur depuis 2011, indique que : « il appartient à l'arbitre, avant d'accepter sa mission, de révéler toute circonstance susceptible d'affecter son indépendance ou son impartialité »

(8) Vingt minutes, 25 Octobre 2007, « La Fondation Vasarely risque la dissolution »

(9) CA Paris, 27 mai 2014, RG n°12/18165

(10) Cour de cassation, 1ère civ., 4 Novembre 2015, n°14-22.630

(11) La Provence n°20230720, 20 juillet 2023, « Deux œuvres de Vasarely font leur retour à la Fondation »

(12) Le journal du dimanche n°3794, 29 septembre 2019, « Maître au piquet » et CA Paris, pôle 2 chambre 1, 19 septembre 2019, n°19/314

(13) La Marseillaise n°20240302, 2 mars 2024, J. Noé, « Aix-en-Provence. Yann Streiff condamné à rendre ses Vasarely ».

(14) Dalloz Fiches d’orientation, Février 2024, « Arbitrage interne »

(15) Article 1178 du Code civil

(16) Article 1352 du Code civil

(17) Article 2276 du Code civil

(18) Aœde, Actualités juridiques, 26 avril 2024, « La mort d’un artiste n’est pas la mort de son œuvre : l’exemple de la défense des intérêts de Pierre Paulin »

(19) Article 920 du Code civil

(20) Article 922 du Code civil

(21) Articles 929 à 930-5 du Code civil

 

Crédit : Vasarely, Vega-Nor, 1969

16.05.2024

C’était prévisible, la Joconde ne sera pas restituée à l’Italie !

Le 14 mai, le Conseil d’Etat s’est penché sur la requête d’International Restitutions, une association qui demande la restitution de la Joconde aux 14 ayants droit du maître italien (1).

Le tableau qui attire près de 20 000 visiteurs par jour au Musée du Louvre (2) fait l’objet d’une requête inhabituelle auprès de la plus haute juridiction administrative française. La demanderesse, une association présidée par Robert Casanovas (3), s’est présentée au Conseil d’Etat sans avocat (4) pour voir déclarer inexistants la décision de spoliation du tableau et les actes pris sur son fondement, ordonner sa radiation de l’inventaire du musée du Louvre et de renvoyer tout intéressé à se pourvoir devant un juge judiciaire pour la restitution du portrait.

International Restitutions, agissant pour le compte des ayants droit des héritiers de Léonard de Vinci (5), affirme que l’œuvre aurait été appropriée à tort par François Ier (6). En effet, elle se fonde sur une ordonnance royale de 1475 portant sur le droit d’aubaine (7). Celle-ci attribuerait à la couronne royale les biens d’un étranger décédé en France, ce qui fut le cas de Léonard de Vinci. Le président d’International Restitutions y voit ainsi « une véritable spoliation qui porte une atteinte grave au droit de propriété » (8).

Qu’en est-il ? Mona Lisa est peinte entre 1503 et 1506 (9). Le maître italien, tombé en disgrâce auprès des Médicis, se tourne en 1516 vers François Ier qui lui offre protection jusqu’à sa mort (10). Il aurait alors emporté le tableau avec lui et l’aurait offert au roi de France en échange d’une pension (11). L’œuvre devient alors un symbole de la force des liens culturels entre la France et l’Italie. Elle rejoint les collections du Louvre en 1797 (12).

Notons que le Conseil d’Etat en 2022 a rejeté ses deux précédentes requêtes. En effet, elle demande en octobre 2022 de radier de l’inventaire du Louvre « des objets ayant pour origine les envois effectués à la suite des fouilles réalisées par le service archéologique de l'Armée d'Orient entre 1915 et 1923 » mais elle se désiste finalement (13). Deux autres de ses requêtes parviennent devant les juges le 23 novembre 2022. La première porte sur les objets issus de la mise à sac du Palais d’Eté de Pékin, aujourd’hui conservés au château de Fontainebleau (14), et la seconde sur les biens issus de la mise à sac du musée de Kertch, actuellement au département des antiquités étrusques, grecques et romaines du musée du Louvre (15).

Le Conseil d’Etat rend alors deux décisions presque identiques, les requêtes demandant l’une comme l’autre de déclarer inexistante l’inscription à l’inventaire desdits biens et de les en radier. La lecture de ces arrêts vient clarifier la définition et la nature juridique de l’inventaire de biens publics (16).

Le château de Fontainebleau et le musée du Louvre sont des établissements publics à caractère administratif bénéficiant tous deux de l’appellation « musées de France » depuis 2002. Les biens issus de leurs collections font donc partie du domaine public et sont à ce titre inaliénables (17). Ils sont alors obligatoirement inscrits sur un inventaire, conformément aux dispositions du Code du patrimoine (18).

Selon International Restitutions, les inscriptions des biens à l’inventaire de ces musées de France doivent être déclarées inexistantes, car elles sont indues (19), c’est-à-dire qu’elles n’auraient jamais dû être reçues et sont donc sujettes à restitution (20).

En comparant les deux précédentes requêtes à la nouvelle, cet article est l’occasion de comprendre ce que ces trois arrêts du Conseil d’Etat peuvent nous enseigner sur les demandes de restitution.

  1. L’association n’a toujours pas d’intérêt à agir

Dans les trois décisions, le Conseil d’Etat commence par examiner sa propre compétence. Au début des deux arrêts de 2022, il se reconnaît compétent pour connaître en premier et dernier ressort des recours dirigés contre les actes réglementaires et contre leurs circulaires et instructions de portée générale (21). Cependant, il estime que les inventaires en question ne sont pas des actes réglementaires. En effet, il a déjà estimé dans une précédente décision (22) qu’un acte dépourvu de caractère général et impersonnel n’ayant pas pour objet l’organisation d’un service public ne revêt pas un caractère réglementaire. L’inventaire d’une collection publique ayant pour unique objet de répertorier les biens par ordre d’entrée dans les collections (23), il n’appartient donc pas à la catégorie des actes réglementaires.

Le Conseil d’Etat affirme tout de même sa compétence dans les trois arrêts. Il se fonde sur un autre principe (24) selon lequel, dès lors que tout ou partie des conclusions dont il est saisi relève de la compétence d’une juridiction administrative et que lesdites conclusions sont « entachées d’une irrecevabilité manifeste insusceptible d’être couverte en cours d’instance », il est compétent pour les rejeter.

Dès lors, le jugement se dessine : selon le Conseil, ces trois requêtes sont effectivement irrecevables au motif que l’association ne justifie pas d’un intérêt à agir suffisant. L’appréciation de celui-ci s’effectue en confrontant l’objet statutaire de l’association aux conclusions qu’elle présente et à l’acte contre lequel ces conclusions sont dirigées (25).

En l’espèce, bien que l’objet statutaire d’International Restitutions semble précis et vise effectivement à « obtenir la restitution ou le retour à leurs légitimes propriétaires ou ayants droit, des biens culturels (…) appropriés frauduleusement, irrégulièrement ou illégitimement (…) notamment durant les différentes périodes de conflits armés ou de colonisation », le Conseil d’Etat affirme qu’il n’est pas constitutif d’un intérêt à agir pour contester l’inscription de biens du domaine public. En effet, les titulaires d’un intérêt à agir pour la restitution de ces biens sont les « personnes qui estimeraient en être les légitimes propriétaires » (26). 

Il est intéressant de noter que dans sa nouvelle requête, International Restitutions affirme expressément agir pour le compte des héritiers des ayants droit de Léonard de Vinci, manière de contourner ce précédent motif de rejet du Conseil d’Etat. Mais une fois de plus, les juges persistent dans ce motif et indiquent que « L'association ne saurait davantage soutenir qu'elle aurait vocation à représenter ces personnes au titre de la " gestion d'affaires " ».

 

  1. L’association continue de s’appuyer sur des documents peu pertinents pour motiver sa demande.

    a. Les trois demandes de radiation de l’inventaire des collections publiques

Pourtant, l’association dans cette nouvelle requête ne tient pas compte du reste du raisonnement du Conseil d’Etat puisqu’elle demande une fois de plus la radiation d’un bien culturel, en l’occurrence la Joconde, de l’inventaire d’un musée de France, ici le musée du Louvre. Déjà dans ses demandes précédentes, elle semblait donner aux inventaires une portée plus importante que le droit ne le leur confère. Le Conseil d’Etat a indiqué qu’il ne s’agissait pas d’un acte réglementaire ; un inventaire est purement déclaratif en ce qu’il se borne à répertorier les biens des collections publiques (27). Ainsi, l’annulation d’un inventaire est sans incidence immédiate sur la restitution d’une œuvre d’art.

En pratique, il arrive que les conservateurs et l’administration se trompent sur la portée d’un inventaire de collections publiques. Le droit lui accorde en effet une place importante : sa création est la première condition d’obtention de l’appellation « musée de France » pour les personnes morales de droit privé à but non lucratif (28). Il joue aussi le premier rôle dans l’opération de récolement, cette obligation décennale dont sont tenus les musées pour s’assurer de la présence, la localisation et de l’état des biens de leur collection (29). En réalité, c’est l’acquisition, l’entrée en collection qui confère au bien son statut.

De même, la radiation de l’inventaire n’est pas non plus un mode de sortie des collections, mais son simple constat. Le Code du patrimoine la mentionne toutefois comme corolaire de la sortie d’un bien d’une collection publique (30) ; de là a dû naître la confusion. Mais la restitution est à part de l’ensemble des modes de sortie des collections publiques. C’est un procédé lourd et long, en ce qu’elle nécessite l’adoption d’une loi spéciale, hormis pour les cas de spoliations dans un contexte de persécutions antisémites entre 1933 et 1945 (31) et pour les restes humains (32).

  1. b. La nouvelle demande de déclarer inexistants des « décisions » de l’Ancien Régime

La requête portant sur la Joconde demande « de déclarer inexistants la décision de spoliation par le roi François Ier du portrait (…) ainsi que tous les actes pris sur le fondement de cette décision » (33). Selon le Conseil d’Etat, de telles demandes sont une fois de plus manifestement irrecevables. On peut s’étonner d’une absence de justification, bien que les juges refusent à juste raison de se pencher sur les « décisions » -qu’ils agrémentent de guillemets dans leur décision- d’un ancien droit.

 Une fois de plus, la requête d’International Restitutions est rejetée, et ce pour les mêmes motifs à quelques détails près. Une association ne peut définitivement pas demander la restitution d’un bien, même lorsqu’elle agit pour le compte de ses supposés propriétaires légitimes. Cependant, c’est bien la première fois que le Conseil d’Etat a assorti sa décision d’une amende -de 3 000 euros- pour procédure abusive.

 

 

=> Vous souhaitez obtenir la restitution d’un bien ?

Nos recommandations :

  • Vérifiez que vous êtes le légitime propriétaire du bien, pour que soit reconnu votre intérêt à agir ;

  • Rapprochez-vous de l’actuel possesseur de l’œuvre ; si besoin, adressez-lui une mise en demeure ;

  • Sans retour positif, vérifiez la nature de la collection -privée ou publique- à laquelle appartient votre bien ;

  • Si le bien relève d’une collection publique, demandez en la sortie et sa restitution en application d’une loi-cadre.

 

Références :

(1) CE, 14 mai 2024, n°491862, Assoc. International Restitutions, Inédit.

(2) TF1 Info, J. Vermelin, 28 Avril 2024, « La Joconde restituée à l’Italie ? La requête surprenante d’une association devant le Conseil d’Etat ».

(3) BFM TV, 29 avril 2024, « Robert Casanovas, président de l'association "International Restitution", explique pourquoi il veut voir la Joconde restituée ».

(4) Le Figaro, S. Pierre et AFP Agence, 25 Avril 2024, « Une mystérieuse association demande la restitution de la Joconde, le Conseil d’Etat se penche sur l’affaire ».

(5) TF1 Info, J. Vermelin, 28 Avril 2024, « La Joconde restituée à l’Italie ? La requête surprenante d’une association devant le Conseil d’Etat ».

(6) Beaux-Arts, J. Bindé, 26 Avril 2024, « Le tableau « le plus décevant au monde » bientôt déplacé dans une nouvelle salle ? Voire restitué à l’Italie ? Les rumeurs décryptées ».

(7) Ordonnances des rois de France de la troisième race, E. de Laurière et al. éd., 21 vol., Paris, 1723-1849, t. XVIII, p. 114.

(8) BFM TV, 29 avril 2024, « Robert Casanovas, président de l'association "International Restitution", explique pourquoi il veut voir la Joconde restituée ».

(9) TF1 Info, J. Vermelin, 28 Avril 2024, « La Joconde restituée à l’Italie ? La requête surprenante d’une association devant le Conseil d’Etat ».

(10) Beaux-Arts, J. Bindé, 26 Avril 2024, « Le tableau « le plus décevant au monde » bientôt déplacé dans une nouvelle salle ? Voire restitué à l’Italie ? Les rumeurs décryptées ».

(11) TF1 Info, J. Vermelin, 28 Avril 2024, « La Joconde restituée à l’Italie ? La requête surprenante d’une association devant le Conseil d’Etat ».

(12) Beaux-Arts, J. Bindé, 26 Avril 2024, « Le tableau « le plus décevant au monde » bientôt déplacé dans une nouvelle salle ? Voire restitué à l’Italie ? Les rumeurs décryptées ».

(13) Le Figaro, S. Pierre et AFP Agence, 25 Avril 2024, « Une mystérieuse association demande la restitution de la Joconde, le Conseil d’Etat se penche sur l’affaire ».

(14) CE, 23 nov. 2022, n° 463108, Assoc. International Restitutions, Inédit.

(15) CE, 23 nov. 2022, n° 465857, Assoc. International Restitutions, Inédit.

(16) La Semaine Juridique, Administrations et Collectivités territoriales n°5, C. Meurant, 6 février 2023, « Le Conseil d’Etat fait l’inventaire des personnes ayant intérêt à la restitution des biens culturels » dans Domaine / Patrimoine - A noter également, § 2037.

(17) Article L. 451-5 alinéa 1er du Code du patrimoine.

(18) Articles L.451-2 et D. 451-16 du Code du patrimoine.

(19) Article D. 451-19 du Code du patrimoine.

(20) Article 1302 du Code civil.

(21) Article R. 311-1 du Code de justice administrative.

(22) CE, sect., 1er juill. 2016, n° 393082.

(23) Article D. 451-17 du Code du patrimoine.

(24) Article R. 351-4 du Code de justice administrative.

(25) CE, 27 mai2015, n°388705.

(26) CE, 23 nov. 2022, n° 463108, Assoc. International Restitutions, Inédit. et CE, 23 nov. 2022, n°465857, Assoc. International Restitutions, Inédit.

(27) Article D. 451-17 alinéa 1er du Code du patrimoine.

(28) Article L. 442-1 alinéa 2 du Code du patrimoine.

(29) Article L. 451-2 du Code du patrimoine.

(30) Article D. 451-19 du Code du patrimoine.

(31) Loi du 22 Juillet 2023 n°2023-650, articles L. 115-2 à L. 115-4 du Code du patrimoine.

(32) Loi du 26 Décembre 2023 n°2023 1251, articles L. 115-5 à L. 115-9 du Code du patrimoine.

(33) CE, 14 mai 2024, n°491862, Assoc. International Restitutions, Inédit.

 

14.05.2024

Sainte Marie-Madeleine, œuvre qu’on croyait perdue depuis 1631, a été authentifiée : quelles conséquences en matière d'achat / vente ?

Un tableau de Raphaël redécouvert est exposé depuis le 20 avril et pour un mois, dans le chœur récemment restauré de la basilique Saint-Maximin-la-Sainte-Baume (1). Sainte Marie-Madeleine, œuvre qu’on croyait perdue depuis 1631, a été authentifiée en octobre dernier par Analisa Di Mari, membre du groupement d’experts de l’Unesco à Florence (2). Il se démarque de ses deux copies par une particularité : le maître italien a dépeint la sainte sans les signes religieux habituels qui l’accompagnent (3).

Cette huile sur panneau appartenait encore il y a quelques années à une famille londonienne. Le tableau est mis en vente par l’étude John Nicholson’s en tant que « possible copie du XIXe siècle » et est estimé à 7 485 euros. Une galerie londonienne le rachète, ayant perçu la qualité de l’exécution, et le propose à la vente pour 35 000 euros sous la qualification « école Da Vinci » (3).

L’œuvre est acquise par des amateurs d’art français, qui décident de la nettoyer et de la soumettre à une expertise. Analisa Di Mari repère les caractéristiques du processus créatif de Raphaël et mène des analyses scientifiques, notamment par lumière infrarouge (2).

Stefano Fortunati, expert en documents et papiers anciens à Florence, est engagé pour retracer l’histoire du tableau. L’œuvre a probablement été peinte en 1505 d’après le visage de Chiara Fancelli, épouse du Péruguin, le maître de Raphaël. Elle a appartenu à la famille d’artistes Fontana au début du XVIe siècle, qui l’a vendue avec le reste de son patrimoine. Elle se retrouve au Palazzo Ducale d’Urbino. Elle devait prendre ensuite la route de Florence mais on perd sa trace à ce moment, en 1631 (2).

Cet article est l’occasion de rappeler les règles juridiques qui gouvernent la vente d’une œuvre d’art, tant concernant les obligations et des garanties attachées au vendeur professionnel, que la possible annulation de la vente pour erreur sur les qualités essentielles.

 

1.   Les obligations et garanties du vendeur professionnel

En droit commun, le vendeur professionnel est tenu garantir la bonne conformité des biens à ce qui était convenu (articles L. 217-3 et suivants du Code de la consommation). Il doit également garantir l’acheteur contre les défauts cachés de la chose vendue, qui diminuent drastiquement son usage, voire la rendent impropre à l’usage (articles 1641 à 1649 du Code civil). Avant la conclusion d’un contrat à titre onéreux avec un consommateur, pèse sur lui une obligation d’information en vertu de l’article L. 111-1 du Code de la consommation (4).

Cette obligation est applicable aux acteurs du marché de l’art comme à tout professionnel. Au-delà, des obligations spécifiques pèsent sur eux. Un décret en 1981 dit « décret Marcus » est en effet venu compléter les informations à fournir au particulier lors de la vente d’une œuvre d’art (5).

Si l’acquéreur le demande, les professionnels du marché de l’art doivent ainsi délivrer un écrit dans lequel sont indiquées les affirmations qu’ils ont avancées sur la nature, la composition, l’origine et l’ancienneté de la chose vendue (article 1). Ce texte vise les vendeurs habituels ou occasionnels d’œuvres d’art ou d’objets de collection, leurs mandataires et les personnes habilitées à procéder à une vente publique, mais aussi les officiers publics ou ministériels. L’écrit à fournir peut prendre la forme d’une facture, d’une quittance, d’un bordereau de vente ou d’un extrait du procès-verbal de la vente publique. L’irrespect de cet article expose à une contravention pouvant aller jusqu’à 1 500 euros.

Ce décret vise à prévenir et réprimer les fraudes en matière de transactions d’œuvres d’art et d’objets de collection. Principalement, il accompagne de garanties juridiques une grande partie des termes issus du vocabulaire de l’authentification. Ceux qui les emploient pour vendre une œuvre d’art ou un objet de collection seront donc attachés aux garanties qui en découlent.

Les articles 2 à 7 du décret établissent une échelle des garanties en fonction du terme que le professionnel vendeur emploie. En effet, le qualificatif employé pour authentifier l’œuvre révèle le degré de certitude du vendeur, y sont donc attachées des garanties adaptées.

Ainsi, la désignation de l’artiste ou l’indication de la présence de sa signature (ou de son estampille) sans réserve expresse constitue une garantie pour l’acquéreur que l’artiste cité est bien l’auteur de l’œuvre (article 3).

Le terme « attribué à » garantit que l’œuvre a été réalisée pendant la période de production de cet artiste et que des présomptions sérieuses le désignent en tant qu’auteur vraisemblable (article 4).

L’œuvre « atelier de » a été exécutée dans l’atelier du maître ou sous sa direction (article 5).

« Ecole de » suivi du nom d’un maître est une garantie que l’auteur a été l’élève du maître cité, a notoirement subi son influence ou a bénéficié de sa technique (article 6). Ce terme n’est applicable qu’aux œuvres exécutées du vivant du maître ou moins de 50 ans après sa mort. « Ecole de » suivi d’un lieu est la garantie que l’œuvre a été exécutée durant le mouvement artistique désigné. L’époque doit être précisée.

Les termes plus vagues (« dans le goût de », « style de », « manière de », « genre de », « façon de », « d’après ») ne garantissent ni l’identité de l’artiste, ni la date de l’œuvre, ni l’école (article 7).

Notons que la référence historique à un siècle ou une époque, lorsqu’elle suit la dénomination de la chose vendue, vient garantir que le bien a été produit au cours de la période de référence (article 2). Si une ou plusieurs parties de la chose sont de fabrication postérieure, le professionnel doit également en informer l’acquéreur.

Enfin, les fac-similé, surmoulages, copies ou autres reproductions doivent être expressément désignés comme tels (article 8).

Au regard de l’œuvre de la Sainte Marie-Madeleine susmentionnée, on peut donc constater la précision de l’expertise au travers des termes employés par les différents acteurs de l’histoire : les commissaires-priseurs anglais se sont très peu engagés en la qualifiant de « possible copie XIXe siècle ». La galerie londonienne, qui avait repéré que le tableau d’origine et son support dateraient de deux époques différentes, s’est d’avantage avancée en mentionnant « école Da Vinci » (3). C’est finalement Analisa Di Mari qui, après plusieurs analyses scientifiques, affirmera qu’il s’agit d’un Raphaël (2).

L’ensemble de ces garanties assure à l’acquéreur d’être protégé en cas de conflit. Le professionnel vendeur s’engage plus ou moins, selon le terme employé. Le prix de l’œuvre en dépend nécessairement.

 

2.   La possible annulation de la vente pour erreur sur les qualités essentielles

L’annulation de la vente par le vendeur

S’il n’est pas question d’annuler la vente du tableau de Raphaël récemment authentifié, notons toutefois qu’il est possible de le faire sur demande du vendeur, si celui-ci a commis une erreur.

L’erreur peut être définie comme le fait pour une partie de s’être fait une fausse représentation d’au moins un des éléments du contrat (en l’occurrence, du contrat de vente).

Sa qualification est retenue, selon l’article 1132 du Code civil (6), lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de l’objet du contrat. L’article suivant (7) indique qu’une qualité essentielle ou déterminante est celle en considération de laquelle les parties ont contracté, tacitement ou expressément.

Attention, selon l’article 1132 du même code, l’erreur ne permet pas d’obtenir l’annulation de la vente, lorsqu’elle est inexcusable. La cour d’appel de Paris en 1990 et en 2003 (8) a ainsi estimé que lorsque l’attention du vendeur est attirée sur la possible importance de l’œuvre dont il veut se séparer, en raison de son éventuelle attribution à un artiste renommé, il doit procéder à des expertises complémentaires auprès de spécialistes qualifiés. A défaut pour lui de procéder à ces expertises, s’il commet une erreur en vendant, celle-ci risque d’être considérée comme étant inexcusable. 

Le vendeur demandant la nullité de la vente doit rapporter la preuve de l’authenticité du bien dont il s’est séparé. En vertu de l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 22 février 1978, dans l’affaire Poussin (9), l’annulation de la vente pour erreur sur les qualités essentielles est possible dès lors que l’on parvient à prouver que le maître est sûrement l’auteur du tableau. Il n’est pas nécessaire d’établir assurément l’identité de l’auteur : ce n’est pas toujours possible. Selon Jacques Ghestin, « il résulte de cette jurisprudence qu’un aléa sur une qualité relative à un objet d’art peut, à lui seul, être constitutif d’une qualité substantielle. La prise en compte de cet aléa interdit au cocontractant de profiter abusivement de ses compétences personnelles dans le domaine de l’art » (10).

Dans une autre affaire relative à une œuvre de Poussin (11), la Cour de cassation affirme le 13 décembre 1983 que pour démontrer qu’il a commis une erreur, le vendeur peut user d’éléments d’appréciation postérieurs à la vente.

Sur la base de ce qui précède, si la galerie souhaitait agir contre ses acheteurs, elle serait en mesure de le faire en vertu de l’article 42 du Code de procédure civile (« La juridiction territorialement compétente est, sauf disposition contraire, celle du lieu où demeure le défendeur ») (12).

L’annulation de la vente par l’acheteur (13)

Il est également possible que l’acheteur demande l’annulation de la vente pour erreur sur les qualités essentielles. L’acheteur doit démontrer cinq choses différentes.

Premièrement, le bien qu’il présente doit être celui dont il a fait l’acquisition.

Deuxièmement, il existe une qualité l’ayant incité à acquérir l’objet, présentant un caractère substantiel. Il s’agit généralement de l’erreur sur l’identité de l’auteur, l’époque ou l’ancienneté, les caractéristiques physiques, le nombre et l’importance des transformations subies, ou encore l’état de conservation. Un acheteur qui croyait avoir acquis un objet constituant un tout et qui réalise qu’il ne s’agit que d’une partie d’un ensemble peut également obtenir gain de cause (14).

Troisièmement, il faut également que son erreur porte sur ladite qualité essentielle dont l’existence a été prouvée.

Quatrièmement, l’erreur doit être excusable : l’erreur inexcusable est une erreur fautive, un manquement à l’obligation de prudence, de vigilance ou au devoir de se renseigner. L’erreur du particulier est plus facilement excusée par les juges que celle du professionnel.

Cinquièmement, cette qualité essentielle doit faire défaut, ce qui est généralement démontré sur la base d’une expertise, laquelle peut prendre en compte des éléments de connaissance postérieurs à la vente.

Lorsque l’erreur est admise, la vente est annulée. La nullité s’applique rétroactivement et efface donc les effets produits initialement par le contrat. Les parties doivent se restituer respectivement ce qu’elles ont reçu l’une de l’autre ; en cas de remboursements respectifs, il y a compensation des sommes dues. Si l’œuvre ne peut être rendue, par exemple lorsque l’acheteur l’a revendue, il peut y avoir restitution en valeur en vertu de l’article 1352 du Code civil (15).  

 

Nos recommandations

-  Vous êtes acheteur (particulier ou professionnel) : si vous découvrez a posteriori la véritable authenticité du bien, vous risquez l’annulation de la vente pour erreur sur les qualités essentielles sur demande du vendeur.

- Vous êtes galeriste ou commissaire-priseur : avant de vendre une œuvre importante il est nécessaire de la faire expertiser lorsqu’elle ne relève pas de votre domaine de spécialité. L’authentification peut aussi passer, comme avec Stefano Fortunati, par des recherches de provenance (catalogue raisonné, archives…). Il faut également faire attention au vocabulaire employé au regard du décret Marcus de 1981.

Sources

(1) Var matin n°20240420 du 20 Avril 2024, « Le chef d’œuvre de Raphaël exposé à Saint-Maximin », p. 4.

(2) La Provence n°20240420 du 20 Avril 2024, « Sauvé de l’oubli, un tableau de Raphaël dévoilé au public », p. 20.

(3) Paris Match n°3888 du 9 Novembre 2023, « Marie Madeleine, la Joconde de Raphaël ? », p. 94.

(4) Article L. 111-1 du Code de commerce

(5) Décret n°81-255 du 3 mars 1981 sur la répression des fraudes en matière de transactions d’œuvres d’art et d’objets de collection (décret Marcus)

(6) Article 1132 du Code civil

(7) Article 1133 du Code civil

(8) CA Paris, 1re ch., 15 nov. 1990, CA Paris, 1re ch., 7 oct. 2003

(9) Cour de cassation, civ. 1ère, 22 février 1978

08.04.2024

Action ! Quand des peintres copient des chefs d’œuvres pour le cinéma

L’année 2024 est marquée par la sortie de nombreux films sur la vie d’artistes. On pense notamment à Daaaaaali ! de Quentin Dupieux ou Bonnard, Pierre et Marthe de Martin Provost. Ces films présentent une réalité quasi-parfaite, notamment au regard des œuvres que l’on peut voir apparaître.

En tout cas en apparence : il ne s’agit en réalité pas des originaux, mais de reproductions réalisées par des peintres dont le métier est de copier les œuvres originales.

Revenons sur le statut de ces copies réalisées pour le cinéma, à distinguer des œuvres créées par les faussaires, constituant des contrefaçons ou des faux.

I.               La copie d’œuvre pour le cinéma

La présentation d’une œuvre graphique originale dans un film nécessite, en principe, l’accord de son auteur (ou de son ayant droit). Cet accord est également indispensable pour la réalisation par un tiers, à des fins cinématographiques, d’une œuvre factice, qui ne serait que reproduction de l’œuvre originale.

A)    La protection de l’œuvre originale

En droit français, une œuvre d’art originale est protégée par le droit d’auteur (1), lequel octroie à l’artiste auteur des droits patrimoniaux et moraux.

Les droits patrimoniaux lui permettent d’exploiter son œuvre – y compris d’autoriser ou d’interdire son exploitation – et d’en tirer un profit. Ainsi, il jouit des droits de représentation et de reproduction, mais également de droits dérivés tels que le droit d’adaptation (2). Ces droits sont cessibles (3).

Le droit moral comprend 4 prérogatives attachées à l’auteur de l’œuvre : le droit à la paternité, le droit au respect de son œuvre, le droit de divulgation et le droit de repentir ou de retrait. Ces droits sont perpétuels, inaliénables et imprescriptibles (4).

Contrairement au droit moral, les droits patrimoniaux sont limités dans le temps et s’éteignent, en principe, 70 ans à compter de l’année civile suivant le décès de l’auteur (5). Ensuite, ses œuvres tombent dans le domaine public et peuvent ainsi être librement utilisées, ou presque : il faut toujours respecter le droit moral de l’auteur !

B)    L’autorisation préalable à la copie

Afin qu’une œuvre puisse être copiée à des fins cinématographiques, l’autorisation de son auteur doit être obtenue expressément et par écrit, en amont. Il en est de même pour que la copie puisse apparaître au grand écran.

Néanmoins, cette condition d’autorisation d’exploitation ne s’applique plus lorsque l’œuvre est tombée dans le domaine public. Une œuvre “tombe” dans le domaine public, lorsque les droits patrimoniaux de l’auteur sont expirés. Ainsi, pour des artistes décédés il y a plus de 70 ans, tels que Bonnard, aucune autorisation n’est requise, a contrario de Dali, dont l’exploitation des œuvres doit être permise par ses ayants droit.

La copie de l’œuvre pour le cinéma, si elle est permise, n’est pas libre pour autant ; elle doit se faire dans le respect du droit moral, et en particulier du respect dû à l’œuvre (6), et ce à plusieurs égards :

  • lorsque la copie de l’œuvre est strictement identique, il ne devrait pas être porté atteinte au droit moral;

  • en revanche, lorsque l’œuvre est adaptée, notamment lorsque les couleurs ou les proportions ne sont pas respectées, il pourrait être porté atteinte au droit moral. C’est à plus forte raison le cas lorsque le réalisateur du film entend adapter les portraits d’un artiste aux traits des acteurs qui incarnent les modèles, tel que ce fut le cas pour le portrait du docteur Gachet (réalisé par Van Gogh) adapté au physique de Mathieu Amalric, et ou le portrait de Bonnard à celui de Vincent Macaigne. Il est, dans de telles circonstances, fortement recommandé de demander l’autorisation de procéder ainsi aux ayants droit de l’artiste.

 

C)   Les droits d’auteur du copiste

Nous l’avons vu, le droit d’auteur français reconnaît à l’auteur d’une œuvre des droits sur celles-ci, sous réserve qu’elle soit matérialisée et originale. Une œuvre est qualifiée d’originale, lorsqu’elle est empreinte de la personnalité de son auteur.

Ainsi, celui qui reproduit une œuvre à l’identique, ne saurait réaliser une œuvre originale. Un copiste professionnel qui reproduit des toiles originales pour le cinéma ne peut, dès lors, être qualifié d’auteur au sens du Code de la propriété intellectuelle et de fait être titulaire de droits d’auteur sur les copies réalisées. Il en sera en principe de même lorsque le copiste reproduira l’œuvre originale, tout en l’adaptant aux traits d’un acteur qui interprète l’artiste, puisque cette adaptation devrait permettre d’identifier l’acteur, sans être empreinte de la personnalité du copiste.

Naturellement, les copies d’œuvres originales créées dans le cadre d’un film ne doivent pas être confondues avec les œuvres réalisées par les faussaires.

 

II.             Les œuvres réalisées par les faussaires

Les œuvres réalisées par le faussaire peuvent constituer des contrefaçons et/ou des fausses œuvres, dont le régime juridique et les sanctions diffèrent.

 

A)   Les contrefaçons d’œuvres d’art

Lorsque le faussaire reproduit une œuvre originale protégée au titre du droit d’auteur sans l’autorisation de l’auteur ou de son ayant droit, une telle reproduction est susceptible de constituer des actes de contrefaçons. Les juges constateront alors la reprise de la combinaison des caractéristiques originales de l’œuvre reproduite dans l’œuvre seconde pour qualifier cette dernière de contrefaçon.

La contrefaçon peut être sanctionnée pénalement et civilement.

En matière pénale, le délit de contrefaçon est défini comme "toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelques moyens que ce soit, d'une œuvre de l'esprit en violation des droits de l'auteur" (art. L335-3 du Code de la propriété intellectuelle). Il est puni de trois ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende.

La contrefaçon est un acte susceptible d’engager, également, la responsabilité civile de son auteur et permettre à l’artiste (ou à son ayant droit) victime de l’acte d’obtenir la réparation du préjudice qu’il a subi.

B)    Les fausses œuvres

Lorsqu’en revanche le faussaire créée une œuvre qui n’a jamais été conçue par l’artiste, mais qui est présentée comme telle par l’usurpation de sa signature, de son nom et/ou d’un signe qu’il a adopté, et réalisé « à la manière » ou « dans le style » dudit artiste, l’œuvre constitue une fausse œuvre ou « faux intégral » : il s’agit d’une fraude en matière artistique.

La fraude en matière artistique est sanctionnée par une loi pénale spéciale dite loi Bardoux du 9 février 1895. L’application de ce texte est toutefois limitée : il couvre seulement les catégories d'œuvres dits des « beaux-arts » (peinture, sculpture, dessin, gravure, musique) et au sein de celles-ci, celles qui ne sont pas tombées dans le domaine public et sont signées. Les sanctions sont également restreintes : 2 ans d’emprisonnement et 75.000 euros d’amende.

La fausse œuvre peut également constituer une contrefaçon, lorsqu’elle reproduit l’œuvre ou des éléments originaux d’une œuvre originale, sans autorisation de son auteur. En revanche, elle échappe à l’emprise du droit d’auteur, lorsqu’elle constitue un « faux intégral », précisément parce qu’elle ne copie pas une œuvre ou des éléments originaux directement conçus par l’artiste.

Nota bene : le 16 mars 2023, le Sénat a adopté une proposition de loi en portant réforme de la loi Bardoux. Cette proposition tend à mieux protéger le marché de l’art, qui subit le fléau de la circulation de faux (7). Cela passe, notamment, par l’extension du champ d’application du texte (il vise notamment tous les supports de l’art, y compris des modes d’expression artistique appelés à apparaitre dans le futur), et le durcissement des peines encourues (il les aligne sur celles sanctionnant l'escroquerie : cinq ans de prison et 375 000 euros d'amende). Cette proposition de loi a été accompagnée de la conduite d’une mission dédiée aux faux artistiques, dont le récent rapport porteur de nombreuses recommandations à l’attention du gouvernement vient d’être publié (8).

Dès lors, la réalisation d’œuvres pour le cinéma, qu’il s’agisse de reproductions identiques, d’adaptation ou de créations « dans le style de » soulève la question de l’« après » tournage. Afin de prévenir tout risque qu’elles intègrent le marché de l’art, il conviendra de prévoir qu’elles soient détruites à l’issue du tournage, ou que leur nature soit clairement identifiée, par exemple, avec la mention « copie » au dos de l’œuvre. 

Nos recommandations :

-> Si vous avez pour projet de réaliser / produire un film dans lequel des œuvres d’art originales seront reproduites :

  • Si l’œuvre n’est pas dans le domaine public : vous devez obtenir l’autorisation de l’auteur de l’œuvre ou de ses ayants droit et conclure un contrat qui prévoit l’ensemble des prérogatives qui vous sont accordées, à défaut les œuvres produites pour le film seront considérées comme contrefaisante ;

  • Que l’œuvre soit tombée dans le domaine public ou pas : vous devez veillez à respecter les droits moraux de l’artiste, en particulier lorsque vous souhaitez adapter l’œuvre pour les besoins du film.

-> Si vous êtes un artiste / ayant droit contacté avant la réalisation d’un film : veillez à conclure un contrat prévoyant toutes les conditions et contreparties associés à l’exploitation des œuvres et de demander à avoir un droit de regard sur les œuvres en cas d’adaptation.

-> Si vous êtes copiste d’œuvres pour un film : en principe, vous ne disposez pas de droit d’auteur sur vos créations, prévoyez contractuellement l’ensemble des prérogatives qui vous seront accordées et vérifiez que tous les droits portant sur les œuvres ont bien été cédés et que les droits moraux de l’artiste de l’œuvre originale seront respectés, au risque d’être coupable de contrefaçon ou même d’être considéré comme un faussaire !

 

SOURCES

(1) Article L.111-1 Code de la propriété intellectuelle : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000042814694

(2) Article L.123-1 Code de la propriété intellectuelle : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006278937

(3) Article L.122-3 Code de la propriété intellectuelle : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006278907

(4) Article L.121-1 Code de la propriété intellectuelle : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006278891

(5) Jurisprudence Christo, TGI Paris, 13 mars 1986

(6) Article 4 Loi Bardoux : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000512607

(7) Proposition de loi portant réforme de la loi du 9 février 1895 sur les fraudes en matières artistiques : https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl22-177.html#timeline-1

(8) Rapport de mission sur les faux artistiques : https://www.culture.gouv.fr/Nous-connaitre/Organisation-du-ministere/Conseil-superieur-de-la-propriete-litteraire-et-artistique-CSPLA/Travaux-et-publications-du-CSPLA/Missions-du-CSPLA/Rapport-de-mission-sur-les-faux-artistiques

28.03.2024

L’affiche officielle des Jeux Olympiques : un millefeuille de droits de propriété intellectuelle

Le 4 mars, le Comité d’Organisation des Jeux Olympiques (« COJO ») dévoilait son affiche officielle pour l’édition de Paris 2024. Pour la première fois, les affiches des olympiades et des jeux paralympiques sont présentées dans un ensemble. Elles sont le fruit du travail d’Ugo Gattoni, dessinateur français.

Son œuvre a fait scandale à plusieurs titres, notamment la modification des édifices patrimoniaux parisiens, en particulier la disparition de la croix du Dôme des Invalides ou encore l’absence de certaines villes hôtes accueillant les épreuves (telles que Lille).

Cette actualité interroge sur les obligations qui s'imposaient au dessinateur pour la réalisation de son œuvre. Elle est également l’occasion de s’intéresser à la titularité et aux conditions d’exploitations de l’œuvre, mais aussi aux conditions d’exploitations des signes distinctifs reproduits sur l’affiche.

1 – Les obligations graphiques de l’affiche officielle

Le COJO est, depuis 1912, chargé d’assurer la promotion de chaque édition des Jeux. Soumise aux indications du Comité International Olympique (« CIO »), l’organisation a pour vocation de transmettre les valeurs olympiques et la vision du mouvement, à savoir « Bâtir un monde meilleur avec le sport ». La transmission de ces valeurs passe, notamment, par la réalisation d’une affiche officielle.

La Charte olympique, qui codifie les principes fondamentaux des Jeux, précise en sa règle 50.2, que les Jeux Olympiques ne peuvent servir à véhiculer une « promotion religieuse, politique ou encore raciale » (1). À cela s’ajoute le principe de laïcité du service public, mission dont le COJO est investi (2).

Ainsi, l’artiste, sélectionné par le directeur artistique de cette édition 2024, Joachim Rocin, a usé de sa liberté créatrice et pris le parti de réaliser une affiche qui se distingue de ses prédécesseurs, avec une profusion inhabituelle de détails, un souci d’exhaustivité, loin de la sobriété traditionnelle.

Cette affiche soulève des questions de propriété intellectuelle à plusieurs égards qu’il convient d’envisager.

2 – Les droits de propriété intellectuelle afférant à l’affiche officielle

Selon la règle 7 de la Charte olympique, le CIO détient les droits sur les propriétés olympiques, dont l’affiche officielle fait partie (règle 7.4) (3).

Il convient de distinguer la protection accordée à l’affiche au titre du droit d’auteur et de la protection reconnue aux signes distinctifs incorporés à l’affiche, sur le fondement du droit des marques.

A) La titularité des droits d’auteur sur l’affiche

Le droit d’auteur permet la protection de la création originale constituée par l’affiche, ab initio, détenue (sauf dans des cas spécifiques, telles que les œuvres collectives) par l’auteur de l’œuvre (4). Pour ce qui est de l’affiche officielle des JO de Paris, Ugo Gattoni devrait ainsi, détenir les droits d’auteur portant sur l’affiche.

Toutefois, si l’affiche officielle résulte d’un contrat de commande passé par le COJO, en ce qu’il devrait s’agir d’une « création ou objet commandés en relation avec les Jeux Olympiques, par le CIO, les CNO et/ou le COJO » (règle 7.4 de la Charte olympique), il doit exister une présomption de cession des droits d’auteur. L’article L.132-31 du Code de la propriété intellectuelle dispose en effet que : “Dans le cas d'une œuvre de commande utilisée pour la publicité, le contrat entre le producteur et l'auteur entraîne, sauf clause contraire, cession au producteur des droits d'exploitation de l'œuvre" ; le rôle de l’affiche officielle de la compétition étant publicitaire.

Ainsi, le CIO, détiendrait les droits y afférant puisqu’il est propriétaire de l’ensemble des propriétés olympiques désignées à l’article 7.4 de la Charte olympique, dont font partie les créations commandées pour les Jeux. Des licences sur ces droits peuvent par la suite être cédées par le CIO aux Comité national hôte (“CNO”) et au COJO, selon leurs besoins (article 19.2 Contrat ville hôte) (5).

Dans les faits, le CIO autorisera ainsi la ville, le CNO et le COJO hôtes à utiliser et exploiter l’'affiche réalisées sur commande pour les Jeux dans le cadre de la publicité et de la promotion des Jeux. L’affiche incorpore également d’autres propriétés olympiques, lesquelles sont protégées par le droit des marques.

B) Le droit des marques

On peut constater sur l’affiche, l’incorporation de plusieurs signes distinctifs : les anneaux, les flammes, le terme « Jeux Olympiques », etc.

Il s’agit de « propriétés olympiques », à savoir le symbole, le drapeau, la devise, l’hymne, les identifications et les désignations, la flamme et les roches olympiques, dont les droits sont détenus par le CIO, et qui représentent l’identité visuelle du mouvement (règle 7.4 Charte Olympique). Ces dernières bénéficient de la protection du droit des marques qui confère à leur propriétaire certains droits exclusifs.

En l’espèce, on note que le CIO a notamment déposé les marques suivantes, « Olympic » No. 1128501A ; « Olympiad » No.1128499 ; « Anneaux olympiques » No. 2970366 ; « Agitos » No. 003481074 ; ainsi que des emblèmes tels que celui de l’édition 2024, enregistré sous le numéro 1527944.

Le COJO a également déposé des marques, dont les emblèmes olympiques aux numéros FR No. 204693482 et FR No. 204707713, des slogans, les mascottes aux numéros FR No. 22 4912224 et FR No. 22 4912156, et les millésimes aux numéros FR No. 113875475 et FR No. 224862037 (6).

Renforçant la protection des propriétés olympiques, les juges ont pu reconnaître à certaines le statut de marques notoires au sens de l’article L.713-5 du Code de la propriété intellectuelle (7). C’est le cas par exemple du terme « Jeux olympiques ». Ce statut permet ainsi d’engager la responsabilité civile de celui qui en fait une utilisation sans l’accord de son propriétaire, y compris pour des produits et services différents de ceux pour lesquels la marque est enregistrée, sous certaines conditions, contrairement au principe de spécialité applicable en droit des marques .

Enfin, le Code du sport reconnaît une protection spéciale aux propriétés olympiques. Le CNO est en effet propriétaire des emblèmes nationaux, et dépositaire des marques déposées par le COJO. Ledit code prévoit la condition d’exploitation des propriétés olympiques : toute utilisation nécessite l’autorisation expresse du CNO (8) (9).

Ces différents niveaux de protection permettent au CIO, ainsi qu’aux CNO et COJO de contrôler strictement les exploitations non autorisées de leurs signes exclusifs.

La -déjà- fameuse affiche de l’édition 2024 des Jeux constitue, en droit, un millefeuille de propriétés intellectuelles.

 

SOURCES :

(1)   Règle 50.2 Charte olympique : https://stillmed.olympics.com/media/Document%20Library/OlympicOrg/General/FR-Olympic-Charter.pdf

(2)   https://cada.data.gouv.fr/20191480/

(3)   Règle 7.4 Charte Olympique : https://stillmed.olympics.com/media/Document%20Library/OlympicOrg/General/FR-Olympic-Charter.pdf

(4)   Article L.111-1 Code de la propriété intellectuelle : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000042814694

(5)   Article 19.2 Contrat ville hôte : https://stillmed.olympic.org/media/Document%20Library/OlympicOrg/Documents/Host-City-Elections/XXXIII-Olympiad-2024/Contrat-ville-hote-Principes-pour-les-Jeux-de-la-XXXIII-Olympiade-2024.pdf

(6)   https://blip.education/la-protection-speciale-des-proprietes-olympiques-et-paralympiques-en-france

(7)   Article L.713-5 Code de la propriété intellectuelle : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000039381593

(8)   Article L.141-5 Code du sport : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000045293985

(9)   Article L.141-7 Code du sport : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000045293978

07.03.2024

Les collaborations entre artistes et maisons de mode : œuvres de collaboration ou œuvres collectives ?

Du 29 février au 5 mars 2024, s’est déroulée la Fashion Week de Paris. À l’occasion de la présentation de leurs nouvelles créations, certaines maisons de mode ont révélé des collaborations créatives avec des artistes.

Ainsi, Jean-Paul Gaultier a confié l’ensemble de la réalisation de la collection Haute Couture à la créatrice Simone Rocha, lui laissant carte blanche. Chez Issey Miyake, l’artiste Ronan Bouroullec a réalisé des motifs abstraits reproduits sur les vêtements de la marque. Une partie des vêtements, accrochés tels des peintures sur les murs blancs du Palais de Tokyo, a servi de décor pour le défilé.

Ces deux exemples illustrent les deux formes principales que peuvent prendre les collaborations artistiques : soit la maison de mode invite un artiste pour qu’il réalise tout ou partie de la collection, soit l’artiste créée une œuvre spécifique qui sera apposée sur les vêtements d’une collection.

En droit français, elles se traduisent par deux qualifications : l’œuvre collective et l’œuvre de collaboration – dont la distinction s’impose compte tenu du régime juridique qui en résulte, notamment quant à la titularité des droits d’auteur.

Cet article est l’occasion de les passer en revue et de rappeler l’importance d’encadrer, précisément, l’exploitation des droits dans le cadre de ces collaborations artistiques plurales.

1 – Distinction entre œuvre collective et œuvre de collaboration

En droit français, le Code de la propriété intellectuelle (le « CPI ») distingue différentes formes d’œuvres dites plurales, selon le degré de participation des auteurs à sa création. Ainsi, l’article L.113-2 (1) dudit code dispose que « Est dite de collaboration l’œuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques.

Est dite collective l’œuvre créée à l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participants à son élaboration se fond dans un ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé ».

Si un artiste est invité à créer indépendamment une œuvre qui sera apposée sur un vêtement commercialisé par une maison de mode, il s’agira a priori d’une œuvre de collaboration composée des collaborations distinctes et individualisables de chacun des intervenants à l’œuvre.

C’est le cas, a priori, dans l’exemple précité de Ronan Bouroullec pour Issey Miyake : l’artiste est auteur des œuvres apposée sur les vêtements et, protégées par l’article L.111-1 du CPI (2), tandis que la maison de mode est titulaire des droits d’auteur portant sur les vêtements dans le cas où ceux-ci sont considérés comme des œuvres originales (empreints de la personnalité). La maison de mode pourra également être titulaire de droits de dessin et modèles protégés par l’article L.511-1 du même code (3).

A l’inverse, si une maison de mode fait appel à un artiste pour réaliser un ou plusieurs articles d’une collection et que (i) la contribution de l’artiste se fond dans un ensemble (généralement compte tenu de l’intervention de toute une équipe créative), que (ii) la maison donne à l’artiste des instructions précises (le plus souvent sous la forme d’un brief), (iii) contrôle le travail effectué (par exemple, en lui demandant de modifier tel ou tel élément de l’œuvre), (iv) divulgue l’œuvre sous le nom de la maison, et que (v) les vêtements réalisés portent l’ADN de la maison, les œuvres - à supposer qu’elles soient originales – pourront être qualifiées d’œuvres collectives au sens de l’article L.113-2 CPI.

Toutefois, une maison qui souhaiterait utiliser un motif empreint de la personnalité d’un auteur, doit, préalablement, obtenir l’accord de ce dernier. L’artiste doit céder ses droits patrimoniaux et conserve, quoi qu’il en soit, ses droits moraux sur le motif (donc la paternité, le droit de repentir, le droit de divulgation et le droit au respect de son œuvre).

Ces situations soulèvent la question de la titularité des droits d’auteur sur le vêtement, et le motif apposé.

2 – La titularité des droits d’auteur d’une œuvre de collaboration

Le CPI pose un principe de présomption de titularité des droits d’auteur : l’auteur est « celui ou ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée ».

Plus spécialement, s’agissant des œuvres de collaboration, l’article L.113-3 du même code (4) prévoit que « L’œuvre de collaboration est la propriété commune des coauteurs ». Ces derniers doivent exercer leurs droits d’un commun accord, étant toutefois précisé que, les contributions personnelles peuvent être exploitées individuellement, à la condition que les participations, soient de genres différents.

La cour d’appel de Paris a ainsi autorisé un directeur artistique à agir en contrefaçon contre un artiste tiers ayant reproduit sa mise en scène, sans que l’accord du photographe qui avait photographié son œuvre soit nécessaire, « dès lors que sa contribution était individualisable » (5) , et que l’action en contrefaçon ne concernait que la mise en scène, et non le résultat photographié.

Dans les cas de la collaboration entre Issey Miyake et Ronan Bouroullec, les participations du designer et du créateur relèvent, a priori, de genres différents. En effet, la maison réalise le vêtement en tant que tel, tandis que l’artiste réalise l’œuvre apposée sur ce dernier.

Chaque partie devrait alors pouvoir exploiter individuellement sa contribution personnelle, mais elles devront s’accorder pour exercer unanimement les droits sur l’ensemble de l’œuvre.

En réalité, cette situation nécessite un encadrement méticuleux pour favoriser l’exploitation des droits d’auteurs dans le cadre d’un accord de collaboration, avec cession de droits, au profit de la maison de mode.

3 – La nécessité d’encadrer l’exploitation des droits d’auteur d’une œuvre de collaboration

L’article L.113-3 du CPI prévoit une propriété commune, laquelle nécessite un exercice unanime des droits. Ainsi, soit les parties exercent ensemble leurs droits d’auteur, soit l’une cède à l’autre ses droits patrimoniaux par un contrat de cession (les droits moraux d’auteur étant incessibles), ce qui est le cas dans la grande majorité des situations.

Dans le cadre d’une collaboration entre un artiste et une marque pour une collection de mode, l’artiste cédera ainsi dans la majorité des cas, ses droits patrimoniaux à la marque, qui distribuera et promouvra le résultat de la collaboration.

Il convient alors pour les parties de conclure un contrat de collaboration avec cession de droits. Ce contrat doit prévoir les conditions d’une telle cession, avec notamment, la nature des droits cédés (pour faciliter le défilé, l’artiste cèdera ses droits de représentation, et pour la publicité ainsi que la mise en vente, ses droits de reproduction portant sur l’œuvre apposée), la durée de la cession (une collection/une saison, ou plusieurs saisons), l’étendue géographique. Le contrat devra également être clair sur la participation précise des parties et notamment de l’artiste, non seulement lors de la conception de l’œuvre (a-t-il un droit de regard sur l’article final ?) mais également lors de la promotion (participe-t-il au défilé ? À la campagne promotionnelle ? L'artiste a-t-il une obligation de communiquer sur ses réseaux sociaux ? Etc.)

Le contrat prévoira également nécessairement les conditions de rémunération de l’artiste. L’article L.131-4 du CPI (6) énonce, à cet égard, qu’en cas de cession de droits, la rémunération est en principe  « proportionnelle aux recettes provenant de la vente ou de l’exploitation », sauf lorsque « la base de calcul de la participation proportionnelle ne peut être pratiquement déterminée » ou que « la nature ou les conditions de l’exploitation rendent impossible l’application de la règle de la rémunération proportionnelle ».

 

4 – Pour les maisons de mode, l’opportunité d’une qualification d’œuvre collective

L’œuvre collective définie par le CPI est une œuvre créée à l’initiative d’une personne, qui la publie et la divulgue sous son nom. Cette œuvre collective est réalisée avec la participation d’autres contributeurs. Sa spécificité est que la contribution des différents contributeurs ne peut être identifiée dans l’ensemble que constitue l’œuvre finale.

C’est généralement le cas lorsqu’une maison de mode fait appel à un artiste designer, lui donne des instructions claires, et contrôle son travail, qui se fond dans un ensemble de contributions des différents membres de son équipe créative. La maison divulguera alors l’œuvre sous son nom, et la commercialisera.

Dans ce cas précis, il ne devrait pas y avoir de cession de droits obligatoire à prévoir puisque l’artiste ayant concouru à la réalisation de la collection n’est pas, à proprement parlé, coauteur des œuvres. Les droits sont ab initio détenus par la maison de mode qui divulgue la création : il s’agit d’une œuvre dite « collective ».

Les parties devront toutefois conclure un contrat – généralement contrat de prestation de service – qui devra mentionner expressément la qualification d’œuvres collectives.

Toutefois, si cette qualification ne pouvait être retenue (par exemple car la contribution du designer serait facilement identifiable, car la maison n’aurait pas donné d’instructions claires, ni contrôlé le travail du designer), la maison de mode peut se protéger en incluant dans le contrat une clause « balais » de cession de droits d’auteur.

Aux termes de l’article L.131-1 du CPI (7), « la cession globale des œuvres futures est nulle ». Dès lors, le la cession de droit devra préciser que la cession est réalisée, au fur et à mesure de la réalisation des créations.

Nos recommandations :

  • Vous êtes une maison de mode :

    •   En cas d’œuvre de collaboration : prévoyez dans le contrat une cession de droits suffisamment large pour vous permettre d’exploiter la collection, ainsi que les obligations de l’artiste avec lequel vous collaborez (en matière le cas échéant de collaboration à la conception finale, de participation au défilé, de communication, etc).

    • En cas d’œuvre collective :

      • Conservez la preuve écrite de votre implication (instructions données au designer, contrôle, ADN de la Maison présent dans l’œuvre...) lors de la conception ;

      • Pensez à inclure une clause dite « balai » qui prévoit, en cas de refus de qualification d’œuvre collective, qu’il y a tout de même cession de droits (à nouveau, celle-ci doit être précisément définie) au fur et à mesure de la réalisation des créations.

 

  • Vous êtes artiste :

    • En cas d’œuvre de collaboration : vérifiez les conditions dans lesquelles vous cédez vos droits patrimoniaux (durée, étendue géographie, rémunération, etc.) et le cas échéant, les possibilités pour vous d’utiliser votre œuvre individuellement ;

    • En cas d’œuvre collective : vérifiez les conditions de la prestation demandée et que la qualification d’œuvre collective est effectivement possible.

 

SOURCES :

1 - Article L.113-2 du Code de la propriété intellectuelle - https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006278882

2 - Article L.111-1 du Code de la propriété intellectuelle - https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000042814694

3 - Article L.511-1 du Code de la propriété intellectuelle - https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006279306

4 - Article L.113-3 du Code de la propriété intellectuelle - https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006278883

5 - Cour d’appel, Paris, Pôle 5, chambre 1, 23 février 2021, n°19/09059 - https://www.doctrine.fr/d/CA/Paris/2021/C9CFC202EC2E0AD3EA656

6 - Article L.131-4 du Code de la propriété intellectuelle - https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006278963

7 – Article L.131-1 du Code de la propriété intellectuelle - https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006278955

29.02.2024

La menace de la destruction d’œuvres par l’artiste russe Andreï Malodkin : l’art comme outil de revendication 

L’artiste russe installé en France, Andreï Malodkin, menace de détruire un ensemble d’œuvres d’art majeures en l’absence de preuve de vie de Julian Assange. Le dernier recours du lanceur d’alerte est en train d’être examiné par les juridictions britanniques avant qu’il ne soit extradé vers les États-Unis en vue de son procès pour espionnage.

Andreï Malodkin affirme être en possession de seize œuvres d’artistes renommés tels que Pablo Picasso, Andy Warhol, Rembrandt, et d’autres contemporains.

Cette affaire permet de revenir sur le sujet de la destruction d’œuvres d’art à l’aune du droit français, mais également sur la valeur de la destruction de l’art comme moyen d’expression.

I.               La destruction d’œuvres d’art au regard du droit  

Le droit, lui-même, prévoit la destruction d’œuvres d’art, tout autant qu’il la condamne.

 A.    La destruction comme sanction prévue par le droit

La destruction d’une œuvre est une sanction possible, en raison de son caractère contrefaisant, tant en matière civile qu’en matière pénale.

Civilement, l’article L.331-1-4 du Code de la propriété intellectuelle prévoit qu’« en cas de condamnation civile pour contrefaçon, (…), la juridiction peut ordonner, à la demande de la partie lésée, que les objets réalisés ou fabriqués portant atteinte à ces droits (…) soient détruits ou confisqués au profit de la partie lésée. » (1)

Pénalement, l’article L.335-6 dudit Code dispose, de la même manière, qu’en cas de condamnation pour une infraction de contrefaçon, la juridiction peut ordonner la destruction des objets illicites. (2)

En tout état de cause, les juges ont un pouvoir d’appréciation souverain quant à la proportionnalité d’une telle sanction. De ce fait, ils peuvent l’écarter si un autre procédé permet d’arriver aux mêmes fins. Tel a été le cas dans une décision de la Cour de cassation du 24 novembre 2021 portant sur un faux Chagall. Dans cet arrêt, la Cour a estimé que la destruction présentait un caractère « disproportionné » et que la mention « reproduction » suffisait pour faire cesser la contrefaçon pour l’avenir (4).

Lorsqu’une œuvre est considérée comme fausse au sens de la loi Bardoux du 9 février 1895, elle peut être confisquée et ainsi dévolue à l’État. Dans cette situation, l’article L.3211-19 du Code général de la propriété des personnes publiques s’applique et prévoit que les œuvres confisquées peuvent être détruites (3). Le projet de réforme de la loi Bardoux, en cours d’examen, propose, par ailleurs, d’ouvrir la faculté au juge ou à l’auteur de l’œuvre (ou de son ayant droit) de décider de la destruction de l’œuvre frauduleuse.  

B.    La destruction sanctionnée par le droit

L’œuvre d’art, en tant que bien distinct, bénéficie de diverses protections juridiques.

 De façon générale, la destruction d’un bien appartenant à autrui est puni de 2 ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende selon l’article 322-1 du Code pénal (5). Cette sanction est renforcée lorsque le bien en question est un immeuble ou un objet mobilier classé ou inscrit au titre des monument historiques (6).

L’œuvre d’art bénéficie d’une protection renforcée, grâce aux mécanismes du droit d’auteur.  En effet, le droit moral détenu par tout  auteur d’une œuvre de l’esprit originale, comprend le droit au respect de l’intégrité de ladite œuvre. Ce droit implique, par définition, de ne pas détruire l’œuvre. La jurisprudence a admis des exceptions dans des circonstances tout à fait exceptionnelles telles qu’une « destruction imposée par des considération de sécurité, notamment liées à la fréquentation par des enfants en âge scolaire » (CA Aix-en-Provence, pôle 3, ch.1, 8 décembre 2022, RG n°19/11225).  

La légitimité du droit de décider que certaines œuvres pourraient être détruites plutôt que d’autres repose sur l’idée que la loi constitue l’expression souveraine du peuple. Mais, pour certains la destruction d’œuvre d’art est tout aussi légitime lorsqu’elle vise à exprimer une idée, parfois, politique.

II.             L’art comme outil d’expression

L’art, notamment la destruction d’œuvres d’art, a toujours servi de moyen d’expression pour véhiculer des idées politiques ou sociétales.

Les récents conflits armés illustrent ce phénomène. En 2001, les talibans afghans ont détruit les fameux Bouddhas de Bamiyan pour dénoncer l’iconoclasme de ces figures et souligner l’isolement de l’Afghanistan sur la scène internationale. De façon générale, de nombreux sites culturels ont été détruits dans les zones de conflit, notamment en Ukraine, où 343 sites ont été endommagés, voire détruits, depuis le 24 février 2022. En Syrie, au moins 300 sites ont été détruits depuis 2011, dont certains inscrits au Patrimoine mondial de l’humanité (vieilles villes d’Alep, de Bosra, de Damas, etc.).

 Andreï Molodkine, lui, inscrit cette éventuelle destruction dans le cadre d’une performance artistique engagée baptisée « Dead Man’s Switch ». La destruction performative n’est pas nouvelle – comme en témoigne l’autodestruction de La Fille au ballon de Bansky devant la salle de vente de Sotheby’s à Londres ou la performance « Cremation » de John Baldessari, qui a consisté à brûler toutes ses œuvres. L’exercice, par un auteur, de son droit moral pourrait en effet légitimer la destruction de sa propre œuvre. En revanche, lorsque cette même œuvre appartient à un tiers propriétaire, cette destruction nécessiterait  son consentement.  

 L’œuvre d’art utilisée comme un moyen de pression ne concerne pas uniquement des particuliers engagés. Cette question a également été soulevée au début du conflit en Ukraine, lorsque des sanctions contre la Russie remettaient en cause le retour de la Collection Morozov. Cependant, l’importance, en France, du principe de l’inaliénabilité des collections d’art ont conduit au rapatriement de la Collection, à l’exception de deux œuvres appartenant à des oligarques russes visés par le gel de leurs avoirs, ainsi qu’une œuvre appartenant à un musée ukrainien.

Nos recommandations :

  • Vous souhaitez détruire une œuvre d’art contrefaisante : sollicitez une action en justice pour obtenir cette décision, en vous faisant accompagner par un conseil qui vous permettra de justifier qu’il s’agit de la seule solution pour faire cesser la contrefaçon.

  • Vous souhaitez détruire une œuvre d’art dans un but politique : une telle destruction est passible de sanctions pénales et civiles en raison de l’atteinte porté au bien en tant que telle, mais également à l’œuvre d’art au sens du Code de la propriété intellectuelle.

  • Vous êtes auteur d’une œuvre et souhaitez la détruire :

    • Tant que vous êtes propriétaire : vous avez la possibilité de la modifier ou de la détruire.

    • Quand l’œuvre appartient à un tiers : vous avez, en principe, toujours cette faculté, sous réserve en principe de l’autorisation de son propriétaire et en l’indemnisant.

    • En cas de contrefaçon / faux : vous pouvez obtenir la destruction de l’œuvre si et seulement si le juge prononce cette sanction ou que l’État prend cette décision après confiscation de l’œuvre fausse.  

 

(1)  Article L.331-1-4 du Code de la propriété intellectuelle - https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006279275/2024-02-23/

(2)  Article L.335-6 du Code de la propriété intellectuelle - https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006279193

(3)  Article L.3211-19 du Code général de la propriété des personnes publiques - https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006361440/2024-02-23/

(4)  Cass. 1ère civ., 24 novembre 2021, n°19-19.942 - https://www.courdecassation.fr/decision/619de43eb458df69d4022a3a

(5)  Article 322-1 du Code pénal - https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000047053456#:~:text=%2D%20La%20destruction%2C%20la%20dégradation%20ou,résulté%20qu%27un%20dommage%20léger.

(6)  Article 322-3-1 du Code pénal - https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000032860817

 

12.02.2024

Cru juridique : la cession de droits d’auteur à nouveau admise par les juges du fond

Le 11 janvier 2024, la cour d’appel de Bordeaux a rendu une décision portant sur une cession de droits d’auteur entre deux sociétés (1).

L’affaire concerne une société de négoce de spiritueux, qui a collaboré, pendant vingt ans, avec une société de design, responsable de la création de l’univers graphique de certaines bouteilles. Au terme de leur collaboration, la société de design propose une cession en bonne et due forme de ses droits d’auteur, ce que refuse la société de négoce. Malgré cela, la société de négoce continue d’exploiter les créations. Mécontente, la société de design intente une action en justice, alléguant une contrefaçon de ses droits d’auteur par la société de négoce. Cette dernière se défend en arguant que les droits litigieux lui ont été cédés implicitement, contestant ainsi la recevabilité de la demande.  

C’est dans ce contexte que la cour d’appel de Bordeaux a été appelée à se prononcer sur la possibilité de reconnaître une cession implicite de droits patrimoniaux d’auteur.

I. Le raisonnement admettant une cession implicite de droits d’auteur

La cour d’appel revient sur le formalisme de principe d’une cession de droits d’auteur, tel qu’imposé par les articles L.131-2 et L.131-3 du Code de la propriété intellectuelle (ci-après « CPI ») (2).

Conformément à ces textes, toute cession de droits d’auteur doit être formalisée par un contrat écrit qui précise chacun des droits cédés par une mention distincte, et délimite leur domaine d’exploitation quant à son étendue, sa destination, son territoire et sa durée. La position de la jurisprudence était jusqu’alors d’exclure toute possibilité de cession implicite de droits d’auteur (3).

En l’espèce, la cour d’appel écarte cette solution constante dans le cadre d’une relation entre deux sociétés commerciales.

 En ce qui concerne l’article L.131-2 du CPI, la cour d’appel affirme que l’exigence d’un écrit en matière de cession de droits d’auteur cède face au principe de liberté de la preuve entre commerçants. Quant à l’article L.131-3 du CPI, elle soutient que les dispositions relatives à la preuve des contrats d’exploitation des droits patrimoniaux de l’auteur s’appliquent exclusivement aux rapports qu’entretiennent l’auteur et son cocontractant, et sont donc inapplicables à un litige opposant deux commerçants dont l’un se prétend cessionnaire. Dans une décision du 13 octobre 1993, la Cour de cassation avait déjà circonscrit le champ d’application de l’article L.131-3 du Code de la propriété intellectuelle en écartant les relations entre les cessionnaires des droits et des sous-exploitants (4).

La cour d’appel reconnaît donc la cession implicite en se basant sur plusieurs éléments :

  • Les créations sont nées à la suite d’une commande destinée à une production industrielle et une commercialisation dans le monde entier, impliquant inévitablement leur reproduction ;

  • En sa qualité de professionnel, la société créatrice ne pouvait ignorer que les éléments créatifs seraient diffusés et reproduits, ce qui a d’ailleurs été le cas tout au long de leur longue collaboration, sans contestation ;

  • Les devis de la société créatrice comportaient une clause suggérant que le paiement du prix opérait une cession de droit.

Ainsi, les juges font preuve d’une grande souplesse en matière de moyens de preuve quant à la cession consentie, dans un litige opposant deux commerçants. Néanmoins, il est essentiel de souligner que la cession implicite ne peut être dès lors considérée comme automatique : la reconnaissance de la cession dans cette affaire est conditionnée par l’appréciation d’un faisceau d’indices important et étudié en détail par la cour d’appel.  

II. Les conséquences d’une cession implicite de droits d’auteur

La reconnaissance par la cour d’appel de Bordeaux de la cession implicite de droits d’auteur a des conséquences importantes.

Premièrement, elle empêche la société créatrice d’agir en contrefaçon : elle ne peut pas agir en justice contre l’exploitation de droits qui ne lui appartiennent plus, dès lors qu’ils ont été, « implicitement » cédés à la société les exploitant.

Il convient de tirer tous les enseignements d’une telle décision. Pour rappel, du fait même de la création, l’auteur d’une œuvre originale dispose sur cette dernière de droits d’auteur comprenant des prérogatives morales et patrimoniales. Ce sont uniquement ces droits patrimoniaux qui peuvent être cédés. En l’absence de cession de droit (ou dans le cas où l’exploitation dépasse le cadre de la cession prévue), le titulaire des droits d’auteur peut interdire ladite exploitation sans autorisation, en agissant, notamment, en contrefaçon. Néanmoins, compte tenu de cette décision il apparaît que l’absence de contrat ne justifie plus l’absence de cession, du moins entre deux commerçants et lorsqu’un faisceau d’indices laisse entendre une intention commune des parties de conclure une cession.

Il est donc essentiel de formaliser de façon claire et précise toute exploitation d’une création protégée par le droit d’auteur. La jurisprudence semble aller dans le sens d’un assouplissement des conditions formelles de la cession de droits d’auteurs, ouvrant ainsi la possibilité d’étendre la reconnaissance de cessions implicites.

Cependant, il convient également de nuancer ce propos. La décision de la cour d’appel de Bordeaux n’a pas été confirmée par la Cour de cassation et doit donc être appréhendée avec prudence. Le délai pour former un pourvoi de cassation n’étant pas encore écoulée, cette décision n’est pas définitive (2 mois à compter de la décision d’appel). De plus,  cette décision est justifiée par les différents éléments de la  relation entre deux commerçants. En dehors, de cette situation il est difficilement admissible qu’une telle conclusion soit tirée par les juges.

Nos recommandations :

Vous êtes une société commerciale souhaitant exploiter une création : avant de commencer l’exploitation, assurez-vous de conclure un contrat de cession de droits en bonne et due forme (il peut s’agir d’un contrat de commande, ou de prestation de service, incluant une cession de droits précise). Ce contrat doit obéir au formalisme imposé par les dispositions du Code de la propriété intellectuelle. L’exploitation de la création doit se limiter aux modalités contractuelles.  

Vous êtes à l’origine de la création d’une œuvre originale et commerçant : avant de délivrer votre création, assurez-vous de conclure un contrat de cession de droits en bonne et due forme en circonscrivant, autant que possible, les modalités de la cession. Examinez attentivement chacune des clauses de cession ainsi que les contreparties qui vont sont accordées.

(1)  Cour d’appel de Bordeaux, 11 janvier 2024, n°23/02805

(2)  Articles L.131-2 et L.131-3 du Code de la propriété intellectuelle

(3)  Cass. 1ère civ., 28 novembre 2000, n°97-20.653 ; Cass. 1ère civ., 13 novembre 2014, n°13-22.401

(4)  Cass., 1ère civ., 13 octobre 1993, 91-11.241

02.01.2024Installation de La Verticale de Jacques Zwobada dans un parc des Hauts-de-Seine : la protection des œuvres d’art en plein air

Le 12 décembre 2023, dans le parc André Malraux à Nanterre, a été officiellement inaugurée une réplique de la sculpture monumentale intitulée La Verticale de Jacques Zwobada, mesurant 10 mètres de haut et pesant 6,5 tonnes. L’œuvre originale, conçue en 1955, est conservée au Centre Georges-Pompidou à Paris. La réplique en bronze a été réalisée par la Fonderie de Coubertin sous le contrôle de la fille de l’artiste. En février 2020, cette dernière avait cédé au département des Hauts-de-Seine, commanditaire de la réplique, les droits patrimoniaux portant sur l’œuvre. (1)

La Verticale rejoint ainsi la collection d’œuvres monumentales en plein air implantées par le département des Hauts-de-Seine sur son territoire, afin de rendre ces œuvres d’art accessibles au plus grand nombre. Cette volonté d’accessibilité, conduisant les pouvoirs publics à installer des œuvres en plein air, se trouve confrontée à l’impératif de les protéger, alors qu’elles sont exposées à des risques bien plus importants que lorsqu’elles sont conservées en intérieur.

1.Les obligations du département des Hauts-de-Seine

La Verticale a été commandée par le département des Hauts-de-Seine, qui en est donc devenu propriétaire. En cette qualité, il lui incombe des obligations de conservation préventive et le cas échéant, de restauration de l’œuvre au risque de porter atteinte au droit moral de l’artiste.

L’obligation d’entretenir l’œuvre dans son état initial s’impose aux personnes publiques. L’entretien de l’œuvre ne peut toutefois porter atteinte au droit moral de l’artiste ; elles ne peuvent donc apporter des modifications à l’œuvre que si celles-ci sont « rendues strictement indispensables par des impératifs esthétiques, techniques ou de sécurités publiques, légitimés par les nécessités du service public et notamment la destination de l’œuvre ou de l’édifice ou son adaptation à des besoins nouveaux ». (3)

Ainsi, la personne publique propriétaire du support matériel et, parfois titulaire des droits patrimoniaux de l’artiste lorsque ceux-ci lui ont été cédés, est tenu au strict respect du droit moral de l’artiste portant sur l’œuvre. À défaut le titulaire dudit droit pourra engager sa responsabilité, sur le fondement de la contrefaçon.

Si la fille de Jacques Zwobada, son ayant droit, a d’ores et déjà cédé les droits patrimoniaux de son père dont elle était titulaire et portant sur l’œuvre, elle reste toutefois titulaire du droit moral, incessible par nature (sauf à cause de mort).

Le département doit donc prendre en considération ce droit moral pour organiser l’entretien de l’œuvre qui, en étant installée dans l’espace public, subit nécessairement davantage de dégradations.

Selon M. Josse, commissaire du gouvernement, dans ses conclusions portant sur l’affaire Sudre (arrêt rendu par le Conseil d’État, le 3 avril 1936, dans lequel la responsabilité d’une commune avait été engagée pour avoir laissé une fontaine se dégrader sans avoir sérieusement envisagé de la restaurer) : « Lorsque c’est une collectivité publique qui achète une œuvre d’art, elle doit, bien plus qu’un particulier, veiller à ce qu’aucune atteinte ne soit portée aux droits de l’auteur. La collectivité n’est en quelque sorte, que la gardienne de l’œuvre d’art dans l’intérêt général. Elle ne peut en modifier l’expression sans violer, à la fois, les droits de l’auteur et ceux du public ». (2)

Ainsi, si le département doit faire en sorte de respecter l’intégrité de l’œuvre de Jacques Zwobada, lors de son entretien, et éventuellement de ses restaurations, l’ayant droit de l’artiste ne pourra pas prétendre à un droit à une intangibilité absolue de l’œuvre. (4)

2.La souscription complexe d’une assurance pour une œuvre en plein air

En principe, la conclusion d’un contrat d’assurance pour la protection d’une œuvre d’art par un département ne revêt pas de caractère obligatoire. En effet, chaque département conserve la liberté de décider d’assurer ou non ses biens, conformément au principe de libre administration des collectivités territoriales. (5)

Toutefois, en ce qui concerne les œuvres d’art exposées en plein air, il apparaît judicieux que les collectivités optent pour la souscription d’une assurance, afin de prévenir les risques de détérioration et par là-même une atteinte à l’intégrité de l’œuvre, et donc au respect du droit moral de l’artiste.

L’assurance des objets d’art concerne une part très réduite du marché de l’assurance. Elle a vocation à couvrir tous les dommages qui peuvent arriver à un objet d’art. La nature des œuvres peut influer sur le sinistre, tout comme leur environnement. (6)

Concernant une sculpture en bronze placée en extérieur, le premier risque réside dans son exposition à l’environnement, en particulier en raison du phénomène de corrosion qui s’accélère en extérieur. Le second risque est celui dû à son accessibilité au public, pouvant entraîner des dégradations dues au contact accidentel ou à des actes volontaires, les actes de vandalisme étant nombreux.

Pour assurer une œuvre d’art, il est nécessaire de prendre en compte toutes les composantes de l’œuvre elle-même mais également sa présentation, sa situation et son interactivité avec son environnement naturel et humain. En cas d’exposition en plein air, il convient alors de prendre en compte de nombreux risques supplémentaires, qui peuvent être exclus de certaines polices d’assurance : les dommages causés par les intempéries ; les dommages esthétiques comme les rayures, écaillures et graffitis ; les actes de vandalismes ; les dommages causés par ou résultant des animaux…

En tout état de cause, dès lors que ces risques sont plus importants dans le cas d’espèce, les primes que le département devra verser seront plus importantes.

Nos recommandations :

Vous êtes artiste, votre œuvre exposée en plein air est dégradée :

  • Vérifiez que les précautions nécessaires sont prises par l’exposant (conservation générale, restauration dans le respect des droits moraux, sécurité autour de l’œuvre, etc.) ;

  • Exigez contractuellement (dans le contrat de commande) la prise en charge par ce dernier des conséquences dommageables qui pourraient être causées à l’œuvre, ainsi que la souscription à une police d’assurance adaptée ;

Vous êtes une collectivité territoriale, vous souhaitez exposer une œuvre en plein air :

  • Conservez les preuves des précautions prises pour conserver l’œuvre, et/ou la restaurer / assurer la sécurité ;

  • Anticipez les risques d’une telle exposition en souscrivant une police d’assurance adaptée.

  • Dans le cas où un dommage est effectivement causé à l’œuvre, consultez les modalités de votre police d’assurance, afin de l’activer en faisant les déclarations pertinentes et utiles à la prise en charge du dommage et, en cas de différend, faites-vous accompagner par un conseil juridique pour appréhender les mesures à engager.

(1) Dossier de presse, département des Hauts-de-Seine, décembre 2023
(2) Le droit au respect de l’œuvre réalisée dans le cadre d’une commande publique, Jean-David Dreyfus, Professeur à l’université de Reims Champagne-Ardennes, AJDA 2006.2189
(3) CA Lyon, 20 juillet 2006, n° 02LY02163 (dans cette affaire, une commune proche de Lyon a été condamnée à dédommager un artiste dont l’œuvre, exposée en plein air, a subi des dommages portant atteinte à ses droits moraux).
(4) CE, 14 juin 1999, 181023
(5) Article L.1111-1 du Code général des collectivités territoriales
(6) L’art d’assurer les expositions temporaires, Sybille Vié, « L’argus de l’assurance », n° 7829, 20 octobre 2023

21.12.2023

La Reine des Neiges à la Comédie française : focus sur le droit d’adaptation

En 1844, Hans Christian Andersen, auteur danois, publie La Reine des Neiges. En 2013, les studios Disney font paraître le film La Reine des Neiges. En 2023, pour la deuxième année consécutive, la Comédie française adapte sur scène La Reine des Neiges.

L’adaptation de ce conte au cinéma et au théâtre conduit à s’interroger sur la protection accordée par le droit plus précisément par le droit d’auteur, à ces œuvres.

À titre liminaire, il convient de rappeler que tout auteur d’une œuvre de l’esprit dispose, sur cette dernière, de droits patrimoniaux et de droits moraux en application de l’article L.111-1 du Code la propriété intellectuelle (1) :

  • Le droit moral comprend 4 prérogatives attachées à l’auteur de l’œuvre : le droit à la paternité, le droit au respect de l’intégrité de son œuvre, le droit de divulgation et le droit de repentir ou de retrait. Ces droits sont perpétuels, inaliénables et imprescriptibles (2) ;

  • Les droits patrimoniaux permettent à l’auteur d’exploiter son œuvre et d’en tirer un profit. Ainsi, l’auteur jouit des droits de représentation et de reproduction, mais également de droits dérivés tels que le droit d’adaptation (3). Ces droits sont cessibles (4).

Contrairement aux droits moraux, ils sont limités dans le temps et s’éteignent, en principe, 70 ans à compter de l’année civile suivant le décès de l’auteur (5). À la fin de cette période, les œuvres tombent dans le domaine public et peuvent ainsi être librement utilisées, ou presque : il faut toujours respecter les droits moraux de l’auteur !

Concernant le conte d’Andersen, si les droits moraux désormais détenus par les ayants-droits de l’auteur perdurent, les droits patrimoniaux ont expiré. Les contes, et notamment La Reine des Neiges, peuvent désormais être utilisés comme sources d’inspiration ou être repris comme l’ont fait Disney et la Comédie Française.

1. L’adaptation de La Reine des Neiges au théâtre

a. L’œuvre d’Andersen est tombée dans le domaine public

Lorsqu’une œuvre tombe dans le domaine public chacun peut l’adapter librement sans avoir à demander d’autorisation préalable de l’auteur.

Néanmoins, les droits moraux perdurent. Ainsi, toute adaptation doit respecter la paternité de l’auteur et l’intégrité de l’œuvre originale. La mention du nom de l’auteur doit être systématique. Cette obligation peut prendre différentes formes : ainsi sur l’affiche de la Comédie Française, on peut lire « d’après Hans Christian Andersen » (6).

Dès lors, qui peut agir lorsque l’adaptation d’une œuvre originale ne respecte pas le droit moral ?

L’auteur étant mort, il convient de déterminer qui peut faire respecter son droit moral. Après la mort de l’auteur, conformément aux articles L.121-1 et L.121-2 du Code de la propriété intellectuelle le droit moral se transmet par succession : le droit d’agir en justice en cas d’atteinte au droit moral de l’auteur est donc transmis à ses héritiers (7).

Au-delà de ses héritiers, en principe, tout intéressé peut agir s’il a intérêt ou capacité à agir. Conformément à l’article L.331-1 du Code de la propriété intellectuelle, les organismes de défense professionnelle régulièrement constitués ont qualité pour ester en justice pour la défense des intérêts dont ils ont statutairement la charge (8).

Pourtant, dans une décision du 6 décembre 1966, la Cour de cassation rejette la qualité à agir de la Société des gens de lettres, qui souhaitait défendre le droit moral d’un artiste dont l’œuvre était tombée dans le domaine public (9).

b. Les droits de l’auteur de l’adaptation : l’exemple de la metteuse en scène de la Comédie française, Johanna Boyé

Sous réserve d’avoir obtenu l’autorisation de l’auteur de l’œuvre adaptée, une adaptation peut elle-même être protégée par le droit d’auteur à condition de satisfaire aux critères classiques de protection en étant formalisée et originale. L’adaptation peut ainsi être qualifiée d’œuvre composite, définie par l’article L.113-2 du Code de la propriété intellectuelle comme une œuvre à laquelle une œuvre préexistante est incorporée sans collaboration de l’auteur de cette dernière. Il est important de noter que la protection accordée aux auteurs d’adaptations ne porte pas atteinte aux droits octroyés à l’auteur de l’œuvre originale, les adaptations successives devant respecter tant l’œuvre originale, que les adaptations qui les précèdent.

En ce qui concerne l’adaptation au théâtre d’un conte, l’article L.112-2 du Code de la propriété intellectuelle, qui propose une liste non exhaustive des œuvres pouvant être protégées, ne fait pas explicitement référence à la mise en scène (10). Cependant, la jurisprudence reconnaît la possibilité de protéger une mise en scène dès lors qu’elle est originale et formalisée (11).

Ainsi, si la metteuse en scène de La Reine des Neiges à la Comédie française, Johanna Boyé, reprend les textes d’Andersen, sa mise en scène peut être protégée à part entière par le droit d’auteur , dès lors qu’elle a pris des décisions créatives et arbitraires, et que cette mise en scène porte l’empreinte de sa personnalité.

Le lien entre le droit d’auteur du metteur en scène et le droit moral de l’auteur de l’œuvre originale a d’ailleurs été mis en avant dans le fameux arrêt de la Cour de cassation du 22 juin 2017 portant sur le Dialogue des Carmélites de Francis Poulenc : « une mise en scène qui constitue une œuvre composite par l’adaptation qu’elle crée sur scène d’une œuvre première implique qu’une certaine liberté soit reconnue au metteur en scène » (12).

2. La protection du titre « La Reine des neiges »

Les titres d’œuvres (quelles qu’elles soient) peuvent être protégés (i) par le droit d’auteur s’ils présentent un caractère original (13) et/ou (ii) par le droit des marques, si les conditions pour en bénéficier sont réunies.

a. La protection du titre par le droit d’auteur

Dans le cas présent, le titre du conte d’Andersen est La Reine des Neiges, en français, le titre original danois est Snedronningen. Le titre de la pièce de théâtre est La Reine des Neiges, l’histoire oubliée de Key et Gerda tandis que le titre du film Disney est La Reine des Neiges et Frozen dans sa traduction anglaise.

L’originalité d’un titre, condition de sa protection par le droit d’auteur, peut résulter d’une combinaison de mots inédits (à l’instar de Le Père noël est une ordure) ou de l’utilisation de termes non descriptifs et non génériques. Jusqu’à présent l’originalité du titre du conte La Reine des Neiges n’a pas été contestée. L’on peut d’ailleurs s’interroger sur la manière dont les juges du fond pourraient apprécier l’empreinte créatrice de l’auteur danois, ainsi que celle du traducteur français d’un titre littéralement traduit. Néanmoins, si le titre est considéré comme original, le droit d’auteur reviendra aux ayants droit
d’Andersen pour sa version originale danoise tandis que pour la version française il appartiendra à son traducteur, mais sur son apport créatif seulement.

b. La protection du titre par le droit des marques

Il est possible de déposer un titre en tant que marque, laquelle ne doit pas porter pas atteinte à un droit d’auteur antérieur (14). En effet, pour être enregistrée une marque doit être distinctive, licite, non déceptive et disponible. L’enregistrement s’effectue à la suite d’un examen mené par l’organisme auprès duquel la marque est déposée en vue de sa publication pour que chacun puisse émettre des observations sur celle-ci. Les marques sont protégées pour une durée initiale de 10 ans, à compter de leur enregistrement, avec la possibilité d’être renouvelée indéfiniment, contrairement à la protection d’une œuvre de l’esprit. Le titulaire du droit peut ainsi user de façon exclusive de ce titre pour les produits et/ou services spécifiés lors de l’enregistrement.

Disney, ayant déposé les marques Frozen et La Reine des Neiges dans le monde entier peut ainsi faire opposition à toute utilisation par des tiers pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux pour lesquels ces marques sont enregistrées (comme la classe 9 de la classification de Nice comprenant les équipements audiovisuels et de technologies de l’information ; la classe 25 comprenant les vêtements ; la classe 28 comprenant les jouets ; la classe 41 comprenant les services d’éducation ou de formation, etc.) (15).

Par conséquent, Disney détient désormais un droit exclusif d’utilisation de sa marque La Reine des Neiges, inspirée de l’imagination de Hans Christian Andersen. Toutefois, l’utilisation de ce titre à des fins autres que celles définies lors de l’enregistrement est, en théorie, autorisée : il ne devrait donc pas en principe y avoir de risque pour la Comédie Française à utiliser ce titre.

Nos recommandations :

Vous voulez adapter une œuvre littéraire au cinéma ou au théâtre : vérifier que l’œuvre littéraire est tombée dans le domaine public. Si elle n’est pas dans le domaine public, veillez à conclure un contrat avec l’auteur ou le titulaire du droit d’adaptation. Qu’elle soit dans le domaine public ou non, veillez toujours à respecter les droits moraux de l’auteur en citant son nom notamment.

Vous êtes sollicité pour une adaptation de votre œuvre: veillez à conclure un contrat, en songeant à encadrer l’autorisation que vous octroyez au titre de votre droit d’adaptation (durée, territoire, contrepartie financière, droit de regard sur l’adaptation, etc.).

Vous voulez protéger le titre de votre œuvre : si le titre est original, il bénéficiera de la protection par le droit d’auteur sans qu’aucun dépôt ne soit nécessaire. Toutefois, dans une logique de conservation de preuve de l’antériorité des droits et de paternité sur le titre, il peut être pertinent de réaliser un dépôt (enveloppe Soleau, ancrage dans la blockchain, etc). Si le titre est utilisé à titre de marque, il peut être pertinent de le déposer auprès de l’INPI, de l’EUIPO ou de l’OMPI pour faire naître des droits de marque opposables à tous.




(1) Article L.111-1 du Code de la propriété intellectuelle
(2) Articles L.121-1 et L.121-2 du Code de la propriété intellectuelle
(3) Article L.122-1 du Code de la propriété intellectuelle
(4) Article L.122-7 du Code de la propriété intellectuelle
(5) Articles L.123-1 à L.123-3 du Code la propriété intellectuelle
(6) Extrait du site Internet de la Comédie Française
(7) Articles L.121-1 et L.121-2 du Code de la propriété intellectuelle
(8) L. 333-1 du Code de la propriété intellectuelle
(9) Civ. 1, 6 décembre 1966
(10) Article L.112-2 du Code de la propriété intellectuelle
(11) CA Paris, 23 novembre 2022 n° 21/03860 : « La cour rappelle que seule est éligible а la protection par le droit d’auteur, non pas l’idée qui est de libre parcours, mais la mise en forme de l’idée en une création perceptible, dotée d’une physionomie propre portant l’empreinte de la personnalité de son auteur. »
(12) Civ. 1, 22 juin 2017, n°15-26.467, 16-11.759 -
(13) Article L.112-4 du Code de la propriété intellectuelle
(14) Article L.711-3 du Code de la propriété intellectuelle
(15) Site de l’OMPI, protection de la marque « La Reine des neiges » et « Frozen » par Disney

11.12.2023Le lancement de la campagne « Tous Mécènes ! » du *Panier de fraises* de Jean Siméon Chardin : le mécénat en France.

La Panier de fraises de Jean Siméon Chardin est l’une des dernières natures mortes de l’artiste. Classé « Trésor national », ce tableau pourrait quitter la France s’il n’entre pas dans les collections nationales. Ainsi, le musée du Louvre a lancé la campagne « Tous Mécènes ! » pour financer l’acquisition de cette œuvre d’une valeur de 24 380 000 euros. La contribution de LVMH Moët Hennessy – Louis Vuitton et la Société des Amis du Louvre a déjà permis de rassembler 23 080 000 euros. En 2018, le musée du Louvre a lancé, pour la première fois, une campagne visant à obtenir des soutiens financiers pour de nouvelles acquisitions ou la restauration d’œuvres. En diversifiant ses sources de financement par des campagnes participatives, le musée souhaite garantir la préservation et la mise en valeur du patrimoine culturel exceptionnel qu’il abrite, en sollicitant la contribution d’entreprises et de particuliers.

L’arrêté du 6 janvier 1989 définit le mécénat comme « le soutien matériel apporté, sans contrepartie directe de la part du bénéficiaire, à une œuvre ou à une personne pour l’exercice d’activités présentant un intérêt général »(1). Mécanisme qui permet de soutenir un projet et de contribuer au développement ou à la préservation du patrimoine, le mécénat est juridiquement encouragé depuis la loi « Aillagon » du 1er août 2003. Être mécène offre également la possibilité de bénéficier de certains avantages si les dons sont destinés à des organismes participant à la satisfaction de l’intérêt général.

I. Le mécénat permet de bénéficier d’avantages pour les donateurs

1. Les avantages fiscaux

  • Pour les entreprises :

    Les avantages fiscaux sont définis par l’article 238 bis du Code général des impôts(2). Le mécénat d’entreprise permet de bénéficier d’une réduction d’impôt pour les entreprises soumises à l’Impôt sur le Revenu ou à l’Impôt sur les Sociétés de 60% de la valeur des dons s’ils sont inférieurs ou égaux à 2 millions d’euros et de 40% pour les dons supérieurs à cette somme. Néanmoins, la réduction d’impôt ne peut pas être supérieure à 20 000€ ou à 0,5% du chiffre d’affaires lorsque ce montant est plus élevé. Le surplus peut être échelonné sur cinq ans suivant le don. Les dons des entreprises peuvent être fait en numéraire ou en nature. Concernant les dons en nature, il peut notamment s’agir de mécénat de compétence, auquel cas il est alors nécessaire de procéder à leur valorisation. Par exemple, cette année, LVMH a consenti un don en nature au musée d’Orsay d’une valeur de 43 millions d’euros en offrant au musée L’homme à la barque de Gustave Caillebotte.

    Ainsi, une entreprise mécène doit déterminer la formule qui lui convient le plus. Par exemple, le groupe LVMH Moët Hennessy – Louis Vuitton dont le chiffre d’affaires en 2022 est de 79,2 milliards d’euros et pour le premier semestre 2023 est de 42,2 milliards d’euros, bénéficiera logiquement du plafond de 0,5% de son chiffre d’affaires(3)!

    Depuis la loi du 24 août 2021, afin d’éviter toute suspicion de fraude fiscale, les entreprises mécènes sont tenues de respecter certaines obligations déclaratives auprès de l’administration fiscale. Elles doivent notamment spécifier la destination de leur mécénat, le montant attribué, ainsi que les contreparties accordées par l’organisme bénéficiaire. Ce mécanisme déclaratif, désormais étendu aux entreprises, existait déjà pour les particuliers(4).
    Il convient également de savoir quelle structure philanthropique sera la plus appropriée à la situation de l’organisme : une fondation reconnue d’utilité publique, une fondation d’entreprise, une fondation abritée ou un fonds de dotation. Par exemple, BNP Paribas s’engage dans des actions de mécénat par le biais de sa fondation abritée, la personnalité morale étant celle de Fondation de France.

  • Pour les particuliers :

    Les avantages fiscaux du mécénat sont définis par l’article 200 du Code général des impôts(5). La réduction de l’Impôt sur le Revenu est de 66% du don consenti dans la limite annuelle des 20% du revenu imposable du donateur. Concernant, les particuliers soumis à l’impôt sur la Fortune Immobilière la réduction possible est de 75% du montant du don avec un plafond de 50 000€ conformément à l’article 978 du Code général des impôts(6). En cas de surplus, cette réduction pourra être imputée sur les cinq années suivant le don. Pour bénéficier de cette réduction, le particulier doit pouvoir présenter à l’administration fiscale un reçu fiscal selon un modèle établi par la loi. Certains grands donateurs privés dédient leurs donations à un domaine culturel. C’est le cas de Madame Foriel-Destezet, principale donatrice de l’Opéra de Paris et de nombreuses institutions musicales.

2. D’autres avantages : les contreparties en nature

Au-delà de la réduction d’impôt mentionnée ci-avant, le donateur peut bénéficier d’autres avantages qui doivent demeurer dans une disproportion marquée avec le montant du don, au risque, tant pour les particuliers que pour les entreprises, de ne plus pouvoir bénéficier de la réduction fiscale(7).

Plus précisément, pour les entreprises, en l’absence d’une disproportion marquée, l’opération pourra être requalifiée de parrainage ou « sponsoring ». La dépense de sponsoring constituera une charge commerciale, qui sera déductible du résultat de l’entreprise, si elle répond aux conditions de déductibilité générale des charges commerciales ((i) engagée dans l’intérêt de l’entreprise, (ii) entraînant une réduction de son résultat net, comptabilisée dans l’exercice, (iii) justifiée par une facture).

Dans le cadre de la campagne pour le financement du Panier de fraises, le musée du Louvre propose, par exemple, d’offrir des invitations pour découvrir le musée pour les dons de 50€ ou plus ; une visite privée autour de l’œuvre et la carte des Amis du Louvre pendant un an pour les dons de 250€ ou plus ; une soirée privée autour de l’œuvre pour les dons de 500€ ou plus ; une invitation au « Gala des fraises » pour les dons de 1000€ ou plus. Dans tous les cas, les donateurs pourront faire figurer leur nom ou celui d’un proche sur le « mur des donateurs ».

La rédaction d’une convention de mécénat (mais également de partenariat), si elle n’est pas obligatoire, permet d’encadrer la relation entre les parties, donateur, personne physique ou morale, et donataire, et de préciser leurs obligations respectives.

II. Le mécénat permet de financer certaines structures listées aux articles 200 et 238 bis du Code général des impôts

Les articles 200 et 238 bis du Code général des impôts dressent des listes non exhaustives d’organismes pouvant recevoir des dons dans le cadre du mécénat et délivrer des reçus fiscaux, à l’exclusion de tout autre.

Pour savoir si un organisme peut faire l’objet de dons dans le cadre du mécénat, il convient de vérifier (i) le caractère désintéressé des activités, (ii) leur caractère non lucratif et (iii) que le public visé soit « large » c’est-à-dire que l’activité ne doit pas profiter à un cercle restreint de personnes. L’activité doit en outre être d’intérêt général, c’est-à-dire qu’elle peut revêtir un caractère philanthropique, éducatif, scientifique, social, culturel ou concourant à la mise en valeur du patrimoine artistique et à la diffusion de la culture… De ce fait, les musées de France au sens de la Loi du 4 janvier 2002, comme le musée du Louvre, sont des organismes éligibles(8).

Pour s’assurer de leur éligibilité au mécénat et à la délivrance de reçus fiscaux, tout organisme peut demander à l’administration fiscale un « rescrit fiscal » en amont de tout projet, et recevoir une réponse sur sa situation particulière. Le fait pour un organisme reçevant des dons, de délivrer irrégulièrement des reçus fiscaux, peut entraîner une amende de la valeur de la réduction ou du crédit d’impôt.

Nos recommandations :

  • Vous êtes un organisme qui s’interroge sur la possibilité de recevoir des dons dans le cadre de mécénat ou de délivrer des reçus fiscaux : vérifiez au préalable si vous remplissez les critères requis. Si les critères semblent remplis, vous pouvez demander un rescrit fiscal à l’administration fiscale.

  • Vous souhaitez créer une structure philanthropique : il faut choisir la meilleure structure en fonction de vos besoins et de vos capacités d’investissement et de gestion.

  • Vous souhaitez prendre part à un projet de mécénat et soutenir une cause qui vous est chère : en tant qu’entreprise ou particulier, assurez-vous de votre conformité aux exigences fiscales et légales. Les obligations administratives ne doivent pas devenir des freins à vos engagements philanthropiques ! Pour assurer le maintien des avantages fiscaux liés à vos dons, il est conseillé d’être accompagnés lors de la rédaction d’une convention et de vérifier la disproportion entre le dons et les contreparties.

  • Lorsque vous souhaitez participer à un projet d’utilité publique, assurez-vous de participer à un projet qui corresponde à votre philosophique philanthropique et que l’institution de votre choix offre des contreparties adaptées à vos besoins.

Notes :

(1) Arrêté du 6 janvier 1989 relatif à la terminologie économique et financière
(2) Article 238 bis du Code général des impôts
(3) Chiffres clés du groupe LVMH en 2022
(4) De nouvelles obligations déclaratives pour les organismes bénéficiaires de dons
(5) Article 200 du Code général des impôts
(6) Article 978 du Code général des impôts
(7)Le régime fiscal général du mécénat des entreprises
(8) Loi n° 2002-5 du 4 janvier 2002 relative aux musées de France

05.12.2023Foires d’art : lieux de rencontres entre acteurs du marché de l’art / *Épisode 3/3 : les galeries exposantes et les artistes*

Épisode 3/3 : les galeries exposantes et les artistes

Une galerie, qui expose dans le cadre d’une foire, présente les œuvres des artistes qu’elle représente : comment organiser la relation entre l’artiste et la galerie ?

Une telle relation étant traditionnellement basée sur la confiance, il est préférable qu’elle fasse l’objet d’un contrat écrit, qui sera par essence intuitu personae (Atlan, 14 juin 1966).

La galerie a notamment deux choix :

  1. L’achat pour revente : la galerie acquiert des œuvres pour les revendre.

  2. La prise en dépôt avec mandat de vente : la galerie reçoit en dépôt les œuvres (1915 C.civ.) et est mandatée (1984 C.Civ.) par l’artiste pour promouvoir, diffuser et vendre ses œuvres.

Si ce système présente l’avantage de laisser l’artiste propriétaire des œuvres mises en dépôt jusqu’à leur vente par la galerie à un client, cela permet aussi d’alléger la charge financière de la galerie dès lors qu’elle n’est pas tenue de payer le prix des œuvres avant de les avoir vendues.

Il ne s’agit en aucun cas d’une cession de droits d’auteur mais d’une cession temporaire des droits patrimoniaux (droits de représentation et de reproduction).
Par ailleurs, le droit moral demeure, comme l’a soulevé la Cour d’appel de Paris dans un arrêt rendu le 15 novembre 1966. En l’espèce, la galerie avait tenté de contraindre l’artiste à utiliser un pseudonyme et se réservait le droit de détruire les œuvres qu’elle ne sélectionnait pas, violant ainsi le droit au nom ainsi que le droit au respect de l’œuvre.

Recommandations : établir un constat d’état, qui pourra s’avérer utile en cas de litige.

Quelles questions se poser lors de la conclusion du contrat ?

Le prix de vente de l’œuvre :

Il est généralement fixé en concertation entre la galerie et l’artiste sur la base d’un faisceau d’indices :

  • le marché (cote de l’artiste, demande des collectionneurs) ;

  • l’artiste (son parcours, historique de ses expositions et ventes précédentes) ;

  • l’œuvre en elle-même (format, médium, temps nécessaire pour sa réalisation, qualité visuelle, conservation de l’œuvre).

L’achat d’une œuvre d’art est soumis à la TVA, dont le taux normal est de 20 % mais peut être abaissé à 5,5 % dans certaines situations telles que l’acquisition de l’œuvre directement auprès de l’artiste ou de ses ayants droit.

La clé de répartition de vente :

  • En cas de dépôt avec mandat de vente : les galeries perçoivent une commission de vente (entre 30 et 70%)

  • En cas d’achat pour revente : la rémunération de la galerie est la marge bénéficiaire sur la revente.

La question de l’exclusivité :

une garantie pour la galerie contre la concurrence
En effet, une telle concurrence peut venir d’une autre galerie mais également de l’artiste lui-même qui ferait des ventes parallèles à celles de la galerie (ventes à l’atelier). La galerie aura alors deux possibilités :

  • l’exclusivité : il conviendrait que l’artiste soit particulièrement vigilant quant à l’étendue territoriale de cette exclusivité

  • le droit de première vue : l’artiste s’engage à présenter toutes ses oeuvres nouvelles en priorité à la galerie (une forme de pacte de préférence)

L’assurance :

Elle est en principe souscrite par la galerie, à l’instar des frais de restauration et de gardiennage.

Bien confiés à des tiers professionnels (restaurateurs, experts, encadreurs), foires et salons, expositions sont autant de facteurs de risques auxquels une œuvre d’art est susceptible d’être exposée.

➔ La garantie “clou à clou”, très répandue dans le marché de l’art, couvre le transport et le séjour de l’œuvre. Elle joue ainsi durant toutes les étapes de l’exposition : décrochage, emballage, transport, accrochage, exposition, retour. Il n’y a donc aucune rupture de garantie. Peuvent être précisés des éléments comme la territorialité des transports, le mode de transport (par l’assuré, ou par un tiers comme une entreprise type UPS/Fedex ou un professionnel spécialisé) ou encore la limite des capitaux transportables.

En cas de sinistre, l’assureur rembourse sur la base de la valeur figurant sur le contrat. L’œuvre d’art peut alors être assurée en valeur déclarée ou en valeur agréée (estimation par un expert) : l’assuré devra veiller à réviser régulièrement les estimations, le marché de l’art étant fluctuant.
Attention : l’omission ou la déclaration inexacte intentionnelle (mauvaise foi) de la part de l’assuré peut entraîner la nullité de l’assurance (L. 113-8 C.assur.).

26.04.2024

La mort d’un artiste n’est pas la mort de son Œuvre : l’exemple de la défense des intérêts de Pierre Paulin

Le 14 mars 2024, le tribunal judiciaire de Paris a rendu une décision relative à une action en contrefaçon de droits d’auteur concernant des meubles créés par le designer français, Pierre Paulin (1).

 À son décès, Pierre Paulin avait institué son épouse comme légataire universelle de l’entière propriété de ses droits patrimoniaux et moraux portant sur ses créations.

Dans cette décision, une société française (la société B), bénéficiant d’une licence exclusive d’exploitation des meubles de Pierre Paulin accordée par la légataire universelle, a constaté qu’une société américaine (la société The Frankie Shop) proposait des meubles similaires à ses modèles, y compris sur le marché français. Par la suite, la société B et la veuve de l’artiste ont intenté une action en contrefaçon de droits d’auteur et en réparation de leur préjudice à l’encontre du gérant de The Frankie Shop. Le tribunal judiciaire de Paris a décidé que les meubles que cette dernière commercialisait étaient effectivement contrefaisants après une analyse détaillée des ressemblances entre les meubles des deux sociétés. Sur la question de la contrefaçon de droits d’auteur, le raisonnement du tribunal est classique : il rappelle que la contrefaçon s’apprécie sur la base des ressemblances et non des différences, mais ne peut être retenue lorsque les similitudes résultent de l’adoption d’un style général et non de la reproduction de caractéristiques spécifiques de l’œuvre originale.

Au-delà de l’appréciation de la contrefaçon, il est important de revenir sur un point évoqué brièvement dans cette décision : la demande incidente formulée par le gérant de The Frankie Shop pour la production de l’acte transactionnel conclu entre les héritiers réservataires et la veuve du de cujus.  

Sur ce point, le tribunal affirme que l’attestation dévolutive signée par le notaire en charge de la succession fait foi jusqu’à inscription de faux, et que l’acte transactionnel confirme le legs universel de l’ensemble de l’œuvre de Pierre Paulin à son épouse en contrepartie du versement d’une indemnité de réduction à ses héritiers réservataires. Ainsi, la production de l’acte transactionnel n’était pas nécessaire pour déterminer l’étendue des droits et donc, la qualité à agir de la veuve de Pierre Paulin, et par extension, ceux de la société à qui la veuve avait accordé une licence exclusive d’exploitation.

Cette décision nous offre l’occasion de revenir sur la succession d’un artiste. Les successions d’artistes sont particulières car les œuvres d’art et les droits qui y sont attachés peuvent constituer la totalité de leur patrimoine.

La dévolution de la succession d’un artiste est régie par les dispositions du Code de la propriété intellectuelle (CPI) et du Code civil, mais peut, comme toute succession, être aménagée en fonction des dispositions volontaires prévues par le défunt.

Il s’agira de revenir sur la dévolution des droits d’auteur de l’artiste (I) puis sur la dévolution des œuvres d’art en tant que meubles corporels (II).

  1. La dévolution des droits d’auteur de l’artiste

L’auteur d’une œuvre d’art originale dispose sur celle-ci de prérogatives morales (A) et de prérogatives patrimoniales (B).

  1. a. La dévolution successorale du droit moral

Le droit moral comprend quatre prérogatives fondamentales : le droit de repentir et de retrait, le droit de divulgation, le droit à la paternité et le droit au respect de l’intégrité de l’œuvre. 

Concernant le droit de repentir et de retrait tel que prévu par l’article L.121-4 du CPI, en principe, ce droit disparaît à la mort de l’artiste (2). Une décision du tribunal civil de la Seine du 10 octobre 1951 et concernant la succession de Pierre Bonnard affirme en ce sens que « le droit de repentir, premier élément du droit moral, est imprescriptible et dépend que de l’inspiration de l’auteur lui-même ; qu’il est par essence attaché à la personne même de l’artiste, disparaît avec lui, et ne peut être exercé par les héritiers que si ces derniers agissent en vertu de la volonté explicitement manifestée par l’auteur avant sa mort, qu’une partie de son œuvre soit détruite ou ne soit pas publiée » (3). Ainsi, si ce droit disparaît, en principe, avec l’artiste, il peut être maintenu grâce à des dispositions spécifiques, testamentaires.

Concernant le droit de divulgation, l’article L.121-2 du CPI prévoit son attribution au décès de l’artiste : il revient en premier lieu à l’exécuteur testamentaire, à défaut ou à son décès, et sauf volonté contraire de l’auteur, ce droit est exercé dans l’ordre suivant par les descendants, le conjoint survivant, les autres héritiers que les descendants ou, en dernier lieu, le légataire universel (4). Dans l’affaire de Pierre Paulin, étant donné que sa veuve est également désignée comme légataire universelle, elle pourrait exercer ce droit en tant que conjointe survivante ou légataire, selon son statut.

Concernant le droit à la paternité et le droit au respect de l’œuvre, il est prévu par l’article L.121-1 du CPI qui prévoit que l’exercice de ces droits est transmissible à cause de mort aux héritiers de l’auteur ou qu’il peut être conféré à un tiers en vertu de dispositions testamentaires (5). La lecture de cet article sans prise en compte de la disposition relative au droit de divulgation a été clarifiée par l’arrêt de la Cour de cassation du 11 janvier 1989, dit affaire Utrillo (6). Ainsi, bien que ces droits suivent une dévolution de droit commun, ils peuvent également être attribués à un tiers par testament :  si l’artiste réalise un legs universel ou particulier de son droit moral, les droits à la paternité et au respect de l’œuvre seront inclus.

L’artiste doit prendre conscience de sa situation familiale et matrimoniale pour envisager ce qui permettra de faire perdure son œuvre au mieux, tout en prenant conscience de l’importance des prérogatives morales qui y sont attachées.

 

  1. b. La dévolution successorale des droits patrimoniaux

 L’article 123-1 du CPI dispose qu’au décès de l’auteur, ce droit (le droit d’exploitation de l’œuvre) persiste au bénéfice de ses ayants droit pendant l’année civile en cours et les 70 années qui suivent (7). Par conséquent, en l’absence de dispositions spécifiques de l’auteur, ce sont ses héritiers légaux qui jouiront de ce droit.

Il existe une disposition particulière en faveur du conjoint survivant. Conformément à l’article L.123-6 du CPI, l’usufruit du droit d’exploitation, dont l’auteur n’aura pas disposé, reviendra à son conjoint (8). Toutefois, en présence d’héritiers réservataires, cet usufruit pourra être réduit. Ainsi, la veuve de Pierre Paulin, aurait bénéficié de l’usufruit du droit d’exploitation en tout état de cause. En l’espèce, elle en bénéficie en tant que légataire universelle, mais comme le précise la décision susmentionnée en contrepartie du versement d’une indemnité de réduction aux héritiers réservataire du défunt.

Il convient de s’intéresser en dernier lieu au droit de suite. Ce droit, prévu par l’article L.122-8 du CPI, consiste en une rémunération accordée au titre du droit d’auteur aux créateurs d’œuvres plastiques et graphiques, pour chaque vente successive à la première, à condition qu’un professionnel du marché de l’art intervienne dans la transaction (9). La transmission de ce droit est prévue par l’article L.123-7 du CPI : en principe, ce droit persiste au bénéfice des héritiers de l’auteur et, pour l’usufruit, du conjoint survivant. Cependant, ce droit peut également être transmis par legs. En l’absence d’héritiers et de legs du droit de suite, ce dernier revient au légataire universel, ou à défaut, au détenteur du droit moral (10).

Néanmoins les différents alinéas de cet article suscitent des interrogations : le legs du droit de suite n’est-il possible qu’en l’absence de descendants ? le droit de suite revient-il au légataire universel ou, à défaut, au détenteur du droit moral en l’absence d’héritier réservataire, de bénéficiaire de legs à titre particulier ou d’héritier dans son sens le plus général ? Pour dissiper toute ambiguïté concernant la volonté de l’artiste, et s’il ne souhaite pas transmettre ce droit à ses descendants ou à son conjoint, il devra explicitement mentionner dans un testament qui sera le titulaire du droit de suite.

 

  1. La dévolution des œuvres de l’artiste

 Les œuvres d’art sont également des biens corporels. En effet, conformément à l’article L.111-3 du CPI, la propriété incorporelle est indépendante de la propriété de l’objet matériel, ce qui signifie que les œuvres en tant que telles relèvent du régime de droit commun des successions et non pas des dispositions spécifiques du CPI (11). De ce fait, si rien n’a été prévu, les règles classiques des successions s’appliqueront et les héritiers auront des droits concurrents sur chaque objet conformément aux règles de l’indivision. Si les héritiers peuvent procéder au partage, ils devront s’entendre sur l’évaluation et l’attribution des œuvres, à défaut ils devront recourir au juge. Ainsi, l’artiste à tout intérêt à anticiper et prévoir la transmission de ses œuvres.

Ces œuvres font partie intégrante de la succession d’un artiste s’il en est toujours le propriétaire, et peuvent s’avérer d’une grande valeur. Pour connaître cette valeur, il est nécessaire de procéder à un inventaire et à une évaluation, en prenant en compte les œuvres dont l’artiste est toujours propriétaire et son fonds d’atelier (les œuvres qui n’ont pas encore été divulguées). Pour évaluer la valeur des œuvres d’art, il est crucial de prendre considération le positionnement sur le marché de l’art de l’artiste. L’estimation de la valeur successorale d’œuvres d’art est faite en valeur vénale. Il convient de noter que le délai fiscal pour déclarer une succession est de 6 mois à compter du décès : il faut s’y préparer à l’avance, de surcroit lorsque le nombre d’œuvres de l’artiste dont il est toujours propriétaire est très important ! (12)

Si l’artiste prévoit la dévolution de ses œuvres par testament, il ne pourra jamais porter atteinte à la réserve héréditaire de ses descendants (13). Par conséquent, si la valeur des œuvres lorsqu’elle est évaluée, dépasse la quotité disponible, une compensation devra être prévue.  

Au-delà de ces mécanismes classiques, l’intérêt de la transmission de la succession d’un artiste est également d’assurer l’accessibilité et de garantir la pérennité et la valorisation de son œuvre. Pour ce faire, l’artiste peut, selon sa situation, mettre en place des mécanismes dépassant les logiques successorales classiques : par exemple en créant une fondation, un fonds de dotation, un comité d’artiste ou en apportant les œuvres à une société civile, ou encore par le biais du mécanisme de la fiducie de son vivant (14). Ainsi, au-delà de la dévolution stricto-sensu il convient de prévoir avec attention les modalités de la gestion de l’Œuvre de l’artiste.

 

Nos recommandations :

 

Vous êtes artiste : si vous voulez assurer la continuité de votre Œuvre et réduire les risques de conflits familiaux, anticipez !

  • Vous devez prendre conscience de votre situation familiale, matrimoniale mais également patrimoniale : vous pouvez dès lors commencer à procéder à l’inventaire et l’évaluation de votre patrimoine et des œuvres dont vous êtes toujours propriétaire, qui pourra naturellement évoluer !

  • Vous pouvez, dès à présent, aménager votre succession en rédigeant un testament qui vous permet d’organiser la transmission de vos œuvres et de vos droits d’auteur en prenant en considération les personnes les plus aptes à les recevoir, tout en prenant conscience des risques attachés disperser ces droits entre plusieurs mains. Évidemment, vos descendants ne pourront jamais être privés de leur réserve héréditaire, vous pouvez ainsi prendre en compte tout votre patrimoine pour envisager les compensations possibles. De plus, pour certaines prérogatives morales (le droit de repentir et de retrait, sauf stipulation contraire), vous êtes tenus de spécifier leur survie postérieurement à votre décès.  

  • Vous pouvez également prévoir la création d’une structure particulière : prévoyez-le en amont et faites-vous accompagnez pour cela.

=> À noter : vous pouvez réaliser, comme Pierre Paulin, un legs universel mais également un legs à titre universel qui vous permettra de désigner un légataire qui recevra la quote-part de vos biens ou encore un legs particulier permettant d’attribuer un bien déterminé.

 

Vous êtes héritier réservataire d’un artiste : vous disposez, peu importe les dispositions testamentaires de votre parent, de droits dans sa succession. En cas d’atteinte à cette réserve, il est possible d’intenter une action en réduction pour atteinte à la réserve héréditaire ce qui vous permettra de demander que les libéralités excessives soient réduites.

 

Sources :

(1) TJ Paris, 3ème ch. 1ère section, 14 mars 2024, n°22/15098

(2) Article L.121-4 du CPI

(3) Tribunal civil de la Seine du 10 octobre 1951

(4) Article L.121-2 du CPI

(5) Article L.121-1 du CPI

(6) Cass. 1ère civ., 11 janvier 1989, n°87-11.878

(7) Article L.123-1 du CPI

(8) Article L.123-6 du CPI

(9) Article L.122-8 du CPI

(10) Article 123-7 du CPI

(11) Article L.111-3 du CPI

(12) https://www.impots.gouv.fr/particulier/declarer-une-succesion

(13) Articles 912 à 917 du Code civil

(14) https://www.gazette-drouot.com/article/transmettre-sa-collection-en-toute-securite/26974 ; https://www.gazette-drouot.com/article/transmettre-sa-collection--aux-generations-futures/8066 ; et également, le guide des succession de l’ADAGP

 

28.11.2023Foires d’art : lieux de rencontres entre les différents acteurs du marché de l’art / *Épisode 2/3 : les galeries exposantes et les collectionneurs *

Épisode 2/3 : Les galeries exposantes et les collectionneurs

Une galerie qui expose dans le cadre d’une foire, présente les œuvres des artistes qu’elle représente à de potentiels acquéreurs collectionneurs, parmi lesquels notamment des personnes physiques agissant à des fins privées, et non professionnelles, autrement qualifiées de consommateurs.

La vente d’une œuvre par une galerie à un consommateur, qu’elle ait lieu au sein de la galerie ou sur son stand lors d’une foire, est régie par les dispositions du Code de la consommation, outre celles du Code civil. Dans ce cadre légal, la mise en place de conditions générales déterminant les modalités de la vente (CGV) par les galeries est obligatoire.

1. Points de vigilance lors de l’acquisition d’une œuvre par un collectionneur consommateur lors d’une foire

(Ces points de vigilance sont également applicables en cas d’acquisition au sein de la galerie directement)

➔ Modalités de paiement :

  • Mode de paiement : Le paiement est généralement effectué par carte ou virement bancaire. En espèces, il est limité à un montant de 1.000 euros ; il peut être relevé à 15.000 euros sous réserve que le domicile fiscal du consommateur soit à l’étranger et qu’il s’agisse d’une dépense personnelle. En toute hypothèse, une facture devra être adressée à l’acquéreur.

  • Echéances et délais : Le paiement est en principe comptant, mais nombre de galeries accepte les paiements en plusieurs fois, selon ce qui est notamment prévu dans les CGV. L’échelonnement du paiement soulève la question du transfert de propriété ; la galerie qui accepterait une telle modalité de paiement, devrait sans doute prévoir une clause de réserve de propriété jusqu’au complet paiement du prix de l’œuvre.

  • Indemnités de retard : Les CGV de la galerie peuvent prévoir des indemnités de retard et des dommages et intérêts pour le préjudice , à défaut de paiement total ou partiel de l’œuvre dans les délais.

➔ Modalités de transfert de propriété : Il est recommandé de prévoir dans les CGV que le transfert de propriété de la galerie au consommateur, ne pourra s’opérer qu’à compter du paiement intégral du prix.

➔ Modalités de transfert de risques : Les risques sont en principe transférés au consommateur au jour du transfert de propriété de l’œuvre de la galerie au consommateur. Les CGV peuvent prévoir un transfert des risques distinct, tel que l’enlèvement de l’œuvre par ses soins ou par celui d’un transporteur à la suite de la foire. Les risques sont alors de la responsabilité du consommateur ; il lui appartient donc de faire assurer l’œuvre acquise.

➔ Modalités de transport et de livraison : La galerie peut décider, à sa convenance, de gérer ou non la livraison et d’en prendre la charge ou non financièrement. Elle peut prévoir dans ses CGV que l’œuvre ne soit livrée ou remise qu’à l’issue de la foire, afin de poursuivre l’exposition de l’œuvre vendue ; la vente sera alors notifiée par la présence d’une pastille à côté de l’œuvre.

➔ Droits d’auteur : L’achat d’une œuvre n’entraîne pas la cession des droits d’auteur au consommateur. Il devient propriétaire de l’œuvre au sens matériel, et peut ainsi uniquement l’utiliser dans un cadre privé, sauf accord exprès contraire de l’auteur. Cela exclut notamment les droits de représentation et de reproduction de l’œuvre acquise.

➔ Traitement des données personnelles par la galerie : En tant que responsable de traitement (la galerie collecte les données personnelles des consommateurs lors de la foire, et après), la galerie doit s’assurer de mettre en place des politiques et procédures suffisamment efficaces pour se conformer aux obligations du RGPD. Le consommateur peut introduire une réclamation auprès de la CNIL s’il estime qu’il y a eu une violation de ses données personnelles (notamment de ses droit d’accès, d’information, de rectification, d’effacement, de portabilité, …).

➔ Lutte contre le blanchiment d’argent : Les galeries sont soumises aux dispositions de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (obligations de vigilance et de déclaration de soupçon), ce qui suppose notamment la vérification du bénéficiaire effectif de l’œuvre acquise, y compris lorsque les ventes ont lieu dans le cadre de foire.

2. Spécificités concernant le droit de rétractation du collectionneur consommateur dans le cadre d’une foire

Le droit de rétractation est la possibilité pour le consommateur dans un délai, de 14 jours, de changer d’avis. Il s’applique aux ventes à distance et hors établissement.

➔ Attention, toutefois, il ne s’applique pas aux foires et salons, sauf si l’achat est financé par crédit.

Dans le cadre d’une foire, la galerie doit alors respecter une double obligation d’information quant à l’absence de délai de rétractation du consommateur dans les foires, sous peine d’une amende administrative pouvant aller jusqu’à 3.000 euros pour les personnes physiques et 15.000 euros pour les personnes morales (L.242-23 du Code de la consommation) :

La phrase “Le consommateur ne bénéficie pas d’un droit de rétractation” doit être :

  • affichée, “de manière visible”, sur un panneau ne pouvant pas être inférieur au format A3 (information précontractuelle) ; et

  • mentionnée, “dans un encadré apparent”, dans l’offre de contrat (information contractuelle).

Affaire à suivre : Deux propositions de loi ont été déposées à l’Assemblée Nationale en juillet 2023 pour élargir le droit de rétractation aux foires et salons (pour les transactions supérieures à 100 €) !

15.11.2023Foires d’art : lieux de rencontres entre les différents acteurs du marché de l’art / *Episode 1/3 : Les foires et les galeries*

Comme chaque année, le mois d’octobre a été marqué par la tenue de nombreuses foires artistiques, telles que Paris + par Art Basel, Asia Now ou encore AKAA pour n’en citer que quelques-unes. Temps fort du marché de l’art, cette période se poursuit en novembre avec d’autres manifestations culturelles comme Paris Photo et FAB Paris.

Ce sera l’occasion pour nous d’aborder, dans une série de trois articles, les relations liant les différents acteurs du marché de l’art. Ainsi, nous évoquerons tout d’abord les galeries et les foires, puis la relation entre l’artiste et la galerie, et enfin celle des galeries avec les collectionneurs.

Episode 1/3 : Les galeries d’art

1. Les conditions à satisfaire par les galeries pour participer aux foires d’art

Bien qu’il faille en principe être une galerie, les foires peuvent ponctuellement ouvrir les candidatures à d’autres structures liées au marché de l’art dont la présence constituerait un enrichissement, sous réserve, notamment, d’une activité constante dans le domaine et d’une reconnaissance sur la scène artistique internationale. Il conviendrait d’évoquer à titre d’exemples les institutions et fondations, les libraires d’art, les organismes de presse ou encore les courtiers en art.

Au regard des informations figurant dans le formulaire de candidature (historique de la galerie, liste des artistes représentés, régularité et qualité des expositions, projet d’exposition proposé), un comité de sélection, composé de directeurs de galeries et de collectionneurs, sélectionne les exposants. L’origine et la qualité des œuvres pourront être vérifiées, par un comité déontologique par exemple.

Si des espaces d’exposition sont encore disponibles après un état des participations, le comité procède à une sélection des exposants mis en attente lors de la première sélection.

Les frais de participation (corrélés au m2), en sus des frais de dossier, prennent la forme de versements dont le défaut sera susceptible d’entraîner la facturation d’une majoration.
Selon un rapport du CPGA (1), la fourchette basse des coûts engagés par une galerie pour participer à une foire en France se situerait, en moyenne, à 15.000 euros. Pour une participation à une foire à l’étranger, les galeries peuvent bénéficier d’aides de financement délivrées par le CNAP (2), à condition de présenter un minimum de 50 % d’artistes français ou résidant en France sur leur stand.

Quoi qu’il en soit, en formulant une demande de participation, l’exposant déclare avoir pris connaissance des Conditions Générales et, surtout, s’engage à en accepter toutes les clauses sans réserve. Les galeries doivent alors être extrêmement vigilantes, dès lors que ces conditions générales, le plus souvent rédigées par les foires, constituent en réalité un contrat d’adhésion qui ne peut donc pas être négocié.

2. Les risques à anticiper par les galeries d’art dans le cadre de leur participation aux foires

Lorsqu’une galerie participe à une foire, les œuvres sont exposées à de nombreux risques : incendie, dégât des eaux et vol bien sûr ; mais aussi problèmes liés au stockage ou au transport (la cause de la plupart des sinistres sur les objets d’art).

Si la foire assure la sécurité, chaque galerie demeure responsable de son stand : la foire est donc exonérée de responsabilité, ce qui suppose une renonciation de l’exposant à tout recours. Dans le cas des foires se tenant au Grand Palais éphémère, les exposants sont d’ailleurs informés en amont des problèmes d’étanchéité susceptibles de se présenter.

Il revient donc à la galerie de prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger les œuvres qu’elle expose. Si la foire ne propose pas d’offre d’assurance, il est conseillé à la galerie d’assurer les œuvres exposées en souscrivant, par exemple, à une garantie “foires et salons”, qui prendra la forme d’une couverture clou à clou (qui ne connaît aucune rupture durant les différentes étapes du transport et du séjour de l’œuvre).

La galerie peut :

  • Inscrire les foires directement au titre du contrat d’assurance (en couvrir un certain nombre par zone géographique ou les indiquer précisément, avec quoi qu’il en soit une transmission ultérieure aux assureurs des informations manquantes (liste des œuvres, nom du transporteur, et le cas échéant noms et dates des foires)) ;

  • Couvrir ponctuellement chaque foire avec un avenant au contrat, ce qui peut être pertinent en l’absence de visibilité mais revient plus cher (surprime).

L’œuvre d’art peut être assurée en valeur déclarée ou en valeur agréée, celle-ci étant souvent privilégiée car la valeur du bien est alors estimée par un expert, ce qui présente l’avantage de faciliter l’indemnisation en cas de sinistre. En toute hypothèse, il conviendrait de réviser régulièrement les estimations, le marché de l’art étant fluctuant.

Que faire en cas d’interruption, report ou annulation résultant d’un cas de force majeure ? Toute modification sera notifiée à la galerie mais ne donnera pas lieu, en revanche, à des dommages-intérêts, d’où l’utilité d’une garantie annulation. Un remboursement peut être accordé uniquement en cas d’annulation.


Notes :
(1) CPGA : Comité Professionnel des Galeries d’Art
(2) CNAP : Centre National des Arts Plastiques

31.10.2023Restitution d'œuvres d’Egon Schiele aux héritiers de l’ancien propriétaire. Le rendu d’une telle décision aurait-il été possible en France ?

Le 20 septembre 2023, le procureur de Manhattan, Alvin Bragg, a annoncé la restitution de sept œuvres de l’artiste Egon Schiele aux héritiers de Fritz Grünbaum, un collectionneur tué à Dachau en 1941. Ce récit n’est pas sans rappeler celui de Maria Altmann qui avait obtenu, en 2006, la restitution d’un portrait peint par Klimt.

Parmi ces œuvres, six seront vendues aux enchères, les 9 et 11 novembre 2023, au sein de la maison de vente Christie’s, à New-York, la septième ayant fait l’objet d’une vente privée. Ces œuvres, des aquarelles et un dessin estimés à 9 millions de dollars, sont issues de trois musées américains (dont le MoMA) et de deux collections privées.

Juridiquement, la restitution se fonde sur la signature d’une procuration au profit du régime nazi, argument qui avait d’ailleurs déjà permis aux héritiers, de se voir restituer deux œuvres en 2018, le juge ayant alors estimé qu’une “signature sous la menace d’une arme à feu” n’avait aucune valeur. Ces restitutions sont, en effet, le fruit d’une bataille judiciaire de plusieurs décennies, dont le succès fut d’abord compromis pour des raisons de délai (2005), pour finalement connaître une première réponse favorable (2018) grâce à la prolongation, par la loi HEAR (1) de 2016, du délai accordé pour réclamer la restitution d’une œuvre, à savoir 6 ans suivant la découverte de la localisation de l’œuvre. Cette loi s’inscrivait ainsi dans le sillage de la Déclaration de Washington (1998) puis de celle de Terezin (2009) signée par 46 pays, dont la France.

Du reste : Comment est traitée, en France, la question de la restitution des biens culturels spoliés (étant entendu comme des biens ayant fait l’objet d’actes de détournement, tels que le pillage ou le vol) ?

En droit positif français, “En fait de meubles, la possession vaut titre” (art. 2276 du Code civil). Au regard de cette disposition, reposant sur la bonne foi, le fait de posséder -de manière effective- un objet constituerait donc un titre de propriété, sous réserve que cette possession ne soit pas viciée : celle-ci doit donc être continue (sans interruption prolongée), paisible (absence de violences), publique (apparente) et non équivoque (sans ambiguïté).
Cette conception, propre aux pays de droit civil, est bien différente de celle adoptée par les pays de droit anglo-saxon qui se fondent, au contraire, sur le principe selon lequel il n’est pas possible de transmettre ce que l’on ne possède pas (nemo dat quod non habet).

  • La France prévoit toutefois, avec l’ordonnance du 21 avril 1945 (2), un régime exorbitant du droit commun, ce dernier instaurant notamment une présomption de mauvaise foi (3) à l’encontre des possesseurs de l’objet, qu’ils soient en réalité de bonne ou mauvaise foi.

  • De telles dispositions ont pu être remises en cause, en ce qu’elles soulèvent nécessairement la désormais classique question de la balance des intérêts : comment concilier un travail de réparation à l’égard des héritiers du propriétaire volé avec les intérêts d’un possesseur qui serait de bonne foi ?

  • Si la Cour de cassation avait déjà refusé, dans un arrêt du 11 septembre 2019 (4), de saisir le Conseil constitutionnel de deux QPC (5), cette dernière s’est prononcée de nouveau dans une décision rendue le 1er juillet 2020 (6). En effet, statuant alors sur le fond, pour la même affaire, elle a estimé que, concernant un bien spolié : “les acquéreurs ultérieurs de ce bien, même de bonne foi, ne peuvent prétendre en être devenus légalement propriétaires.”, renforçant ainsi le “droit de propriété des personnes victimes de spoliation”. Par ailleurs, se pose également la question du délai de forclusion. Si celui-ci est en principe de six mois après la cessation des hostilités, l’article 21 (7) de l’ordonnance prévoit une exception en cas “d’impossibilité matérielle d’agir dans ce délai”, même sans force majeure.

Quoi qu’il en soit, la restitution d’une œuvre spoliée peut, selon le statut de l’œuvre, prendre plusieurs formes, dont quelques illustrations ci-dessous :

  1. La gouache La Cueillette des pois, de Pissaro : L’exemple d’une œuvre détenue à titre privé par des particuliers
    A défaut de résolution transactionnelle amiable, la restitution peut résulter d’une procédure judiciaire traditionnelle de droit commun.
    C’est le cas de La Cueillette des pois, alors détenue par un couple, les Epoux Toll, qui l’avait achetée en 1995 auprès de Christie’s, à New York. Le différend entre le couple et les ayants droit de Simon Bauer, propriétaire spolié en 1943, a été porté devant le juge judiciaire. A l’issue d’une longue procédure civile, la restitution de l’œuvre à la famille de Simon Bauer a été ordonnée, en 2020.

  2. Le dessin Trois danseuses en buste, de Degas : L’exemple d’une œuvre classée « MNR » (« Musées Nationaux Récupération »)
    Le sigle « MNR » désigne l’ensemble des œuvres récupérées en Allemagne à la fin de la Seconde Guerre mondiale, dont certains indices laissent penser qu’elles appartiennent à des collections françaises, mais dont on ignore qui sont les propriétaires. Ils n’appartiennent pas au patrimoine de l’État qui, sans aucune ambiguïté, n’en est que le détenteur provisoire (8).
    La restitution de ces œuvres prend la forme d’une décision administrative du Premier ministre sur recommandation de la CIVS ou du ministère de la Culture.
    En effet, le ministère de la Culture a pris l’initiative de mettre en place un processus complémentaire, préalable à une demande de restitution, afin de retrouver les propriétaires (ou leurs héritiers) des œuvres MNR. À ce titre, un partenariat avec l’organisation professionnelle Généalogistes de France a permis la restitution aux ayants droit de Maurice Dreyfus, spolié en 1940, du dessin Trois danseuses en buste, en 2016.

  3. L’huile sur toile Rosiers sous les arbres de Klimt : L’exemple d’une œuvre appartenant aux collections publiques
    Jusqu’à récemment, la restitution d’œuvres appartenant aux collections publiques ne pouvait se faire que par l’adoption d’une loi d’espèce, en raison de l’inaliénabilité des biens relevant du domaine public, énoncée à l’article L3111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques : en effet, les biens du domaine public « ne peuvent être cédés d’aucune manière, de façon volontaire ou contrainte, à titre onéreux ou à titre gratuit » (9).

C’est dans ce contexte que fut restitué le 21 février 2022 (10), par le musée d’Orsay, le tableau Rosiers sous les arbres peint par Gustav Klimt.

La promulgation récente, le 22 juillet 2023 (11), d’une loi-cadre aspire cependant à faciliter la restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945, en créant dans le Code du patrimoine une dérogation au principe d’inaliénabilité des collections publiques.

Nos recommandations :

→ Vous êtes héritiers :

A titre liminaire, il est conseillé de déposer un dossier auprès de la M2RS (12) ou auprès de la CIVS (13), qui effectueront des recherches (sur le volet culturel pour la première et sur les volets matériel et financier pour la seconde). Une fois le dossier instruit par la M2RS, la compétence de la CIVS pour proposer une restitution dépendra notamment de l’endroit où a eu lieu la spoliation.

→ Vous êtes acquéreur :

En toute hypothèse, il est primordial, autant que faire se peut, d’être vigilant quant à la provenance des œuvres que l’on acquiert. En effet, l’un des enjeux demeure aujourd’hui celui de la lutte contre le trafic de biens culturels, essentielle pour sécuriser le marché de l’art. À cet égard, les bases de données ou l’existence, en France, de l’Office central de lutte contre le trafic de biens culturels (OCBC) sont autant d’outils s’inscrivant dans la logique de la Convention de 1970 puis de la convention d’UNIDROIT de 1995, dont l’objet était précisément la lutte contre le trafic de biens culturels. Pour ce faire, il conviendrait, par exemple, de consulter les bases de données, telles que celle d’Interpol, ou encore de faire appel à un chercheur de provenance.

Notes :

(1) Holocaust Expropriated Art Recovery Act
(2) Ordonnance n°45-770 du 21 avril 1945 portant deuxième application de l’ordonnance du 12 novembre 1943 sur la nullité des actes de spoliation accomplis par l’ennemi ou sous son contrôle
(3) L’article 4 de l’ordonnance n°45-770 du 21 avril 1945 dispose que : “l’acquéreur ou les acquéreurs successifs sont considérés comme possesseurs de mauvaise foi au regard du propriétaire dépossédé.”.
(4) Cass. civ. 1, 11 septembre 2019, n° 18-25.695
(5) La question prioritaire de constitutionnalité (QPC) est le droit reconnu à tout justiciable, partie à une instance, de contester la constitutionnalité d’une disposition législative, applicable au litige, qui porterait atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit.
(6) Cass. civ. 1, 1er juillet 2020, n° 18-25.695
(7) L’article 21 de l’ordonnance n°45-770 du 21 avril 1945 dispose que : “Cependant, dans le cas où le propriétaire dépossédé fera la preuve qu’il s’est trouvé, même sans force majeure, dans l’impossibilité matérielle d’agir dans ce délai, le juge pourra le relever de la forclusion.”.
(8) Toutes les œuvres MNR ne sont pas nécessairement des œuvres spoliées. En effet, ont été ramenées d’Allemagne en France après la Seconde Guerre mondiale toutes les œuvres et objets d’art provenant de France, quelle que soit la façon dont elles étaient arrivées en Allemagne pendant la guerre.
(9) Norbert Foulquier, Droit administratif des biens, 6ème éd., LexisNexis, 2023, p. 187.
(10) Loi n° 2022-218 du 21 février 2022 relative à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites
(11) Loi n° 2023-650 du 22 juillet 2023 relative à la restitution des biens culturels ayant fait l’objet de spoliations dans le contexte des persécutions antisémites perpétrées entre 1933 et 1945
(12) Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 (contact.m2rs@culture.gouv.fr)
(13) Commission pour l’indemnisation des victimes de spoliations (renseignement@civs.gouv.fr)

27.10.2023L’enjeu des droits d’auteur dans le cadre de la constitution d’un musée virtuel

Audrey Azoulay, directrice générale de l’UNESCO, a annoncé début octobre la création d’un musée virtuel consacré aux biens culturels volés. La réalisation de ce futur musée, dont l’ouverture est prévue pour 2025, a été confiée à l’architecte français Francis Kéré.

Si l’une des futures missions du musée sera de rendre visuellement accessibles ces biens au plus grand nombre, son objectif principal demeure celui de sensibiliser les visiteurs à la question du trafic illicite de biens culturels.

Le musée entend exposer une collection, composée d’environ 600 objets, d’œuvres disparues issues d’actes de détournement tels que le pillage ou le vol. La collection du musée sera élaborée avec l’aide d’Interpol dont la base de données contient plus de 52 000 œuvres d’art volées.

Ce projet s’inscrit pleinement dans la logique de la Convention de 1970, traité international à l’initiative de l’UNESCO, dont l’objet est la lutte contre le trafic des biens culturels, complété en 1995 par la convention d’UNIDROIT.

Pour nous, c’est l’occasion de s’interroger sur la possibilité, au regard des droits de propriété intellectuelle, de numériser certaines œuvres, dont les droits d’auteur seraient détenus par des tiers, pour les exposer au public.

Pour rappel, toute œuvre de l’esprit originale, soit selon la jurisprudence, qui « porte l’empreinte de la personnalité de son auteur » ou encore qui présente des « choix arbitraires » réalisés par son auteur, est protégeable au sens du droit d’auteur, du fait même de sa création.

Le droit d’auteur confère sur le fondement de l’article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle un “droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous”, dont l’une des prérogatives - les droits patrimoniaux - confère notamment à leur auteur le droit d’interdire ou d’autoriser l’utilisation de son œuvre, en particulier sa représentation et sa reproduction.

Au regard de cette définition, un projet de musée virtuel est susceptible de soulever plusieurs problématiques relatives aux droits patrimoniaux. En effet, la numérisation et la mise en ligne dans le cadre du musée virtuel des objets ainsi numérisés sont susceptibles de constituer une violation du droit de reproduction et du droit de représentation, prérogatives appartenant exclusivement à l’auteur de l’œuvre (ou à ses ayants droit).

Si les œuvres sont tombées dans le domaine public, la numérisation sera possible sans avoir à obtenir d’autorisation, sous réserve de respecter les droits moraux.

Dans le cas mentionné en introduction, il est fort possible que les œuvres qui seront numérisées soient en grande majorité déjà tombées dans le domaine public, s’agissant de biens très anciens. On peut ainsi relever, à titre d’exemples, la présence prévue dans la future collection d’un relief en ivoire irakien datant du VIIème siècle, un masque en pierre verte issu d’un site Maya ou encore une figurine indienne de Varaha du V-VIème siècle.

Pour rappel, les droits d’auteur se prescrivent 70 ans après la mort de l’auteur (étant précisé qu’ils sont alors transmis aux héritiers). À partir de ce délai, les œuvres, communément considérées comme « tombées dans le domaine public », ne sont plus protégeables et peuvent être exploitées par tous sans qu’une quelconque autorisation ne soit nécessaire.

En toute hypothèse, s’il s’avérait que ces objets n’étaient effectivement plus protégeables, le droit moral, perpétuel, pourrait toujours être invoqué par les ayants droit. Cette hypothèse semble bien théorique si l’on considère que les objets datent du Ve ou VIIe siècle, mais doit tout de même être prise en compte pour des œuvres plus récentes, avec des ayants droit encore « actifs ».

A titre d’exemple, l’atteinte à l’intégrité de l’œuvre pourrait être constatée dans le cas où la numérisation serait de mauvaise qualité, en dépit d’un usage muséal. Concernant le droit de paternité, il convient nécessairement d’identifier l’auteur pour chaque œuvre ainsi exploitée.

Si certaines œuvres étaient encore protégeables, une autorisation devrait être obtenue, sauf à considérer que l’utilisation envisagée tombe dans le champ de l’une des exceptions du droit d’auteur.

Premièrement, il pourrait être envisageable d’appliquer l’exception pédagogique prévue à l’article L122-5 du code de la propriété intellectuelle pour justifier l’utilisation des œuvres protégées. Le but de ce musée, dont la visée est principalement pédagogique, est en effet de rendre accessible les œuvres volées et de sensibiliser le public sur ce phénomène. Toutefois, cette exception est conditionnée au fait que l’exploitation soit non commerciale et restreinte, ce qu’il conviendrait de prouver en l’espèce.

Deuxième, une autre exception reste à envisager : celle des œuvres indisponibles, hypothèse désignant des œuvres protégées “dont la première publication ou communication au public remonte à trente ans ou plus” selon l’article L. 138-1 du code de la propriété intellectuelle, mais pour lesquelles il n’y a pas ou plus de diffusion commerciale. Toutefois, un doute subsiste ici concernant certaines conditions (à savoir, notamment, le caractère non commercial (du service de communication au public en ligne), la mention du nom de l’auteur ainsi que le lieu où les œuvres ont été divulguées pour la première fois (qui doit être un Etat membre de l’UE pour que l’exception s’applique)). Enfin, ces œuvres indisponibles semblent devoir figurer dans la collection du musée à titre permanent : on peut s’interroger sur l’applicabilité du critère de permanence dans le cadre de ce musée virtuel dont l’ambition est, précisément, de voir diminuer sa collection à mesure que les œuvres sont restituées.

Nos recommandations

Toute personne souhaitant numériser des œuvres, en vue de les diffuser au public, en ce compris dans le cadre d’un musée virtuel, doit ainsi :

  • Identifier en amont la date de divulgation de chacune des œuvres numérisées et la date de décès de leur auteur, afin de déterminer si des droits d’auteur existent encore.

  • Si les œuvres ne sont plus protégées, aucune autorisation n’est requise, mais il convient toujours de respecter les droits moraux (indiquer systématiquement un crédit, s’assurer de la qualité de la numérisation, etc.).

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Lucie Tréguier et Cyrielle Gauvin, avocates au Barreau de Paris, créent le cabinet Aœdé.

Aœdé est un cabinet boutique, dédié aux acteurs des industries créatives et culturelles, et du marché de l’art.

Ses fondatrices souhaitent ainsi manifester leur passion commune pour les arts et leur vision singulière du métier d’avocat, en mettant en commun l’expertise qu’elles ont chacune acquise, tout au long d’années de pratique au sein de structures de premier plan.

Elles accompagnent leurs clients de manière globale, tant en conseil qu’en contentieux, en leur proposant des solutions pragmatiques et personnalisées dans leurs domaines d’activité : l’art, l’architecture, le design, la mode, l’édition, etc.

Lucie Tréguier et Cyrielle Gauvin s’investissent pleinement au sein des industries de leurs clients : Cela est, pour nous, primordial. Nous le faisons naturellement, depuis plusieurs années, en nous rendant régulièrement dans les lieux de création et en nous engageant, au quotidien, auprès de différentes associations artistiques et culturelles. C’est d’ailleurs dans le cadre de l’une d’entre elles, le Barreau des Arts, que nous nous sommes rencontrées ! [Le Barreau des Arts est une association cofondée par Lucie Tréguier, qui délivre des conseils juridiques pro bono aux artistes en situation financière précaire].

Le choix de leur adresse n’est d’ailleurs pas anodin : elles s’installent au cœur d’ateliers réhabilités d’une ancienne cour industrielle, témoin du passé artisanal du 11e arrondissement de Paris.

Au-delà de son positionnement français, Aœdé est un cabinet résolument tourné vers l’international. Lucie Tréguier et Cyrielle Gauvin ont travaillé plusieurs années à l’étranger (respectivement, Sydney et Londres) avant de revenir exercer à Paris. Elles ont rapporté avec elles, une connaissance approfondie des pratiques internationales en propriété intellectuelle et en marché de l’art, mais également une manière différente d’exercer le métier d’avocat. Cette vision se retrouve dans l’accompagnement qu’elles proposent, avec des partenaires locaux, à leurs clients, notamment concernant les problématiques internationales qu’ils rencontrent.

La clientèle d’Aœdé se compose, entre autres, de créateurs, ayants droit, galeristes, maisons de vente, experts, conseillers artistiques, agents, collectionneurs, institutions publiques et privées, maisons de mode et de haute couture, maisons d’édition.

31.03.2023Lucie Tréguier, avocate associée du cabinet Aœdé, anime l'atelier *Structuration juridique des ateliers collectifs*, aux journées professionnelles des ateliers collectifs d’artistes d’Ile de France, à Artagon Pantin.

Ce fut l’occasion d’échanger avec les représentants des collectifs et les autres intervenants invités concernant les sujets juridiques qui touchent les collectifs d’artistes, notamment la contractualisation et les modalités d’occupation des lieux.

Merci aux organisateurs pour l’invitation, et notamment Artagon, le DOC!, Le Houloc et la DRAC

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19.04.2023N'hésitez pas à nous adresser vos candidatures spontanées !

Ecrivez-nous à l’adresse email : contact@aoede.law.